source:RAPPORT

FAIT


AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUETE SUR LES SECTES,
Président : M. Alain Gest,

Rapporteur : M. Jacques Guyard

Députés.
 (Source : Les sectes en France, rapport n° 2468)


(1) Cette Commission est composée de : MM. Alain Gest, président, Jean-Pierre Brard, Mme Suzanne Sauvaigo, vice-présidents, MM. Eric Doligé, Rudy Salles, secrétaires, Jacques Guyard, rapporteur ; MM. Jean-Claude Bahu, Pierre Bernard, Raoul Béteille, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Pierre Brard, Jean-François Calvo, René Chabot, Mme Martine David, MM. Pierre Delmar, Bernard Derosier, Eric Doligé, Jean-Pierre Foucher, Jean Geney, Alain Gest, Jean Gravier, Jacques Guyard, Pierre Lang, Gérard Larrat, Claude-Gérard Marcus, Thierry Mariani, Mme Odile Moirin, MM. Georges Mothron, Jacques Myard, Mme Catherine Nicolas, MM. Francisque Perrut, Daniel Picotin, Marc Reymann, Marcel Roques, Rudy Salles et Mme Suzanne Sauvaigo.

 Droits de l'Homme et libertés publiques.
 
 

S O M M A I R E
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PAGES
INTRODUCTION 5
I.--UN PHENOMENE QUI, BIEN QUE DIFFICILE A APPREHENDER
SEMBLE SE DEVELOPPER
8
A.- UN PHENOMENE DIFFICILE A DEFINIR  8
1.- L'impossible définition juridique 8
2.- L'imprécision et la diversité des définitions issues du langage courant 10
a) L'approche étymologique 10
b) L'approche sociologique 11
c) L'approche fondée sur la dangerosité des sectes 11
d) La conception retenue par la Commission 12
B.- UN PHENOMENE DIFFICILE A MESURER 14
1.- L'évaluation par les Renseignements généraux 15
2.- L'évaluation par les différents experts 27
C.- UN PHENOMENE EN EXPANSION POTENTIELLE 32
1.- Les grandes tendances actuelles 32
a) La nature des sectes 32
b) La structure des sectes  34
c) Les thèmes développés par les sectes 34
d) La perception du phénomène sectaire 35
2.- Les facteurs d'expansion potentielle 37
a) La réponse à des besoins importants  37
b) Des techniques de recrutement de plus en plus sophistiquées 41
c) Une puissance financière 46
II.- UN PHENOMENE MULTIFORME AUX EFFETS COMPLEXES  49
A.- UN PHENOMENE DIVERSIFIE 49
1.- La méthode adoptée par les Renseignements généraux  49
2.- Les résultats de l'enquête 60
B.- DES PRATIQUES SOUVENT DANGEREUSES  66
1.- Des illégalités nombreuses et variées  66
2.- Une nocivité qui dépasse largement le champ des illégalités constatées par les tribunaux 74
a) Les dangers pour l'individu 76
b) Les dangers pour la collectivité 80
III.- LA NECESSITE D'UNE RIPOSTE ADAPTEE à LA DANGEROSITE 
DES SECTES

 

82
A.- UN DISPOSITIF D'ENSEMBLE EQUILIBRE, QUI NE JUSTIFIE PAS DE RéVOLUTION JURIDIQUE 83
1.- Un régime qui, tout en garantissant la liberté de religion, permet de réprimer les abus des mouvements sectaires

 

85
a) Les mouvements spirituels disposent de plusieurs cadres légaux pour s'exprimer 85
b) Un arsenal juridique important permet de sanctionner les " dérives " sectaires 90
2.- Une réforme radicale ne paraît pas souhaitable

 

95
a) L'inopportunité d'un régime juridique spécifique aux sectes 97
b) Les risques d'une reconnaissance des sectes comme religions à part entière 101
B.- POUR UNE REPONSE PRAGMATIQUE AU PHENOMENE SECTAIRE 102
1.- Mieux connaître et faire connaître  102
2.- Mieux appliquer le droit existant  110
3.- Améliorer le dispositif juridique  116
5.- Aider les anciens adeptes 123
CONCLUSION

