LA TRÈS SAINTE VIERGE MARIE

 

  J'ai été préordonnée dès l'éternité

  (Prov. VIII, 23.)

 

ALLOCUTIONS DE JEAN-PAUL II

Le Seigneur l'a créée avec la coopération du Saint-Esprit ;
          et dans sa prescience divine, il a mesuré l'étendue de ses mérites.
(Eccli. 1,9)

  table des matières


Lorsqu'un peintre habile conçoit le sujet d'une composition artistique, par exemple, la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire, son attention se porte avant tout sur les personnages qu'il veut mettre en relief ; il en médite longuement les attitudes et la position respectives ; il en ébauche d'avance les traits essentiels. Son esprit , absorbé dans cette étude , n'entrevoit encore que d'une manière vague et confuse les détails accessoires du tableau. Mais peu à peu , la scène s'agrandit ; chaque objet s'accuse avec plus de netteté ; et alors l'artiste détermine et distribue les images secondaires et tout le reste de son plan, les lumières et les ombres , les fonds et perspectives, les paysages , les ciels , et jusqu'aux moindres particularités, dans l'unique vue de faire valoir les figures principales de son oeuvre. C'est ainsi que le travail préliminaire de l'invention s'achève par degrés, et pour ainsi dire, à tâtons.
On s'explique facilement la raison de ces lenteurs ; l'esprit de l'homme a ses limites ; dans son impuissance, il est forcé de recourir à l'analyse pour se rendre compte des objets qu'il ne parvient point à saisir dans leur ensemble.
Dieu seul, l'Être infiniment parfait, est affranchit de ces lois. Son regard infini embrasse tout à la fois. Dieu voit tout, non-seulement le présent, mais le passé et l'avenir. Intelligence infinie, il n'a besoin ni de temps ni de réflexion pour savoir ce qu'il doit faire et comment il doit le faire ; et ce qu'il opère dans le temps, n'est que l'exécution d'un dessein arrêté avant tous les siècles.

 

Jean-Paul II nous parle de Marie

 

La présence de Marie à l'origine de l'Église. 2

Marie dans l'Écriture sainte et la réflexion théologique. 3

L'influence de Marie dans, la vie de l'Eglise. 5

Le rôle de la femme à la lumière de Marie. 6

L'exposition de la doctrine mariale. 7

La Fille de Sion. 9

La nouvelle Fille de Sion. 10

La sainteté parfaite de Marie. 11

Marie, Mère du Rédempteur 12

Marie dans l' expérience spirituelle de l'Église. 13

Marie et la valeur de la femme. 15

La présence de Marie au Concile Vatican II 16

Marie, dans une perspective trinitaire. 17

L'annonce de la maternité messianique. 18

Celle qui est " pleine de grâce ". 20

L' Immaculée Conception. 21

La parfaite sainteté de Marie  Lc 11, 27-28. 22

La virginité de Marie, vérité de foi  Mt 1, 20-23. 23

La conception virginale de Jésus Lc 1,34-37. 24

La servante obéissante du Seigneur Lecture : Lc 1, 39-42. 25

Le mystère de la Visitation, prélude à la mission du Christ Lecture : Lc 1, 44-45. 26

Marie et la naissance de Jésus Lecture : Lc 2, 6-7. 26

Bienheureuse celle qui a cru  Lc 1, 41-45. 27

La volonté de rester vierge  Is 13-15. 28

Marie, modèle de virginité Lecture : 1 Co 7, 32-35. 29

Marie toujours vierge ("aeiparthenos") Lecture : Lc 2, 4-7. 30

Marie, la " nouvelle Eve " Lecture : Lc 1, 35-38. 30

Le " Magnificat "de Marie, célébration des merveilles de Dieu Lecture : Lc 1, 46-48. 31

Le titre de Marie, Mère de Dieu Lecture : Jn 20,28. 32

 

 


Audience générale du 6 septembre 1995

La présence de Marie à l'origine de l'Église

Cher(e) ami(e)s ,

Je ressens aujourd'hui le besoin de porter le regard sur la Bienheureuse Vierge Marie, Celle qui en a réalisé la sainteté de façon parfaite et qui en constitue le modèle.

C'est ce qu'ont fait les Pères du Concile Vatican II : après avoir exposé la doctrine sur la réalité historique et salvifique du peuple de Dieu, ils ont voulu la compléter en décrivant le rôle de Marie dans l'oeuvre de salut. En effet, le chapitre VIII de la Constitution conciliaire Lumen gentium a pour objectif non seulement de souligner la valeur ecclésiologique de la doctrine mariale, mais également de mettre en lumière la contribution que la figure de la Bienheureuse Vierge apporte à la compréhension du mystère de l'Église.

Avant d'exposer l'itinéraire marial du Concile, je voudrais porter un regard contemplatif sur Marie, telle qu'elle est décrite, aux origines de l'Église, dans les Actes des Apôtres. Au début de cet écrit néotestamentaire qui présente la vie de la première communauté chrétienne, Luc, après avoir rappelé un par un les noms des Apôtres, affirme : " Tous d'un même coeur étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères " (l, 14).

Dans ce cadre, se détache la personne de Marie, la seule qui, en dehors des Apôtres, est rappelée par son nom : elle représente un visage de l'Église différent et complémentaire de celui ministériel ou hiérarchique.

En effet, la phrase de Luc relate la présence, au Cénacle, de quelques femmes, montrant ainsi l'importance de la contribution de la femme à la vie de l'Église, dès ses débuts. Cette présence est étroitement liée à la persévérance de la communauté dans la prière et à la concorde. Ces traits expriment parfaitement deux aspects fondamentaux de la contribution spécifique de la femme à la vie ecclésiale. Parce qu'ils sont davantage tournés vers l'activité extérieure, les hommes ont besoin de l'aide des femmes afin d'être ramenés aux relations personnelles et de progresser vers l'union des coeurs.

"Bénie entre toutes les femmes" (Lc 1, 42), Marie assume de façon éminente cette mission de la femme. Qui, mieux que Marie, encourage chez tous les croyants la persévérance dans la prière? Qui, mieux qu'elle, peut promouvoir la concorde et l'amour?

En reconnaissant la mission pastorale confiée par Jésus aux Onze, les femmes du Cénacle, avec Marie parmi elles, s'unissent à leur prière et témoignent en même temps de la présence dans l'Église de personnes qui, bien que n'ayant pas reçu cette mission, sont également membres à part entière de la communauté rassemblée dans la foi dans le Christ.

La présence de Marie dans la communauté, qui attend en prière l'effusion de l'Esprit (cf. Ac 1, 14), évoque la part qu'elle prit dans l'incarnation du Fils de Dieu par l'opération de l'Esprit Saint (cf. Lc 1, 35). Le rôle de la Vierge dans cette phase initiale et le rôle qu'elle joue maintenant, dans la manifestation de l'Église à la Pentecôte, sont étroitement liés.

La présence de Marie dans les premiers moments de la vie de l'Église est mise en évidence de façon particulière lorsqu'on la compare avec la participation très discrète que Marie eut précédemment, lors de la vie publique de Jésus. Lorsque le Fils débute sa mission, Marie reste à Nazareth, même si cette séparation n'exclut pas des contacts importants, comme à Cana, et surtout ne l'empêche pas de participer au sacrifice du Calvaire.

Dans la première communauté, en revanche, le rôle de Marie est particulièrement important. Après l'Ascension et dans l'attente de la Pentecôte, la Mère de Jésus assiste en personne aux tout débuts de l'oeuvre commencée par le Fils.

Les Actes des Apôtres soulignent que Marie se trouvait au Cénacle "avec les frères de Jésus" (Ac 1,14), c'est-à-dire avec les membres de sa famille, ainsi que l'a toujours interprété la tradition ecclésiale : il ne s'agit pas tant d'une réunion de famille, que du fait que, sous la direction de Marie, la famille naturelle de Jésus fait désormais partie de la famille spirituelle du Christ : " Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère" (Mc 3, 34).

En relatant la même scène, Luc présente Marie de façon explicite comme "la Mère de Jésus "(Ac 1, 14), voulant ainsi presque suggérer qu'une part de la présence du Fils monté au ciel reste dans la présence de la mère. Elle rappelle aux disciples le visage de Jésus et elle est, par sa présence au milieu de la communauté, le signe de la fidélité de l'Église au Christ Seigneur.

