Il est Vivant

 

La Miséricorde du Père
Extraits de Père, que ton règne vienne
de Mgr André-Mutien Léonard


L’enfant prodigue

« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient”. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, rassemblant tout son avoir, le plus jeune fils partit pour un pays lointain et y dissipa son bien en vivant dans l’inconduite. Quand il eut tout dépensé, une famine sévère survint en cette contrée et il commença à sentir la privation. Il alla se mettre au service d’un des habitants de cette contrée, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il se dit : “Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ! Je veux partir, aller vers mon père et lui dire : Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes mercenaires”. Il partit donc et s’en alla vers son père. Tandis qu’il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement. Le fils alors lui dit : “Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils”. Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé !” Et ils se mirent à festoyer. Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il fut près de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il s’enquérait de ce que cela pouvait bien être. Celui-ci lui dit : “C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré en bonne santé”. Il se mit alors en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit l’en prier. Mais il répondit à son père : “Voilà tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils que voici revient-il, après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu fais tuer pour lui le veau gras !” Mais le père lui dit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé !” » (Luc 15, 11-31).

Dieu est Amour. En lui, il n’y a que de l’Amour. Rien d’autre. Et cet Amour a une forme toute particulière : la Miséricorde. Ce mot est, hélas, étranger à notre vocabulaire courant. Littéralement, il exprime le sentiment du cœur qui est saisi par la misère de l’autre. La Miséricorde de Dieu, c’est son Amour pour les pécheurs, c’est-à-dire pour ceux qui sont loin de lui, par indifférence ou par hostilité. L’Évangile nous révèle en effet que Dieu ne nous aime pas seulement malgré nos nombreux péchés envers lui qui font obstacle à sa grâce, mais qu’il nous aime à cause de nos nombreux péchés qui suscitent sa compassion à notre égard. Que cet amour est grand !

Jésus, en donnant sa vie sur la Croix, pour nous sauver du péché, manifeste la grande Miséricorde du Père. C’est ce qu’explique saint Paul : « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ » (Ép. 2, 4-5). « Car, dit Jésus, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17).

Pour que nous comprenions la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de ce mystère, Jésus a inventé une parabole. On l’appelle souvent, à tort, « la parabole de l’enfant prodigue ». Il faut l’appeler « la parabole du père miséricordieux », car Jésus veut avant tout nous révéler le Cœur de son Père.

À qui Jésus la raconte-t-il ? À des pharisiens et des scribes — qui sont des juifs très pieux et très droits — en train de murmurer contre lui parce qu’il « fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». Ils sont scandalisés par la proximité de Jésus avec ces personnes rejetées parce qu’escrocs, collaborateurs des Romains, prostituées et pécheurs en tout genre…

Jésus révèle alors le regard du Père sur ces pécheurs, dans cette parabole.

Tous fils prodigues

Lisons-la à nouveau (ci-dessus)

Le fils cadet a réclamé sa part d’héritage pour la gaspiller dans une vie de débauche. C’est exactement notre situation : nous avons reçu le don de la vie et le gaspillons souvent, de bien des manières. Nous devrions rendre grâce à Dieu pour ce don, chaque jour, dans la louange avec ces mots « c’est toi qui m’as tissé dans le ventre de ma mère, je te rends grâce pour la merveille que je suis » (Ps 139, 13-14).

De même, par le baptême nous avons reçu un héritage extraordinaire : le don de l’Esprit Saint qui fait de nous des fils du Père, par Jésus (cf. 2 Cor. 1, 22 ; Gal. 4, 6). Quand nous doutons de sa présence et de son amour, quand nous refusons de lui faire confiance dans les difficultés et de le louer en tout temps, quand nous préférons nos occupations et nos soucis à la prière et à son service, nous gaspillons l’héritage reçu.

Venu pour les pécheurs

Et ce “sale gamin” se retrouve dans la misère. Exactement comme nous, quand nous avons quitté Dieu un peu de temps. Mais ne nous y trompons pas : faire l’expérience de notre misère est une grande grâce. Elle est le commencement du salut. L’orgueil nous pousse à penser que nous sommes des gens sérieux, en chemin vers la perfection. Reconnaissons-le : nous sommes des pauvres pécheurs, indignes et misérables.

Si je découvre mon péché, je peux me réjouir, car il a dit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Mt 9, 13). Il est donc venu pour moi. Quand sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus découvre son péché, au lieu de s’attrister, elle se réjouit, car elle sait que Dieu pourra ainsi lui montrer sa miséricorde. Le fils cadet, épuisé par son errance, décide donc de retourner chez son père. Il le fait par intérêt. Pour manger à sa faim, il consent même à se proposer comme esclave.

« Tandis qu’il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié, il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement. » C’est extraordinaire !

Son père l’attend depuis toujours. Plutôt que de lui faire des reproches, en se lamentant sur la souffrance qu’a provoqué en lui l’absence cruelle de son fils, il est pris de compassion pour cet enfant blessé par son propre péché. Au lieu d’attendre de légitimes excuses, il court l’embrasser, avec tendresse. Parce que le désir permanent du Père, c’est de donner de l’Amour.

Réenfanté à la vie

Le fils récite alors sa formule de repentance. Mais il n’a pas le temps d’achever sa demande. Car le père refuse de le prendre comme esclave. Dieu veut que nous soyons ses fils, rien de moins. Et pour le signifier, il fait apporter robe, anneau et chaussures. Par son pardon, il nous revêt des vêtements du salut (cf Is 61, 10). À l’image de la robe blanche du baptême, notre cœur est à nouveau pur devant Dieu et nous pouvons nous présenter à lui. À condition d’accepter une chose. Pour recevoir la “belle robe”, il faut se séparer de l’ancienne, salie par nos péchés. Pour recevoir ce vêtement blanc des fils de Dieu, il nous faut rompre avec le péché et le remettre à Dieu par le sacrement de réconciliation (la confession).

Le père fait alors la fête car, dit-il, « mon fils était mort et il est revenu à la vie. » La miséricorde du Père nous rend la vie. Elle nous ressuscite. Le tableau de Rembrandt est, à ce sujet, très inspiré. Il représente en effet la tête du fils contre le sein du père. Le fils pécheur est à nouveau enfanté à la vie divine par les entrailles de miséricorde du Père.

Le fils aîné, lui, reste étranger à ce mystère d’amour. Il n’entre pas dans la fête, car il ne connaît pas la miséricorde. Ne vivant que selon la justice de la loi, il cherche à mériter chaque jour les dons du père, par ses bonnes actions. Beaucoup de croyants lui ressemblent. Ils veulent mériter le ciel par leurs actes vertueux. Ils n’ont pas compris que, même si l’on fait beaucoup d’efforts — et il faut en faire — on n’est jamais digne d’être fils de Dieu le Père éternellement.

Par son refus de pardonner et de se reconnaître pécheur, le fils aîné s’exclut de la fête et de la vie. Il nous faut donc choisir : ou reconnaître notre péché et recevoir la vie en laissant le Père nous manifester son Amour de prédilection, ou nous croire juste et refuser toute miséricorde, et dans ce cas rester étrangers à la joie d’être aimés par le Père et d’entrer dans son intimité. Entre la Miséricorde divine et la Justice divine, sainte Thérèse avait choisi, sans hésiter, la Miséricorde. Suivons son exemple !