 

126
INTRODUCTION

88 membres de la secte des Davidsoniens morts par suicide ou à l'issue d'affrontements avec la police à Waco au Texas le 19 avril 1993 ; 53 membres de la secte du Temple solaire morts suicidés ou assassinés en Suisse et au Canada le 4 octobre 1994 ; 11 morts et 5.000 blessés dans l'attentat au gaz perpétré dans le métro de Tokyo par la secte Aum le 5 mars 1995 : sans revenir sur des faits plus anciens - mais tout le monde a encore en mémoire le suicide collectif des 923 membres du Temple du Peuple au Guyana en 1978 - voilà, sur moins de trois ans, le bilan des agissements criminels les plus graves dont se sont rendues coupables certaines sectes. Lorsque surviennent de tels faits, les media s'empressent de titrer sur le phénomène sectaire, l'opinion s'émeut - à juste titre - puis l'attention retombe jusqu'à l'épisode spectaculaire suivant qui fera l'objet du même traitement. Mais, pendant ce temps, un certain nombre de sectes continuent insidieusement à accomplir leurs méfaits quotidiens dans l'indifférence quasi-générale.

 Le rapport rédigé par Alain Vivien à la demande du Premier ministre et publié en 1985 sous le titre " les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation " , qui présentait une photographie du phénomène sectaire et en analysait les principaux aspects avant de formuler un certain nombre de propositions, a eu le grand mérite de constituer la première étude approfondie et objective sur les dangers des sectes et d'alerter les pouvoirs publics et l'opinion sur une réalité jusque là fort mal connue. Cela étant, voici maintenant plus de dix ans que ce document a été réalisé, et force est de constater que, les mesures qu'il préconisait étant pour la plupart, malgré leur intérêt et leur simplicité, restées lettre morte, les sectes continuent de prospérer en exploitant, pour leur plus grand profit, le désarroi dans lequel l'évolution de notre société plonge nombre de nos contemporains, prêts à se laisser abuser par l'apparente spiritualité d'un discours dont ils ont l'illusion qu'il peut apporter la réponse à leurs attentes.

 Il était donc légitime que la représentation nationale se préoccupe de prendre la mesure d'un phénomène dont l'évolution, depuis le rapport de M. Alain Vivien, est mal connue, d'apprécier les dangers qu'il fait courir aux individus et à la société, et de faire le point des mesures nécessaires pour le combattre. Aussi l'Assemblée nationale a-t-elle, en adoptant à l'unanimité le 29 juin dernier la proposition de résolution présentée par M. Jacques Guyard et les membres du groupe socialiste, créé une commission d'enquête " chargée d'étudier le phénomène des sectes et de proposer, s'il y a lieu, l'adaptation des textes en vigueur " .

 Constituée le 11 juillet dernier, la Commission a décidé, lors de la réunion qu'elle a tenue le 18 juillet pour organiser le déroulement de ses travaux, de placer sous le régime du secret l'ensemble des auditions auxquelles elle procéderait afin de permettre la plus grande liberté de parole aux personnes dont elle solliciterait le témoignage. En application de l'engagement pris auprès des témoins, le présent rapport ne comportera donc pas en annexe le compte-rendu des auditions qui ont nourri les réflexions de la Commission, ni même la liste des personnes qu'elle a entendues. Dans le même esprit, n'est pas mentionnée dans le rapport l'origine des propos dont il est fait état.

Vingt auditions ont été effectuées dans ces conditions, pour une durée globale de vingt et une heures. Elles ont permis à la Commission de prendre connaissance des informations, de l'expérience et des analyses de personnes ayant, à des titres divers, une connaissance approfondie du phénomène sectaire, qu'il s'agisse de responsables administratifs, de médecins, de juristes, d'hommes d'Eglise, de représentants d'associations d'aide aux victimes de sectes, et, bien sûr, d'anciens adeptes de mouvements sectaires et de dirigeants d'associations sectaires. La Commission a, par ailleurs, sollicité le concours de diverses administrations pour tenter d'affiner au mieux la connaissance du champ de son étude. Force lui est de constater qu'il a été répondu à ses demandes avec un empressement et un zèle inégaux. Si le ministère des Affaires sociales, celui des Affaires étrangères, la Préfecture de Police de Paris et, surtout, le ministère de l'Intérieur (Direction centrale des Renseignements généraux), ont aidé très efficacement la Commission dans ses recherches et ses réflexions, le ministère de l'Economie et des finances (Direction générale des impôts), et le ministère de la Justice (Direction des affaires criminelles et des grâces) n'ont en effet transmis que très tardivement les informations dont ils disposent.