Dans ce contexte, le titre de "Mère" annonce l'attitude de sollicitude avec laquelle la Vierge suivra la vie de l'Église. C'est à elle que Marie ouvrira son coeur pour manifester les merveilles opérées en elle par le Dieu Tout-Puissant et miséricordieux.

Depuis le début, Marie exerce son rôle de " Mère de l'Église" : son action favorise l'entente entre les Apôtres, que Luc présente comme vivant dans la "concorde" et très éloignés des disputes qui avaient parfois surgi entre eux.

Enfin, Marie exerce sa maternité à l'égard de la communauté des croyants, non seulement en priant afin d'obtenir pour l'Église les dons de l'Esprit Saint, nécessaires à sa formation et son avenir, mais également en éduquant les disciples du Seigneur à la communion constante avec Dieu.

Elle devient ainsi éducatrice du peuple chrétien à la prière, à la rencontre avec Dieu, élément central et indispensable afin que l'oeuvre des pasteurs et des fidèles trouve toujours son commencement et sa motivation profonde dans le Seigneur.

De ces brèves considérations, il ressort clairement que la relation entre Marie et l'Église constitue une comparaison fascinante entre deux mères. Cette relation nous révèle clairement la mission maternelle de Marie et engage l'Église à chercher sans cesse sa véritable identité dans la contemplation du visage de la "Theotokos".

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Audience générale du 8 novembre 1995

Marie dans l'Écriture sainte et la réflexion théologique

Cher(e) ami(e)s ,


Dans nos catéchèses précédentes, nous avons vu comment la doctrine de la maternité de Marie, à partir de sa première formulation, " la Mère de Jésus ", est passée par la suite à celle, plus complète et plus explicite, de "Mère de Dieu ", jusqu'à l'affirmation de son implication maternelle dans la rédemption de l'humanité.

Pour d'autres aspects de la doctrine mariale également, bien des siècles ont été nécessaires pour parvenir à la définition explicite de vérités révélées, concernant Marie. Des cas typiques de ce cheminement dans la foi pour découvrir toujours plus profondément le rôle de Marie dans l'histoire du salut, sont les dogmes de l'Immaculée Conception et de l'Assomption, proclamés, comme on le sait, par deux de mes vénérés prédécesseurs, respectivement le serviteur de Dieu Pie IX en 1854 et le serviteur de Dieu Pie XII au cours du Jubilé de 1950.

La mariologie est un domaine de recherche particulier : l'amour du peuple chrétien pour Marie a souvent compris le premier certains aspects du mystère de la Vierge, attirant sur eux l'attention des théologiens et des pasteurs.

Nous devons reconnaître que, à première vue, les Évangiles ne fournissent que peu d'informations sur la personne et la vie de Marie. Nous aurions certes désiré, à cet égard, avoir des indications plus abondantes, qui nous auraient permis de mieux connaître la Mère de Jésus.

C'est là une attente qui reste inassouvie également de la part des autres écrits du Nouveau Testament, où manque un développement doctrinal explicite sur Marie. Même les Lettres de saint Paul, qui nous donnent un riche enseignement sur le Christ et son oeuvre, se bornent à dire, dans un passage très significatif, que Dieu a envoyé son Fils, "né d'une femme" (Ga 4, 4).

On ne nous rapporte que très peu de choses sur la famille de Marie. Si nous mettons à part les récits de l'enfance, nous ne trouvons dans les Évangiles synoptiques que deux affirmations qui jettent quelque lumière sur Marie : une à propos de la tentative des "frères " ou parents qui auraient bien voulu ramener Jésus à Nazareth (cf. Mc 3, 21 ; Mt 12, 48) ; l'autre, en réponse à l'exclamation d'une femme sur le bonheur de la Mère de Jésus (Lc 11,27).

Cependant, Luc, dans l'Évangile de l'enfance, avec les épisodes de l'Annonciation, de la Visitation, de la Naissance de Jésus, de la Présentation de l'Enfant au temple et de sa découverte parmi les Docteurs à l'âge de 12 ans, non seulement nous fournit des données importantes, mais présente une sorte de " protomariologie " d'un intérêt fondamental. Ses données sont complétées indirectement par Matthieu dans le récit de l'annonce à Joseph (1, 18-25), mais seulement en rapport avec la conception virginale de Jésus.

Par ailleurs, l'Évangile de Jean approfondit la valeur historico-salvifique du rôle que joue la Mère de Jésus, quand il signale sa présence au début et à la fin de sa vie publique. L'intervention de Marie au pied de la Croix est particulièrement significative, lorsqu'elle reçoit de son Fils mourant la mission de servir de mère au disciple bien-aimé et, en lui, à tous les chrétiens (cf. Jn 2,1-12 et Jn 19, 25-27). Enfin, les Actes des Apôtres rappellent expressément la présence de la Mère de Jésus parmi les femmes de la première communauté en attente de la Pentecôte (cf. Ac 1,14).

En revanche, en l'absence d'autres témoignages néo-testamentaires et de données sûres provenant de sources historiques, nous ne savons rien de la vie de Marie après l'événement de la Pentecôte, ni sur la date et les circonstances de sa mort. Nous ne pouvons que supposer qu'elle a continué à habiter avec l'apôtre Jean et qu'elle a été très proche du développement de la première communauté chrétienne.

La rareté des données sur la vie terrestre de Marie est compensée par leur qualité et leur richesse théologique, que l'exégèse actuelle met soigneusement en relief.

Du reste, il faut rappeler que la perspective des Évangélistes est totalement christologique et ne veut s'intéresser à la Mère qu'en relation avec la joyeuse annonce du Fils. Comme l'observait déjà saint Ambroise, en exposant le mystère de l'Incarnation, l'Évangéliste " a cru bon de ne pas rechercher d'autres témoignages sur la virginité de Marie, pour ne pas apparaître comme le défenseur de la Vierge plutôt que le héraut du Mystère " (Exp. in Lucam, 2, 6 PL 15, 1555).

Nous pouvons reconnaître dans ce fait une intention spéciale de l'Esprit Saint, qui a voulu susciter dans l'Église un effort de recherche qui, tout en conservant le caractère central du mystère du Christ, ne se perdrait pas dans les détails concernant la vie de Marie, mais viserait à découvrir surtout son rôle dans l'oeuvre du salut, sa sainteté personnelle et sa mission maternelle dans la vie chrétienne.

L'Esprit Saint guide l'effort de l'Église, la poussant à prendre les mêmes attitudes que Marie. Dans le récit de la naissance de Jésus, Luc note comment sa mère observait toutes choses "en les méditant dans son coeur " (2, 19), c'est-à-dire qu'elle s'efforçait de "mettre ensemble" (" symballousa "), par un regard plus profond, tous les événements dont elle avait été le témoin privilégié.

De manière analogue, le Peuple de Dieu est lui aussi poussé par le même Esprit à comprendre en profondeur tout ce qui a été dit de Marie, pour progresser dans l'intelligence de sa mission, intimement liée au mystère du Christ.

Dans le développement de la mariologie, apparaît donc un rôle particulier du peuple chrétien. Il coopère, par l'affirmation et le témoignage de sa foi, au progrès de la doctrine mariale qui, normalement, n'est pas la tâche des seuls théologiens, même si leur tâche demeure indispensable pour l'approfondissement et la claire exposition du donné de la foi et aussi de l'expérience chrétienne.

La foi des gens simples est admirée et louée par Jésus, qui y reconnaît une manifestation merveilleuse de la bienveillance du Père (cf. Mt 11, 25 ; Lc 10, 21). Elle continue au cours des siècles à proclamer les merveilles de l'histoire du salut, cachées aux " savants ". Cette foi, en harmonie avec la simplicité de la Vierge, a fait progresser la reconnaissance de sa sainteté personnelle et de la valeur transcendante de sa maternité.

Le mystère de Marie invite tout chrétien, en communion avec l'Église, à " méditer dans son coeur" ce qu'affirme la révélation évangélique au sujet de la Mère du Christ. Dans la logique du " Magnificat ", chacun fera l'expérience par lui-même, à la suite de Marie, de l'amour de Dieu, et découvrira, dans les merveilles accomplies par la Très Sainte Trinité dans celle qui est " pleine de grâces ", un signe de la tendresse de l'homme pour Dieu.