 Tel qu'il est présenté dans le présent rapport, le résultat de l'ensemble des travaux menés par la Commission décevra ceux qui se seraient attendus à y trouver des révélations ou des anecdotes inédites. Elle n'avait pas les moyens, et, au demeurant, ce n'était pas ainsi qu'elle concevait sa mission, de se livrer à des recherches ou à des mises en cause qui relevaient de la compétence des services de police et, le cas échéant, de la justice. En s'appuyant sur le travail d'un très grand intérêt réalisé par la Direction centrale des Renseignements généraux, sur les recherches et les analyses menées par des spécialistes de différentes disciplines, enfin, sur les témoignages oraux ou écrits de personnes ayant elles-mêmes vécu au sein d'une secte ou dont les proches ont connu ou connaissent cette expérience, elle a tenté d'appréhender au mieux une réalité mouvante, complexe et souvent travestie de faux-semblants.

 Comme on le verra, elle a été, dès l'abord, confrontée à la difficulté de définir le terme de sectes pour délimiter le champ de son étude. Néanmoins, elle a choisi de ne pas se laisser arrêter par ce qui n'est en réalité qu'un faux obstacle, et de suivre avec persévérance une démarche empirique que d'aucuns pourraient juger insuffisamment ambitieuse mais dont la modestie cache un souci de réalisme et d'efficacité. C'est donc sans esprit de système, sans a priori d'aucune sorte, et en prenant toujours le plus grand soin de ne pas procéder à des amalgames abusifs ni de tomber dans la paranoïa, sans pour autant faire preuve d'angélisme ou, au moins, de naïveté, que la Commission a tenté d'apprécier les contours d'un phénomène qui, bien que difficile à appréhender, semble se développer, avant de constater qu'il revêt des formes diversifiées et se caractérise souvent par des pratiques dangereuses, et, enfin, de dégager les moyens d'une riposte adaptée à cette dangerosité.

*
* *


  I.--UN PHENOMENE QUI, BIEN QUE DIFFICILE A APPREHENDER SEMBLE SE DEVELOPPER

La Commission a tout d'abord cherché à apprécier l'ampleur actuelle du phénomène sectaire et, à la lumière de certaines de ses caractéristiques ainsi que de son évolution récente, à dégager les tendances probables de son devenir. Malgré les difficultés qu'elle a rencontrées à définir le phénomène faisant l'objet de son étude et à le mesurer, il lui est apparu qu'il recèle des potentialités d'expansion qui doivent justifier une vigilance accrue de la part des pouvoirs publics.

  A.- UN PHENOMENE DIFFICILE A DEFINIR

 A priori, l'approche du phénomène des sectes, comme de tout autre, suppose que ce concept soit clairement défini.

 Or, toutes les études, tous les ouvrages consacrés aux associations dites sectes reconnaissent la difficulté d'une telle démarche, que la Commission a mesurée tout au long de ses travaux : en effet, la notion de secte, particulièrement difficile à définir dans le langage courant, est totalement inconnue du droit français.

 A l'évidence, cette situation n'a pu que rendre sa tâche plus ardue. Ayant été confrontée à cette difficulté dès le début de ses recherches, la Commission n'a pas voulu se laisser enfermer dans l'alternative à laquelle elle conduit logiquement : soit tenter de donner une définition juridique à la notion de secte destinée à servir de base à la suite de ses travaux, au risque de heurter le principe de la liberté de conscience, soit considérer qu'elle ne pouvait valablement continuer à travailler en raison de l'impossibilité de procéder à une telle définition. Elle a, avec modestie mais aussi dans un souci d'efficacité, suivi une démarche empirique, en constatant l'existence d'organismes divers communément dénommés sectes et en cherchant à préciser les contours de ce qui peut être englobé sous cette appellation pour en dégager les caractéristiques qui peuvent justifier que l'on s'y intéresse, voire que l'on s'en préoccupe.

1.- L'impossible définition juridique

 L'absence de définition juridique des sectes en droit résulte de la conception française de la notion de laïcité.

 L'origine de cette conception est à rechercher dans l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen qui dispose que " nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public institué par la loi " . Les rédacteurs de la Déclaration ont ainsi clairement posé le principe de la neutralité de l'Etat, de sa discrétion à l'égard des opinions religieuses.

 Cette attitude doit être complétée par une approche plus positive, qui confie à l'Etat le soin d'assurer à chacun le libre exercice de la religion qu'il a choisie : l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise ainsi que la France, République laïque, " assure l'égalité devant la loi des citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion " et qu'elle " respecte toutes les croyances " . Cette consécration constitutionnelle récente avait été ébauchée par le préambule de la Constitution de 1946 qui, quels que soient les débats relatifs à sa portée juridique, rappelait l'attachement du peuple français à la déclaration de 1789 et aux " principes fondamentaux reconnus par les lois de la République " .

 Le régime juridique des cultes qui résulte d'une telle conception de la laïcité est tout entier contenu dans les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Eglises et de l'Etat, qui disposent que " la République assure la liberté de conscience ] garantit le libre exercice des cultes " (art. 1) et qu'elle " ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte " (art. 2).

 Le principe de neutralité de l'Etat signifie donc que les croyances religieuses ne sont pas un fait public sous réserve des restrictions liées au respect de l'ordre public, que le fait religieux relève des seuls individus, de la seule sphère privée des citoyens.

 Ainsi s'explique que l'Etat, fidèle à son " indifférence " affichée à l'égard des religions, n'ait jamais donné une définition juridique de celles-ci. Si la doctrine admet qu'elles se caractérisent par la réunion d'éléments subjectifs (la foi, la croyance) et d'éléments objectifs (le rite, la communauté), nulle définition d'une religion ne peut être constatée dans le droit positif.

 Celui-ci se borne à réglementer la vie des structures juridiques ainsi que des pratiques sociales qui constituent le support des religions (associations, cultuelles ou non, congrégations religieuses) ; il n'opère aucune distinction juridique entre les différents cultes, n'effectue aucune discrimination, positive ou négative, entre eux.

 On conçoit dès lors l'impossibilité juridique de définir les critères permettant de définir les formes sociales que peut revêtir l'exercice d'une croyance religieuse, a fortiori de distinguer une Eglise d'une secte.

 La commission d'enquête a donc été confrontée dès le début de son activité au paradoxe de devoir travailler sur un secteur juridiquement inexistant. Sa position était d'autant plus délicate que, impossible à définir en droit, la notion est également difficile à manier dans le langage courant.

2.- L'imprécision et la diversité des définitions issues du langage courant

 La notion de secte, même dans le langage courant, n'est pas univoque : différents niveaux d'analyse ne suffisent sans doute pas à témoigner de la diversité - et de la richesse - du concept.

a) L'approche étymologique

 Une étude étymologique montre que le terme " secte " est apparu aux alentours des XIII - XIVèmes siècles et qu'il peut être rattaché à deux racines latines : l'une le rattachant au verbe suivre, l'autre au verbe couper.

 Cette hésitation sur l'origine sémantique imprègne aujourd'hui encore l'ensemble des dictionnaires.

 Significative est la définition fournie par le dictionnaire Littré, pour qui la secte est " l'ensemble des personnes qui font profession d'une même doctrine " ou " qui suivent une opinion accusée d'hérésie ou d'erreur " .

 Le dictionnaire Robert distingue quant à lui entre les personnes " qui ont la même doctrine au sein d'une religion " et celles qui " professent une même doctrine " .