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Audience générale du 22 novembre 1995

L'influence de Marie dans, la vie de l'Eglise

Cher(e) ami(e)s ,




Après avoir réfléchi sur la dimension mariale de la vie ecclésiale, nous allons maintenant nous efforcer de mettre en lumière l'immense richesse spirituelle que Marie communique à l'Église par son exemple et son intercession.

Nous voudrions tout d'abord réfléchir sur certains aspects significatifs de la personnalité de Marie, qui donnent à tout fidèle des indications précieuses pour accueillir et réaliser pleinement la vocation qui est la sienne.

Marie nous a précédés sur le chemin de la foi : en croyant au message de l'Ange, elle accueille la première, et de manière parfaite, le mystère de l'Incarnation (cf. Redemptoris Mater, 13). Son itinéraire de croyante commence bien avant que prenne forme sa maternité divine, et se développe et s'approfondit tout au long de son expérience terrestre. Sa foi est une foi audacieuse qui, à l'Annonciation, croit à ce qui est humainement impossible et qui, à Cana, pousse Jésus à accomplir son premier miracle en le provoquant à manifester ses pouvoirs messianiques (cf. Jn 2, 1-5).

Marie apprend aux chrétiens à vivre leur foi comme un chemin engageant et exigeant qui, à tous les âges et dans toutes les situations de la vie, requiert une audace et une persévérance constantes.

À la foi de Marie est liée sa docilité à la volonté divine. En croyant à la Parole de Dieu, elle a pu l'accueillir pleinement dans son existence et, se montrant disponible au souverain dessein divin, elle a accepté tout ce que le Ciel lui demandait.

La présence de la Vierge dans l'Église encourage ainsi les chrétiens à se mettre chaque jour à l'écoute de la Parole du Seigneur, pour saisir, dans les divers événements quotidiens, son dessein d'amour, en coopérant fidèlement à sa réalisation.

Marie apprend de cette manière à la communauté des croyants à regarder l'avenir en s'abandonnant pleinement à Dieu. Dans l'expérience personnelle de la Vierge, l'espérance s'enrichit de motivations toujours nouvelles. Dès l'Annonciation, Marie concentre sur le Fils de Dieu incarné dans son sein virginal les attentes de l'ancien Israël. Son espérance se renforce au cours des phases suivantes : la vie cachée de Nazareth et le ministère public de Jésus. Sa grande foi dans la parole du Christ, qui avait annoncé sa résurrection le troisième jour, ne l'a pas fait vaciller, pas même devant le drame de la Croix : elle a conservé son espérance en l'accomplissement de l'oeuvre messianique, attendant sans hésitation, après les ténèbres du Vendredi Saint, le matin de la Résurrection.

Dans sa difficile insertion dans l'histoire, entre le "déjà-là" du salut reçu et le "pas encore" de sa pleine réalisation, la communauté des croyants sait qu'elle peut compter sur l'aide de la "Mère de l'Espérance" qui, parce qu'elle a fait l'expérience de la victoire du Christ sur les puissances de la mort, lui communique une capacité toujours nouvelle d'attente de l'avenir de Dieu et d'abandon aux promesses du Seigneur.

L'exemple de Marie fait mieux apprécier à l'Église la valeur du silence. Le silence de Marie n'est pas seulement la sobriété de ses paroles mais surtout une capacité sapientielle de faire mémoire et d'accueillir dans un regard de foi le mystère du Verbe fait homme et les événements de son existence terrestre.

C'est ce silence-accueil de la Parole, cette capacité de méditer sur le mystère du Christ, que Marie transmet au peuple croyant. Dans un monde plein de vacarme et de messages de tout genre, son témoignage fait apprécier un silence spirituellement riche et promeut l'esprit contemplatif.

Marie est le témoin de la valeur d'une existence humble et cachée. Normalement, tout le monde exige - ou au moins y tend - de pouvoir valoriser pleinement sa personne et ses qualités. Tout le monde est sensible à l'estime et à l'honneur. Les Évangiles nous rapportent à plusieurs reprises que les Apôtres ambitionnaient d'occuper les premières places dans le Royaume, qu'ils discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand, et que Jésus dut alors leur faire la leçon sur la nécessité de l'humilité et du service (cf. Mt 18, 1-5 ; 20, 20-28 ; Mc 9,33-37 ; 10, 35-45 ; Lc 9, 46-48 ; 22, 24-27). Au contraire, Marie n'a jamais désiré les honneurs et les avantages d'une position privilégiée ; elle a toujours cherché à faire la volonté de Dieu en menant une existence selon le plan salvifique du Père.

À tous ceux qui souvent ressentent le poids d'une existence apparemment insignifiante, Marie révèle combien la vie peut être précieuse si elle est vécue par amour du Christ et de nos frères.

En outre, Marie est le témoin de la valeur d'une vie pure et pleine de tendresse pour tous les hommes. La beauté de son âme, totalement donnée au Seigneur, est objet d'admiration pour le peuple chrétien. En Marie, la communauté chrétienne a toujours vu un idéal de femme, pleine d'amour et de tendresse, parce qu'elle a vécu dans la pureté du coeur et de la chair.

Devant le cynisme d'une certaine culture contemporaine qui, trop souvent, semble ne pas reconnaître la valeur de la chasteté et banalise la sexualité en la séparant de la dignité de la personne et du projet de Dieu, la Vierge Marie propose le témoignage d'une pureté qui éclaire la conscience et conduit à un amour plus grand pour les créatures et pour le Seigneur.


De plus, Marie apparaît aux chrétiens de tous les temps comme celle qui éprouve pour les souffrances de l'humanité une vive compassion. Cette compassion ne consiste pas seulement en une participation affective mais se traduit par une aide efficace et concrète devant les misères matérielles et morales de l'humanité.

En suivant Marie, l'Église est appelée à assumer une attitude identique à l'égard des pauvres et de tous ceux qui souffrent sur cette terre. L'attention maternelle de la Mère du Seigneur aux larmes, aux souffrances et aux difficultés des hommes de tous les temps, doit stimuler les chrétiens, tout spécialement à l'approche du troisième millénaire, à multiplier les signes concrets et visibles d'un amour qui fasse participer les humbles et tous ceux qui souffrent aujourd'hui, aux promesses et aux espérances du monde nouveau qui naît de la Pâque.


L'affection et la dévotion des hommes pour la Mère de Jésus dépassent les frontières visibles de l'Église et poussent les esprits à des sentiments de réconciliation. Comme une mère, Marie veut l'union de tous ses enfants. Sa présence dans l'Église constitue une invitation à conserver cette unanimité des coeurs qui était de mise dans la première communauté (cf. Ac 1, 14) et, par conséquent, à chercher aussi le chemin de l'unité et de la paix entre tous les hommes et femmes de bonne volonté.

Dans son intercession auprès de son Fils, Marie demande la grâce de l'unité du genre humain, en vue de la construction de la civilisation de l'amour, en éliminant les tendances à la division, les tentations de la vengeance et de la haine, et la fascination perverse de la violence.


Le sourire maternel de la Vierge, si souvent reproduit dans l'iconographie mariale, manifeste une plénitude de grâce et de paix qui veut se communiquer. Cette manifestation de la sérénité de l'esprit contribue efficacement à donner un visage joyeux à l'Eglise.

En acceptant à l'Annonciation l'invitation de l'ange à se réjouir : "Kairè" : "Réjouis-toi" (Lc 1, 28), Marie participe la première à la joie messianique, que les prophètes avaient annoncée à l'avance à la "Fille de Sion" (cf. Is 12, 6 ; So 3, 14-15 ; Za 9,8) et elle la transmet à l'humanité de tous les temps,

En l'invoquant comme "Causa nostrae laetitiae : "Cause de notre joie ", le peuple chrétien découvre en elle la capacité de communiquer la joie qui naît de l'espérance, même au milieu des épreuves de la vie, et de conduire à la joie qui n'aura pas de fin celui qui se confie à Elle.

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Audience générale du 6 décembre 1995

Le rôle de la femme à la lumière de Marie

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le montrer dans mes précédentes catéchèses, le rôle confié à Marie dans le dessein divin de salut éclaire la vocation de la femme dans la vie de l'Eglise et de la société, en définissant sa différence par rapport à l'homme. Le modèle constitué en Marie montre en effet clairement ce qui est spécifique à la personnalité féminine.

Dans des temps récents, certains courants du mouvement féministe, dans l'intention de favoriser l'émancipation de la femme, ont tenté de l'assimiler en tout à l'homme. Mais l'intention divine manifestée dans la création, tout en voulant que la femme soit égale à l'homme en dignité et en valeur, affirme dans le même temps clairement sa diversité et sa spécificité. L'identité de la femme ne peut consister à être une copie de l'homme, car elle est dotée de qualités et de prérogatives propres qui lui confèrent sa particularité et son autonomie, que l'on doit toujours promouvoir et encourager.

Ces prérogatives et ces particularités de la personnalité féminine ont atteint en Marie leur plein développement. La plénitude de la grâce divine a en effet favorisé en elle toutes les capacités naturelles qui sont typiques de la femme.

Le rôle de Marie dans l'oeuvre du salut est totalement dépendant de celui du Christ. Il s'agit d'une fonction unique, requise par l'accomplissement du mystère de l'Incarnation : la maternité de Marie était nécessaire pour donner au monde le Sauveur, vrai Fils de Dieu, mais aussi parfaitement homme.

L'importance de la coopération de la femme à la venue du Christ est mise en évidence par l'initiative de Dieu qui, par l'Ange, fait connaître à la Vierge de Nazareth son dessein de salut, afin qu'elle puisse y coopérer d'une manière consciente et libre, en exprimant son consentement généreux.

Ici se réalise le modèle le plus élevé de la collaboration responsable de la femme à la rédemption de l'homme – de tout l'homme – qui constitue la référence transcendante pour toute affirmation concernant le rôle et la fonction de la femme dans l'histoire.

2. En réalisant cette forme sublime de coopération, Marie indique aussi le style qui doit concrétiser la mission de la femme. Devant l'annonce de l'Ange, la Vierge ne manifeste aucune attitude de revendication orgueilleuse, et ne veut pas non plus satisfaire des ambitions personnelles. Luc nous la présente comme seulement désireuse d'offrir son humble service, dans une disponibilité totale et confiante au dessein divin de salut. C'est là le sens de sa réponse: "Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole" (Lc 1, 38).

Il ne s'agit pas en effet d'un accueil purement passif, puisque son consentement n'est donné qu'après avoir manifesté la difficulté qui naît de son propos de virginité, inspiré par la volonté d'appartenir plus intégralement au Seigneur.

Après avoir reçu la réponse de l'Ange, Marie exprime immédiatement sa disponibilité, conservant une attitude d'humble service.

C'est l'humble, le précieux service que tant de femmes, à l'exemple de Marie, ont rendu et continuent à rendre à l'Église pour le développement du Royaume du Christ.

3. La figure de Marie rappelle aux femmes d'aujourd'hui la valeur de la maternité. Dans le monde actuel, on ne donne pas toujours à cette valeur l'importance qu'elle mérite. Dans certains cas, la nécessité du travail féminin pour pourvoir aux exigences accrues de la famille et une fausse conception de la liberté, qui voit dans le soin des enfants un obstacle à l'autonomie et aux possibilités d'affirmation de la femme, ont obscurci la signification de la maternité pour le développement de la personnalité féminine. Dans d'autres cas, au contraire, l'aspect de l'engendrement biologique devient tellement important qu'il met dans l'ombre les autres possibilités importantes qu'a la femme pour exprimer sa vocation innée d'être mère.

En Marie, il nous est donné de comprendre la véritable signification de la maternité qui, à l'intérieur du dessein divin de salut, atteint sa dimension la plus élevée. Pour elle, être mère ne donne pas seulement à la personnalité féminine, fondamentalement orientée vers le don de la vie, son plein développement, mais constitue par ailleurs une réponse de foi à la vocation qui est celle de la femme, qui ne revêt sa valeur la plus haute qu'à la lumière de l'Alliance avec Dieu (cf. Mulieris dignitatem, 19).

4. En regardant attentivement la figure de Marie, nous découvrons également en elle le modèle de la virginité vécue pour le Royaume.

Vierge par excellence, elle a mûri dans son coeur le désir de vivre dans cet état pour parvenir à une intimité toujours plus profonde avec Dieu.

Pour les femmes appelées à la chasteté virginale, Marie, en révélant la haute signification d'une vocation si spéciale, attire l'attention sur la fécondité spirituelle qu'elle comporte dans le plan divin : une maternité d'ordre supérieur, une maternité selon l'Esprit (cf. Mulieris dignitatem, 21),

La coeur maternel de Marie, ouvert à toutes les misères humaines, rappelle encore aux femmes que le développement de la personnalité féminine requiert l'engagement de la charité. Plus sensible aux valeurs du coeur, la femme montre une grande capacité de don personnel.

À tous ceux qui, en notre temps, proposent des modèles égoïstes pour l'affirmation de la personnalité féminine, la figure lumineuse et sainte de la Mère du Seigneur montre que c'est seulement en se donnant et en s'oubliant soi-même pour les autres qu'il est possible de parvenir à une réalisation authentique du projet divin sur notre vie.

La présence de Marie encourage donc chez les femmes les sentiments de miséricorde et de solidarité pour les situations humaines douloureuses, et suscite la volonté d'alléger les peines de ceux qui souffrent : les pauvres, les malades et tous ceux qui ont besoin de secours.

En vertu de son lien particulier avec Marie, la femme a souvent représenté, au cours de l'histoire, la proximité de Dieu aux attentes de bonté et de tendresse de l'humanité blessée par la haine et le péché, semant dans le monde les germes d'une civilisation qui sait répondre à la violence par l'amour.

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Audience générale du 3 janvier 1996

L'exposition de la doctrine mariale

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Suivant la Constitution dogmatique Lumen gentium qui, au chapître VIII, a voulu "mettre soigneusement en lumière d'une part le rôle de la bienheureuse Vierge Marie dans le mystère du Verbe incarné et du Corps mystique et, d'autre part, les devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu", je voudrais donner dans ces catéchèses une synthèse essentielle de la foi de l'Eglise sur Marie, tout en réaffirmant avec le Concile que je ne veux pas " proposer une doctrine exhaustive " ni " trancher des questions que le travail des théologiens n'a pu encore amener à une lumière totale" (n. 54).

Je voudrais tout d'abord décrire "la fonction de la bienheureuse Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du Corps mystique" (ibid.), en recourant aux données de l'Ecriture et de la Tradition apostolique, et en tenant compte du développement doctrinal qui s'est produit dans l'Eglise jusqu'à nos jours.

De plus, puisque le rôle de Marie dans l'histoire du salut est étroitement lié au mystère du Christ et de l'Eglise, je garderai à l'esprit ces références essentielles qui, en donnant à la doctrine mariale sa juste place, permettent d'en découvrir la vaste et inépuisable richesse.

L'exploration du mystère de la Mère du Seigneur est vraiment très vaste et a mobilisé au cours des siècles de nombreux pasteurs et théologiens. Dans leur tentative de mettre en relief les aspects centraux de la mariologie, certains en ont parfois traité en même temps que la christologie ou l'ecclésiologie. Mais, tout en tenant compte de sa relation avec tous les mystères de la foi, Marie mérite un traité à part qui mette en évidence sa personne et sa fonction dans l'histoire du salut, à la lumière de la Bible et de la tradition ecclésiale.

2. Il semble en outre utile, en suivant les indications conciliaires, d'exposer soigneusement "les devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu, Mère du Christ et Mère des hommes, spécialement des fidèles " (ibid.).

Le rôle assigné à Marie par le dessein divin de salut demande en effet, chez les chrétiens, non seulement accueil et attention, mais aussi des choix concrets qui traduisent dans la vie les attitudes évangéliques de celle qui précède l'Église dans la foi et la sainteté. La Mère du Seigneur est ainsi destinée à exercer une influence spéciale sur la manière de prier des fidèles. La liturgie elle-même de l'Église reconnaît sa place singulière dans la dévotion et l'existence de tout croyant.

Il faut souligner que la doctrine et le culte marials ne sont pas des fruits du sentimentalisme. Le mystère de Marie est une vérité révélée qui s'impose à l'intelligence des croyants et exige de ceux qui ont dans l'Eglise la tâche de l'étude et de l'enseignement une méthode de réflexion doctrinale non moins rigoureuse que celle que l'on emploie dans toute la théologie.

Du reste, Jésus lui-même a invité ses contemporains à ne pas se laisser mener par l'enthousiasme dans la contemplation de sa Mère, reconnaissant en Marie surtout celle qui est bienheureuse parce qu'elle écoute la Parole de Dieu et la met en pratique (cf. Lc 11, 28).