 Dans tous les cas, les deux origines supposées de la notion induisent, simultanément ou alternativement, les deux idées de croyance commune et/ou de rupture par rapport à une croyance antérieure.

 C'est sur ce concept de rupture qu'insiste le dictionnaire des religions (PUF, 1984) qui définit la secte comme " Au sens originel, un groupe de contestation de la doctrine et des structures de l'Eglise, entraînant le plus souvent une dissidence. Dans un sens plus étendu, tout mouvement religieux minoritaire " .

b) L'approche sociologique

 La sociologie fournit quant à elle une définition de la secte par opposition à celle d'Eglise. C'est ainsi que Max Weber a procédé pour préciser ces deux notions l'une par rapport à l'autre : pour lui l'Eglise est une institution de salut qui privilégie l'extension de son influence, alors que la secte est un groupe contractuel qui met l'accent sur l'intensité de la vie de ses membres.

 Ernst Troeltsh a poursuivi l'oeuvre de Weber et souligné que l'Eglise est prête, pour étendre son audience, à s'adapter à la société, à passer des compromis avec les Etats. La secte, au contraire, se situe en retrait par rapport à la société globale et tend à refuser tout lien avec elle, et même tout dialogue. Elle a une attitude identique à l'égard des autres religions, de sorte qu'en ce sens l'oecuménisme pourrait servir de critère pour distinguer Eglise et secte.

c) L'approche fondée sur la dangerosité des sectes

 Le terme " sectaire " , apparu, lui, au cours des guerres de religion, est empreint d'une forte connotation péjorative. Il est appliqué au membre d'une secte caractérisé par son intolérance, son adhésion aveugle, son étroitesse d'esprit.

 Le langage moderne a été fortement marqué par cette connotation péjorative : de nos jours, le terme " secte " fait référence à des mouvements religieux ou pseudo-religieux d'apparition récente, minoritaires, sécessionnistes ou non.

 Le débat sur les " sectes dangereuses " ou les " dérives sectaires " a encore accentué l'aspect péjoratif du concept.

 Plusieurs personnalités entendues par la Commission ont développé devant elle des approches de la définition des sectes fondées sur la dangerosité des mouvements. L'une d'entre elles a formalisé ainsi le résultat de cette démarche, en donnant comme définition des sectes :

 " Groupes visant par des manoeuvres de déstabilisation psychologique à obtenir de leurs adeptes une allégeance inconditionnelle, une diminution de l'esprit critique, une rupture avec les références communément admises (éthiques, scientifiques, civiques, éducatives), et entraînant des dangers pour les libertés individuelles, la santé, l'éducation, les institutions démocratiques.

 Ces groupes utilisent des masques philosophiques, religieux ou thérapeutiques pour dissimuler des objectifs de pouvoir, d'emprise et d'exploitation des adeptes. "

Dans une telle optique, l'accent est mis en outre sur le caractère insidieux de la dérive sectaire, car il est difficile de tracer une frontière entre le fonctionnement " légitime " et la zone dangereuse, c'est à dire entre :

 - la libre association et le groupe coercitif,
 - la conviction et les certitudes incontournables,
 - l'engagement et le fanatisme,
 - le prestige du chef et le culte du gourou,
 - les décisions volontaires et les choix totalement induits,
 - les recherches d'alternatives (culturelles, morales, idéologiques) et la rupture avec les valeurs de la société,
 - l'appartenance loyale à un groupe et l'allégeance inconditionnelle,
 - la persuasion habile et la manipulation programmée,
 - le langage mobilisateur et le néolangage (la " langue de bois " ),
 - l'esprit de corps et le groupe fusionnel.

 On mesure à quel point il est, dans ces conditions, difficile de raisonner de manière objective, de se situer entre la banalisation et la diabolisation, entre la cécité et la tolérance abusive d'une part, la suspicion généralisée d'autre part : c'est pourtant cette voie qu'a choisi la Commission.

d) La conception retenue par la Commission

 La Commission a en effet constaté que si la difficulté à définir la notion de secte a été soulignée par toutes les personnalités qu'elle a entendues, la réalité visée semble unanimement cernée, sauf naturellement par les adeptes et dirigeants des sectes qui nient ce caractère à leur groupement (tout en pouvant le reconnaître à d'autres) et préfèrent évoquer les termes d' " Eglises " ou de " minorités religieuses " .