Ce n'est pas seulement l'affection mais surtout la lumière de l'Esprit qui doit nous guider pour comprendre la Mère de Jésus et sa contribution à l'oeuvre du salut.

3. Quant à la mesure et à l'équilibre à garder dans la doctrine comme dans le culte marial, le Concile exhorte chaleureusement les théologiens et les prédicateurs de la Parole divine à " s'abstenir soigneusement de toute fausse exagération... " (LG, 67).

Celles-ci viennent de ceux qui adoptent une attitude maximaliste, qui prétend étendre systématiquement à Marie les prérogatives du Christ et tous les charismes de l'Eglise.

Au contraire, il est nécessaire de toujours sauvegarder, dans la doctrine mariale, la différence infinie qui existe entre la personne humaine de Marie et la personne divine de Jésus. Attribuer à Marie " le maximum " ne peut pas devenir une norme de la mariologie, qui doit se référer constamment à ce dont témoigne la Révélation quant aux dons faits par Dieu à la Vierge en vertu de sa très haute mission.

De manière analogue, le Concile exhorte les théologiens et les prédicateurs à " s'abstenir d'une excessive étroitesse d'esprit " (ibid.), c'est-à-dire du danger de minimalisme qui peut se présenter dans des positions doctrinales, des interprétations exégétiques et des actes du culte qui tendent à réduire et comme à évacuer l'importance de Marie dans l'histoire du salut, sa virginité perpétuelle et sa sainteté.

Il faut toujours éviter ces positions extrêmes en vertu d'une fidélité cohérente et sincère envers la vérité révélée, telle qu'elle s'exprime dans l'Écriture et la Tradition apostolique.

4. Le même Concile nous donne un critère qui permet de discerner l'authentique doctrine mariale : "Dans l'Église, Marie occupe, après le Christ, la place la plus élevée et la plus proche de nous " (LG, 54).

Le place la plus élevée : nous devons découvrir cette grandeur conférée à Marie dans le mystère du salut. Il s'agit cependant d'une vocation qui est totalement en référence au Christ.

La place la plus proche de nous : notre vie est profondément influencée par l'exemple et l'intercession de Marie. Mais nous devons nous interroger sur notre effort pour être proches d'elle. Toute la pédagogie de l'histoire du salut nous invite à regarder vers la Vierge. L'ascèse chrétienne de chaque époque nous invite à penser à elle comme à un modèle d'adhésion parfaite à la volonté du Seigneur. Modèle choisi de sainteté, Marie guide les pas des croyants sur le chemin du Paradis.

Parce qu'elle est proche des événements de notre histoire quotidienne, Marie nous soutient dans les épreuves, nous encourage dans les difficultés, nous indiquant toujours le but du salut éternel. Ainsi apparaît toujours plus évident son rôle de Mère : Mère de son Fils Jésus, Mère tendre et vigilante pour chacun d'entre nous sur la Croix, le Rédempteur nous l'a confiée pour que nous l'accueillions comme des enfants dans la foi.

 

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Audience générale du 24 avril 1996

La Fille de Sion

Cher(e) ami(e)s ,

1.
La Bible emploie souvent l'expression "fille de Sion" pour indiquer les habitants de la ville de Jérusalem, dont le mont Sion constitue la partie historiquement et religieusement la plus importante (cf. Mi 4, 10-13 ; So 3, 14-18 ; Za 2, 14 ; 9,9-10).

Cette personnalisation au féminin rend plus facile l'interprétation sponsale des relations d'amour entre Dieu et Israël, qualifié souvent de "fiancée" ou d'"épouse".

L'histoire du salut est l'histoire de l'amour de Dieu, mais souvent aussi de l'infidélité de l'être humain. La Parole du Seigneur réprimande souvent le "peuple époux" qui brise l'alliance nuptiale établie avec Dieu : "Mais comme une femme qui trahit son compagnon, ainsi vous m'avez trahi, maison d'Israël" (Jr 3, 20), et elle invite les fils d'Israël à accuser leur mère : "Intentez un procès à votre mère, intentez-lui un procès, car elle n'est plus ma femme et moi je ne suis plus son mari!" (Os 2,4).

En quoi consiste le péché d'infidélité dont se souille Israël, "l'épouse" de Yahvé? Il consiste principalement dans l'idolâtrie : selon le texte sacré, pour le Seigneur, le recours du peuple élu aux idoles équivaut à un adultère.

2. C'est le prophète Osée qui développe, avec des images fortes et dramatiques, le thème de l'alliance sponsale entre Dieu et son peuple, et la trahison de ce dernier. Son histoire personnelle même, en devient un symbole éloquent. Lorsque naît son fils, en effet, il reçoit l'ordre : "Appelle-le : "Non-Mon-Peuple ", car vous n'êtes pas mon peuple et je n'existe pas pour vous" (Os 1,9).

Le rappel du Seigneur et l'expérience décevante du culte rendu aux idoles feront s'assagir l'épouse infidèle qui, repentie, dira : "Je veux retourner vers mon premier mari, car j'étais plus heureuse alors que maintenant" (Os 2,9). Mais Dieu lui-même désire rétablir l'alliance et alors sa parole se fait mémoire, miséricorde et tendresse : " C'est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur " (Os 2, 16). Le désert est en effet le lieu où Dieu, après la libération de l'esclavage, a établi l'alliance définitive avec son peuple.

Par l'intermédiaire de ces images d'amour, qui redisent le difficile rapport entre Dieu et Israël, le prophète illustre le grand drame du péché, le malheur de l'infidélité et les efforts de l'amour divin pour parler au coeur des hommes et les faire revenir à l'alliance.

3. Malgré les difficultés du présent, Dieu annonce par la bouche du prophète une alliance plus parfaire dans l'avenir : " Il adviendra en ce jour-là - oracle du Seigneur - que tu m'appelleras : "Mon mari ", et tu ne m'appelleras plus : "Mon Baal "... Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur" (Os 2, 18.21-22).

Le Seigneur ne se décourage pas devant les faiblesses humaines, mais il répond aux infidélités des hommes en proposant une union plus stable et plus intime : "Je les sèmerai à nouveau dans le pays, j'aurai pitié de "Non-Aimée ", et à " Non-Mon-Peuple " je dirai : "mon peuple", et lui me dira : "mon Dieu""(Os 2, 25). Cette perspective d'une nouvelle alliance est proposée par Jérémie au peuple en exil : "En ce temps-là - oracle du Seigneur -, je serai le Dieu de toutes les familles d'Israël, et elles seront mon peuple. Ainsi parle le Seigneur : il a trouvé grâce au désert, le peuple échappé à l'épée. Israël marche vers son repos. De loin, le Seigneur lui est apparu : d'un amour éternel je t'ai aimée, aussi t'ai-je maintenu ma faveur. De nouveau je te bâtirai et tu seras rebâtie, vierge d'Israël " (Jr 31, 1-4).

Malgré les infidélités du peuple, l'amour éternel de Dieu est toujours prêt à rétablir le pacte d'amour et à donner un salut qui dépasse toute attente.

4. Ézéchiel et Isaïe font eux aussi référence à l'image de la femme infidèle qui est pardonnée.

Par l'intermédiaire d'Ezéchiel, le Seigneur dit à l'épouse : " Moi, je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse et j'établirai en ta faveur une alliance éternelle " (Ez 16,60).

Le Livre d'Isaïe rapporte un oracle plein de tendresse : "Ton Créateur est ton Epoux... Un court instant, je t'avais délaissée, ému d'une immense pitié je vais t'unir à moi. Débordant de fureur, un instant, je t'avais caché ma face. Dans un amour éternel, j'ai eu pitié de toi, dit le Seigneur, ton rédempteur" (Is 54,5.7-8).

Cette promesse faite à la fille de Sion est un amour nouveau et fidèle, une magnifique espérance qui dépasse l'abandon de la femme infidèle. "Dites à la fille de Sion : voici que vient ton salut, voici avec lui sa récompense et devant lui son salaire. On les appellera : "le peuple saint ", " les rachetés du Seigneur". Quant à toi, on t'appellera: "recherchée ", "ville non délaissée " (Is 62, 11-12).