 La Commission n'a pas la prétention de réussir ce à quoi tous ceux qui travaillent sur la question des sectes, souvent depuis de nombreuses années, ne sont pas parvenus, c'est-à-dire donner une définition " objective " de la secte, susceptible d'être admise par tous. Les travaux de la Commission s'appuient donc sur un certain nombre de choix éthiques qu'elle ne cherche pas à dissimuler.

 Parmi les indices permettant de supposer l'éventuelle réalité de soupçons conduisant à qualifier de secte un mouvement se présentant comme religieux, elle a retenu, faisant siens les critères utilisés par les Renseignements généraux dans les analyses du phénomène sectaire auxquelles procède ce service et qui ont été portées à la connaissance de la Commission :

 - la déstabilisation mentale ;
 - le caractère exorbitant des exigences financières ;
 - la rupture induite avec l'environnement d'origine ;
 - les atteintes à l'intégrité physique ;
 - l'embrigadement des enfants ;
 - le discours plus ou moins anti-social;
 - les troubles à l'ordre public ;
 - l'importance des démêlés judiciaires ;
 - l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
 - les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics.

Votre Commission insiste sur le fait que, la définition des sectes s'avérant à bien des égards difficile, elle a conduit ses travaux en se gardant de faire siennes les définitions des sectes proposées par ses interlocuteurs, par nature engagés, à un titre ou à un autre dans la promotion des nouvelles religions ou dans la lutte contre leurs excès - réels ou supposés --.

 Elle a été consciente que ni la nouveauté, ni le petit nombre d'adeptes, ni même l'excentricité ne pouvaient être retenus comme des critères permettant de qualifier de secte un mouvement se prétendant religieux : les plus grandes religions contemporaines ne furent souvent, à leurs débuts, que des sectes au nombre d'adeptes réduit ; bien des rites établis et socialement admis aujourd'hui ont pu à l'origine susciter des réserves ou des oppositions.

Le champ de son étude a ainsi été volontairement restreint à un certain nombre d'associations réunissant, le plus souvent autour d'un chef spirituel, des personnes partageant la même croyance en un être ou un certain nombre d'idées transcendantales, se situant ou non en rupture avecles religions " traditionnelles " (chrétienne, musulmane, hindouiste, bouddhiste) qui ont été exclues de cette étude, et sur lesquelles ont pu, à un moment ou à un autre, peser le soupçon d'une activité contraire à l'ordre public ou aux libertés individuelles.

 La difficulté de définir la notion de secte, qui sera pourtant utilisée dans la suite de ce rapport, a conduit la Commission à retenir un faisceau d'indices, dont chacun pourrait prêter à de longues discussions. Elle a donc préféré, au risque de froisser bien des susceptibilités ou de procéder à une analyse partielle de la réalité, retenir le sens commun que l'opinion publique attribue à la notion.

 A défaut, elle n'aurait pu, constatant les difficultés rencontrées lors de la tentative de définition du phénomène, qu'interrompre ses travaux. Une telle attitude aurait sans doute dérouté, et aurait, de plus, empêché que soient analysés les réels problèmes posés par le développement d'un certain nombre d'associations.

 Difficile à définir, le phénomène des sectes ne peut de surcroît - mais aussi de ce fait - être mesuré avec précision.

  B.- UN PHENOMENE DIFFICILE A MESURER

Toute tentative de mesure globale du phénomène sectaire se heurte à un certain nombre d'obstacles, qui doivent être brièvement évoqués.

 L'imprécision entourant la définition de la notion est bien entendu le premier d'entre eux : comment mesurer un phénomène dont il n'existe pas de définition admise par tous ?

 Il est en deuxième lieu difficile de quantifier l'activité des multiples associations gravitant autour de tel ou tel mouvement, d'assimiler, par exemple, l'auditeur régulier de conférences organisées par une association proche d'une secte, à un adepte de cette dernière.