Le prophète précise : " On ne te dira plus : "délaissée ", et de ta terre, on ne dira plus : "désolation". Mais on t'appellera : "Mon plaisir est en elle ", et ta terre : "épousée". Car le Seigneur trouvera en toi son plaisir, et ta terre sera épousée. Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t'épousera. Et c'est la joie de l'époux au sujet de l'épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet" (Is 62, 4-5).

Des images et des attitudes d'amour que le Cantique des Cantiques synthétise dans l'expression : "Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi "(Ct 6, 3). C'est en ces termes qu'est réaffirmé, de manière idéale, le rapport entre Yahvé et son peuple.

5. Quant elle écoutait la lecture des oracles prophétiques, Marie devait se référer à ces perspectives qui nourrissaient dans son coeur l'espérance messianique.

Les reproches adressés au peuple devaient susciter en elle un engagement plus ardent de fidélité à l'alliance, ouvrant son esprit à la proposition d'une communion sponsale définitive avec le Seigneur, dans la grâce et l'amour. De cette nouvelle alliance devait venir le salut du monde entier.

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Audience générale du 1er mai 1996

La nouvelle Fille de Sion

Cher(e) ami(e)s ,

Ce jour, 1er mai, est une journée consacrée dans de nombreuses parties du monde au travail humain. Pour l'Eglise, cette journée rappelle le travail de Nazareth où, aux côtés de Joseph artisan, Jésus lui-même a travaillé pendant de nombreuses années. Prions pour tous ceux qui sont responsables du travail humain, pour tous les travailleurs du monde, pour le travail humain sous toutes ses formes. Je me souviens toujours de mon Encyclique Laborem exercens, la première de mes Encycliques sociales, consacrée à ce grand problème.

C'est aujourd'hui le premier jour du mois de mai. Et ce mois est consacré totalement au culte de Marie. Une grande dévotion mariale est liée au mois de mai. C'est ce qui explique le thème de ma catéchèse de ce jour. Un thème marial, pour continuer les catéchèses mariologiques que j'ai proposées au cours de ces derniers mois.

1. Au moment de l'Annonciation, Marie "fille de Sion par excellence " (LG, 55), est saluée par l'ange comme la représentante de l'humanité, appelée à donner son consentement à l'Incarnation du Fils de Dieu.
La première parole que l'ange lui adresse est une invitation à la joie " chairé ", c'est-à-dire " réjouis-toi! ". Le mot grec a été traduit en latin par "Ave ", une simple expression de salut, qui ne semble pas correspondre pleinement aux intentions du messager divin et au contexte dans lequel se déroule la rencontre.

Certes, " chairé " était aussi une formule de salutation, souvent employée par les Grecs, mais les circonstances extraordinaires dans lesquelles ce mot est ici prononcé sont étrangères au climat d'une rencontre habituelle. En effet, il ne faut pas oublier que l'Ange a conscience d'être le porteur d'une nouvelle unique dans l'histoire de l'humanité. Une simple salutation usuelle serait donc ici hors de propos. Au contraire, la référence à la signification originaire de l'expression "chairé", qui est "réjouis-toi!", semble mieux convenir à cette circonstance exceptionnelle.

Comme l'ont constamment souligné surtout les Pères grecs, en citant divers oracles prophétiques, l'invitation à la joie convient particulièrement à l'annonce de la venue du Messie.

2. La pensée se tourne tout d'abord vers le prophète Sophonie. Le texte de l'Annonciation présente un parallélisme significatif avec son oracle " Pousse des cris de joie, fille de Sion, une clameur d'allégresse, Israël! Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem" (So 3, 14). Il y a l'invitation à la joie " Réjouis-toi... de tout ton coeur!". Il y a l'allusion à la présence du Seigneur : " Le Seigneur est roi d'Israël au milieu de toi" (verset 15). Il y a l'exhortation à ne pas avoir peur : " Sois sans crainte, Sion! Que tes mains ne défaillent pas! " (verset 16). Il y a enfin la promesse de l'intervention salvifique de Dieu : " Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi, sauveur puissant " (verset 17). Les correspondances entre les deux textes sont si nombreuses et ponctuelles qu'elles nous conduisent à reconnaître en Marie la "nouvelle fille de Sion ", qui a un immense motif de se réjouir car Dieu a décidé de réaliser son plan de salut.

Nous trouvons une invitation analogue à la joie, même si c'est dans un contexte différent, dans la prophétie de Joël : " Terre, ne crains plus, jubile et sois dans l'allégresse, car le Seigneur a fait de grandes choses... Et vous saurez que je suis au milieu d'Israël" (Jl 2, 21. 27).

3. L'oracle de Zacharie, cité à propos de l'entrée de Jésus à Jérusalem (cf. Mt 21, 5 ; Jn 12, 15), est lui aussi significatif. Il situe le motif de la joie dans la venue du roi messianique : " Exulte avec force, fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton Roi vient à toi. Il est juste et victorieux, humble... Il annoncera la paix aux nations " (Za 9, 9-10).

Enfin, c'est à partir de la postérité nombreuse, signe de bénédiction divine, que le Livre d'Isaïe fait naître, pour la nouvelle Sion, l'annonce de la joie : " Crie de joie, stérile, toi qui n'as pas enfanté ; pousse des cris de joie, des clameurs, toi qui n'as pas mis au monde, car plus nombreux sont les fils de la délaissée que les fils de l'épouse, dit le Seigneur" (Is 54, 1).

Les trois motifs de l'invitation à la joie : la présence salvifique de Dieu au milieu de son peuple, la venue du roi messianique et la fécondité gratuite et surabondante, trouvent en Marie leur pleine réalisation. Ils légitiment le sens prégnant que la tradition a attribué à la salutation de l'Ange. En l'invitant à donner son consentement à la réalisation de la promesse messianique et en lui annonçant sa très haute dignité de Mère du Sauveur, l'ange ne pouvait pas ne pas inviter Marie à se réjouir. En effet, comme le Concile nous le rappelle, "avec elle, la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s'accomplissent les temps et s'instaure l'économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit d'elle la nature humaine pour libérer l'homme du péché par les mystères de sa chair " (LG, 55).

4. Le récit de l'Annonciation nous permet de reconnaître en Marie la nouvelle "fille de Sion ", invitée par Dieu à une grande joie. Il exprime son rôle extraordinaire de Mère du Messie et même de Mère du Fils de Dieu. La Vierge accueille le message au nom du peuple de David, mais nous pouvons dire qu'elle l'accueille au nom de toute l'humanité, car l'Ancien Testament étendait à toutes les nations le rôle du Messie davidique (cf. Ps 2, 8 ; 71, 8). Dans l'intention divine, l'annonce qui lui est faite vise au salut universel.

Pour confirmer cette perspective universelle du dessein divin, nous pouvons rappeler certains textes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui comparent le salut à un grand banquet de tous les peuples sur le mont Sion (cf. Is 25, 6 et s.), et qui annoncent le banquet final du Royaume des Cieux (cf. Mt 22, 1-10).

En tant que "fille de Sion ", Marie est la Vierge de l'alliance que Dieu passe avec toute l'humanité. Le rôle représentatif de Marie dans cet événement est clair. Et il est significatif que ce soit une femme qui joue un tel rôle.

5. En tant que nouvelle "fille de Sion ", Marie est en effet particulièrement apte à entrer dans l'alliance sponsale avec Dieu. Plus et mieux que tout autre membre du Peuple élu, elle peut offrir au Seigneur un vrai coeur d'Épouse. Avec Marie, la "Fille de Sion ", ce n'est plus simplement un sujet collectif, mais une personne qui représente l'humanité et qui, au moment de l'Annonciation, répond à la proposition de l'amour divin par son propre amour sponsal. Elle accueille ainsi d'une manière tout à fait particulière la joie annoncée par les oracles prophétiques, une joie qui atteint son sommet dans l'accomplissement du dessein divin.

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Audience générale du 15 mai 1996

La sainteté parfaite de Marie

Cher(e) ami(e)s ,


1.
En Marie, " pleine de grâce ", l'Église a reconnu " la Toute-Sainte, indemne de toute tache de péché ", " enrichie dès le premier instant de sa conception d'une sainteté éclatante absolument unique" (LG, 56).

Cette reconnaissance a demandé une longue réflexion doctrinale, qui a abouti finalement à la proclamation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception.