 Le choix du critère servant à mesurer le phénomène est en troisième lieu lui aussi aléatoire : doit-on retenir le nombre d'adeptes ou celui des sympathisants, à supposer que l'une et l'autre de ces deux notions puissent recevoir une définition satisfaisante ? Compte tenu de l'impact familial ou social du phénomène, doit-on inclure l'entourage des personnes directement concernées pour apprécier correctement le nombre de " victimes " ?

Au demeurant, les sectes elles-mêmes ne sont pas toujours en mesure de quantifier avec une relative précision le nombre de leurs adhérents. Différents indices permettent même d'affirmer que certaines d'entre elles le gonflent artificiellement afin d'accréditer l'idée d'une audience qu'elles n'ont pas dans la réalité, alors que d'autres le minimisent volontairement dans le but de ne pas attirer l'attention des pouvoirs publics.

 L'audience réelle des différentes sectes ne peut, enfin, être mesurée à l'aune de seuls critères numériques : l'implantation internationale de la secte, ses capacités financières, sa stratégie éventuelle d'infiltration contribuent pour beaucoup à son audience, sa capacité d'ingérence, sa dangerosité.

 Ces réserves méthodologiques posées, il reste toutefois nécessaire d'essayer de mieux cerner, sur le plan quantitatif, le phénomène sectaire.

 Deux types d'évaluation ont été communiqués à la mission : l'une résulte des observations de la Direction centrale des Renseignements généraux; l'autre, plus indirecte, des études d'un certain nombre d'experts.

1.- L'évaluation par les Renseignements généraux

 Le phénomène sectaire fait l'objet, depuis une vingtaine d'années, d'un suivi régulier par les Renseignements généraux. Toutefois, l'actualité du phénomène et les moyens limités de la DCRG n'autorisent pas l'exécution fréquente de travaux de synthèse.

 Deux bilans ont à ce jour été dressés, l'un dans le cadre de l'élaboration du rapport de M. Alain Vivien " Les sectes en France " , en 1982, l'autre à la demande de la commission d'enquête.

 L'analyse très complète et très fine à laquelle ont procédé les Renseignements généraux retient une définition de la secte fondée sur la dangerosité supposée des différents mouvements, elle-même déduite de l'existence d'un ou plusieurs indices parmi les suivants : déstabilisation mentale, exigences financières exorbitantes, rupture avec l'environnement d'origine, atteintes à l'intégrité physique, embrigadement des enfants, discours antisocial, troubles à l'ordre public, démêlés judiciaires, détournements des circuits économiques, infiltration des pouvoirs publics. Sur ces bases, ont été recensés, dans le cadre de chaque département métropolitain, les associations remplissant l'un au moins de ces dix critères.

 Ils ont de surcroît distingué, pour chaque mouvement, " l'organisation mère " des différentes " filiales " qui gravitent autour d'elle, que celles-ci soient " officielles " (antennes locales portant le nom de la secte), ou " masquées " (associations diverses, voire sociétés civiles ou commerciales).

 Les différentes " organisations-mères " ont, de plus, fait l'objet d'une évaluation quantitative permettant de les répartir entre celles qui comptent moins de 50 adeptes, entre 50 et 500 adeptes, entre 500 et 2.000 adeptes, plus de 2.000 adeptes. Il est à signaler que seul le mouvement des Témoins de Jéhovah dépasse en France les 10.000 fidèles (leur nombre est évalué à 130.000).

 Pour la plupart, les mouvements ésotériques ou se rattachant à l'anthroposophie (), bien que prédisposant parfois des individus fragilisés à un " cheminement sectaire " , n'ont pas été mentionnés, en raison de leur innocuité objective. De même, l'immense majorité des groupes se réclamant exclusivement du Nouvel Age, multiples et à l'audience souvent confidentielle, ont été exclus de cette étude car se situant encore aux " franges sectaires " .

 L'agrégation, au niveau national, des résultats obtenus par département permet de tirer un certain nombre d'enseignements, relatifs au nombre des sectes en premier lieu, à celui de leurs adeptes en second lieu, à la dynamique du mouvement enfin.