L'appellation " Toi qui as été rendue pleine de grâce ", que l'Ange adresse à Marie lors de l'Annonciation, montre l'exceptionnelle faveur divine qui a été accordée à la jeune fille de Nazareth en vue de sa maternité annoncée, mais elle indique aussi plus directement l'effet de la grâce divine en Marie. Marie a été intimement et constamment imprégnée de la grâce, et donc sanctifiée. La qualification de "kecharitoméne " a une signification très dense, que l'Esprit Saint a sans cesse fait approfondir par l'Église.

2. J'ai souligné dans mes catéchèses précédentes que, dans la salutation de l'Ange, l'expression " pleine de grâce " a pratiquement valeur de nom : c'est le nom de Marie aux yeux de Dieu. Selon l'usage sémitique, le nom exprime la réalité des personnes et des choses ainsi désignées. Par conséquent, le titre "pleine de grâce" manifeste la dimension la plus profonde de la personnalité de la jeune fille de Nazareth : elle est modelée par la grâce et l'objet de la faveur divine, au point qu'elle peut être définie par cette prédilection toute spéciale.

Le Concile rappelle que les Pères de l'Eglise se référaient à cette vérité quand ils appelaient Marie " la Toute-Sainte ", affirmant en même temps qu'elle avait été "pétrie par l'Esprit Saint et formée comme une créature nouvelle " (LG, 56).

La grâce, entendue dans son sens de " grâce sanctifiante " qui donne la sainteté personnelle, a réalisé en Marie la création nouvelle, la rendant pleinement conforme au projet de Dieu.

3. Ainsi la réflexion doctrinale a-t-elle pu attribuer à Marie une perfection de sainteté qui, pour être complète, devait nécessairement affecter sa vie dès son origine.

C'est de cette pureté originelle que semble traiter un évêque de Palestine, qui a vécu entre 550 et 650, Theoteknos de Livias. Présentant Marie comme " sainte et toute-belle ", " pure et sans tache ", il fait allusion à sa naissance en ces termes : "Elle naît comme les chérubins, celle qui est d'une argile pure et immaculée " (Panégyrique pour la fête de l'Assomption, 5-6).

Cette dernière expression, qui rappelle la création du premier homme formé à partir d'une glaise non marquée par le péché, attribue les mêmes caractéristiques à la naissance de Marie : l'origine de Marie a été elle aussi " pure et immaculée ", c'est-à-dire sans aucun péché. Par ailleurs, la comparaison avec les chérubins confirme l'excellence de la sainteté qui a caractérisé la vie de Marie dès le début de son existence.

L'affirmation de Theoteknos marque une étape importante de la réflexion théologique sur le mystère de la Mère du Seigneur. Les Pères grecs et orientaux avaient admis une purification opérée par la grâce en Marie, soit avant l'Incarnation (saint Grégoire de Nazianze, Oratio 38, 16), soit au moment même de l'Incarnation (saint Ephrem, Sévérien de Gabala, Jacques de Saroug). Theoteknos de Livias semble réclamer pour Marie une pureté absolue dès le commencement de sa vie. En effet, celle qui était destinée à devenir la Mère du Sauveur ne pouvait pas ne pas avoir une origine parfaitement sainte, sans aucune tache.

4. Au VIIIe siècle, André de Crète est le premier théologien qui voit dans la nativité de Marie une nouvelle création. Voici son argumentation : "Toute l'humanité, dans toute la splendeur de sa noblesse immaculée, reçoit son ancienne beauté. La honte du péché avait obscurci la splendeur et le charme de la nature humaine. Mais, quand naît la Mère de Celui qui est la Beauté par excellence, cette nature récupère en sa personne ses anciens privilèges et est formée selon un modèle parfait et vraiment digne de Dieu... Aujourd'hui commence la réforme de notre nature et le monde vieilli, soumis à une transformation toute divine, reçoit les prémices de la seconde création " (Sermon I sur la Nativité de Marie).

Revenant alors à l'image de la glaise primitive, il affirme : " Le corps de la Vierge est une terre que Dieu a travaillée, les prémices de la masse adamique divinisée par le Christ, l'image qui ressemble vraiment à la beauté primitive, l'argile pétri par les mains de l'Artiste divin " (Sermon I sur la Dormition de Marie).

La Conception pure et immaculée de Marie apparaît ainsi comme le commencement de la nouvelle création. Il s'agit d'un privilège personnel accordé à la femme choisie pour être la Mère du Christ, qui inaugure le temps de la grâce abondante, voulu par Dieu pour toute l'humanité.

Cette doctrine, reprise dans ce même VIIIe siècle par saint Germain de Constantinople et par saint Jean Damascène, éclaire la valeur de la sainteté originelle de Marie, présentée comme le commencement de la rédemption du monde.

Ainsi, la réflexion ecclésiale reçoit et explicite le sens authentique du titre "pleine de grâce " donné par l'ange à la Sainte Vierge. Marie est pleine de grâce sanctifiante, et elle est telle dès le premier moment de son existence. Cette grâce, selon la Lettre aux Ephésiens (1, 6) est accordée dans le Christ à tous les croyants. La sainteté originelle de Marie constitue le modèle incomparable du don et de la diffusion de la grâce du Christ dans le monde.

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Audience générale du 25 octobre 1995

Marie, Mère du Rédempteur

Cher(e) ami(e)s ,


En affirmant que "la Vierge Marie est reconnue et honorée comme la véritable Mère de Dieu et du Rédempteur" (Lumen gentium, n. 53), le Concile Vatican II attire l'attention sur le lien existant entre la maternité de Marie et la rédemption.

Après avoir pris conscience du rôle maternel de Marie, vénérée dans la doctrine et dans le culte des premiers siècles en tant que Mère virginale de Jésus-Christ et donc Mère de Dieu, au Moyen Age la piété et la réflexion théologique de l'Église, approfondissent sa collaboration à l'oeuvre du Sauveur.

Ce retard s'explique du fait que l'effort des Pères de l'Église et des premiers Conciles oecuméniques, qui était centré sur le mystère de l'identité du Christ, laissa nécessairement dans l'ombre d'autres aspects du dogme. Ce n'est que progressivement que la vérité révélée pourra être explicitée dans toute sa richesse. Au cours des siècles, la mariologie s'orientera toujours en fonction de la christologie. La maternité divine de Marie est proclamée lors du Concile d'Ephèse, précisément pour affirmer l'unité personnelle du Christ. Il en va de même pour l'approfondissement de la présence de Marie dans l'histoire du salut.

A la fin du deuxième siècle, saint Irénée, disciple de Polycarpe, met déjà en évidence la contribution de Marie à l'oeuvre du salut. Il a compris la valeur de l'assentiment de Marie lors de l'Annonciation, reconnaissant dans l'obéissance et dans la foi de la Vierge de Nazareth au message de l'ange, la parfaite antithèse de la désobéissance et de l'incrédulité d'Eve, ce qui aura un effet bénéfique sur le destin de l'humanité. En effet, de même qu'Eve a été une cause de mort, Marie, par son " oui ", est devenue une "cause de salut" pour elle-même et pour tous les hommes (cf. Adv. Haer. 3.22, 4; SC 211, 441). Mais il s'agit d'une affirmation qui n'est pas développée de façon organique et habituelle par les autres Pères de l'Église.

En revanche, cette doctrine est élaborée pour la première fois de façon systématique à la fin du Xe siècle, dans la " Vie de Marie" d'un moine byzantin, Jean le Géomètre. Dans cet ouvrage, Marie est unie au Christ dans toute son oeuvre rédemptrice en participant à la Croix, selon le plan divin, et en souffrant pour notre salut. Elle est demeurée unie à son Fils " dans toutes ses actions, son comportement et sa volonté" (Vie de Marie, Bol. 196, f. 122 v.). L'association de Marie à l'oeuvre salvifique de Jésus a lieu à travers son amour de Mère, un amour animé par la grâce, qui lui confère une force supérieure : celle qui est la plus exempte de passions se révèle la plus riche de compassion (cf. ibid. Bol. 196, f. 123 v.).

En Occident, saint Bernard, mort en 1153, s'adressant à Marie, commente ainsi la présentation de Jésus au temple : "Offre ton Fils, Très Sainte Vierge, et présente au Seigneur le fruit de ton sein. Pour notre réconciliation avec tous, offre la victime sainte, agréable à Dieu" (Sermon 3 pour la Purification n. 2, PL 183, 370).

Un disciple et ami de saint Bernard, Arnaud de Chartres, met en lumière l'offrande particulière de Marie lors du sacrifice du Calvaire. Il distingue dans la Croix "deux autels : l'un dans le coeur de Marie, l'autre dans le corps du Christ. Le Christ immolait sa chair, Marie son âme". Marie s'immole spirituellement en profonde communion avec le Christ et implore le salut du monde : "Ce que la Mère demande, le Fils l'approuve, le Père le donne" (De septem verbis Domini in cruce, 3 : PL 189, 1694).

A partir de cette époque, d'autres auteurs exposent la doctrine de la participation particulière de Marie au sacrifice rédempteur.

En même temps se développe, dans le culte et dans la piété chrétienne, le regard contemplatif sur la "compassion" de Marie, représentée de façon éloquente dans les images de la Pietà. La participation de Marie au drame de la Croix rend cet événement plus profondément humain et aide les fidèles à entrer dans le mystère : la compassion de la Mère aide à mieux découvrir la Passion du Fils.

Avec la participation à l'oeuvre rédemptrice du Christ, est également reconnue la maternité spirituelle et universelle de Marie. En Orient, Jean le Géomètre dit de Marie : " Tu es notre Mère". En rendant grâce à Marie "pour les peines et les souffrances supportées pour nous", il en met en lumière son affection maternelle et sa qualité de mère à l'égard de tous ceux qui reçoivent le salut (cf. Discours d'adieu sur la Dormition de la très glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, in A. Wenger, L'Assomption de la Très Sainte Vierge dans la tradition byzantine, 407).

En Occident également la doctrine de la maternité spirituelle se développe avec saint Anselme, qui affirme : "Tu es la mère... de la réconciliation et des réconciliés, la mère du salut et des sauvés" (cf. Oratio 52, n. 8 : PL 158, 957 A).

Marie ne cesse pas d'être vénérée comme Mère de Dieu, mais le fait d'être notre Mère confère un nouveau visage à sa maternité divine et nous ouvre la voie à une communion plus intime avec elle.

La maternité de Marie à notre égard ne consiste pas seulement en un lien affectif : par ses mérites et son intercession, elle contribue de façon efficace à notre naissance spirituelle et au développement de la vie de la grâce en nous. C'est pour cette raison que Marie est appelée "Mère de la grâce", " Mère de la vie".

Le titre de " Mère de la vie" déjà utilisé par Grégoire de Nysse, a ainsi été expliqué par Guerrico d'Igny, mort en 1157 : "Elle est la Mère de la Vie, dont vivent tous les hommes : en engendrant en elle-même cette vie, d'une certaine façon elle a régénéré tous ceux qui devaient la vivre. Un seul fut engendré, mais nous fûmes tous régénérés" (In Assumpt. I, 2, PL 185, 188).

Un texte du treizième siècle, le " Mariale", utilisant une image audacieuse, attribue cette régénération au " travail douloureux " du Calvaire, à travers lequel "elle est devenue la Mère spirituelle de tout le genre humain "; en effet, " dans son sein chaste elle conçut, par compassion, les enfants de l'Église " (Q. 29, par. 3).

Le Concile Vatican II, après avoir affirmé que Marie " apporta à l'oeuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille... ", conclut ainsi : " C'est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l'ordre de la grâce, notre Mère " (Lumen gentium, n. 61), confirmant de cette façon le sentiment ecclésial qui voit Marie à côté de son Fils comme la Mère spirituelle de toute l'humanité.

Marie est notre Mère : cette vérité consolante, qui nous est offerte de façon toujours plus claire et profonde par l'amour et par la foi de l'Église, a soutenu et soutient notre vie spirituelle à tous et nous encourage, même dans la souffrance, à la confiance et à l'espérance.

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Audience générale du 15 novembre 1995

Marie dans l' expérience spirituelle de l'Église

Cher(e) ami(e)s ,



Après avoir étudié, dans nos catéchèses précédentes, comment s'est affermie, depuis les origines, la réflexion de la communauté chrétienne sur la figure et le rôle de la Vierge dans l'histoire du salut, nous méditerons aujourd'hui sur l'expérience mariale de l'Église.

Le développement de la réflexion mariologique et du culte de la Vierge au cours des siècles, a contribué à faire toujours mieux apparaître le visage marial de l'Église. Certes, la très sainte Vierge est entièrement tournée vers le Christ, fondement de la foi et de l'expérience ecclésiale, et c'est à lui qu'elle conduit. Aussi, obéissant à Jésus qui a réservé à sa Mère un rôle tout à fait spécial dans l'économie du salut, les chrétiens ont-ils vénéré et prié Marie d'une manière très particulière et intense. Ils lui ont attribué une position très importante dans la foi et la piété, reconnaissant en elle un chemin privilégié vers le Christ, Médiateur suprême.

La dimension mariale de l'Église constitue ainsi un élément indéniable dans l'expérience du peuple chrétien. Elle apparaît dans de nombreuses manifestations de la vie des croyants, témoignant de la place qu'occupe Marie dans leur coeur. Il ne s'agit pas d'un sentiment superficiel mais d'un lien affectif profond et conscient, enraciné dans la foi, qui pousse les chrétiens d'hier et d'aujourd'hui à recourir habituellement à Marie pour entrer dans une communion plus intime avec le Christ.


Après la plus ancienne prière, formulée en Égypte par les communautés chrétiennes du IIIe siècle pour implorer de la " Mère de Dieu " sa protection dans les dangers, les invocations adressées à celle que les baptisés affirment comme très puissante dans son intercession auprès du Seigneur, se sont multipliées.

Aujourd'hui, la prière la plus commune est celle de l'Ave Maria (" Je vous salue, Marie "), dont la première partie est composée de paroles tirées de l'Évangile (cf. Lc 1, 28. 42). Les chrétiens apprennent à la réciter en famille dès leurs plus tendres années, la recevant comme un don précieux à conserver toute sa vie. Cette même prière, récitée des dizaines de fois dans le Rosaire, aide de nombreux fidèles à entrer dans la contemplation priante des mystères évangéliques et à rester parfois de longs moments en contact intime avec la Mère de Jésus. Depuis le Moyen Age, l'Ave Maria est la prière la plus commune de tous les croyants, qui demandent à la sainte Mère du Seigneur qu'elle les accompagne et les protège sur le chemin de l'existence quotidienne (cf. Exhortation apostolique Marialis cultus, 42-55).

De plus, le peuple chrétien a manifesté son amour pour Marie en multipliant les expressions de sa dévotion hymnes, prières et compositions poétiques, simples ou parfois d'une grande valeur, imprégnées d'un même amour pour celle que le Crucifié a donnée aux hommes pour mère. Parmi celles-ci, certaines, comme l'hymne "Acathyste " et le " Salve Regina " ont profondément marqué la vie de foi du peuple croyant.

La piété mariale a également suscité une très riche production artistique en Orient et en Occident, qui a fait apprécier à des générations entières la beauté spirituelle de Marie. Peintres, sculpteurs, musiciens et poètes ont laissé des chefs-d'oeuvre qui, mettant en lumière les divers aspects de la grandeur de la Vierge, aident à mieux comprendre le sens et la valeur de sa grande contribution à l'oeuvre de la Rédemption.

L'art chrétien a reconnu en Marie la réalisation d'une humanité nouvelle, qui répond au projet de Dieu et qui est donc un signe sublime d'espérance pour toute l'humanité.

Ce message ne pouvait pas ne pas être accueilli par des chrétiens appelés à une vocation de consécration spéciale. En effet, Marie est particulièrement vénérée dans les Ordres et les Congrégations religieuses, dans les Instituts ou associations de vie consacrée. De nombreux Instituts, spécialement, mais pas uniquement féminins, portent dans leur titre le nom de Marie. Cependant, au-delà des manifestations extérieures, la spiritualité des familles religieuses, comme celle de nombreux Mouvements ecclésiaux, dont certains sont spécifiquement mariaux, met en lumière leur lien spécial avec Marie, garantie d'un charisme vécu dans l'authenticité et la plénitude.

Cette référence mariale dans la vie de personnes particulièrement favorisées par l'Esprit Saint a engendré aussi une dimension mystique, qui montre combien le chrétien peut faire l'expérience, au plus profond de son être, de l'intervention de Marie.

La référence à Marie unit non seulement les chrétiens engagés mais aussi les croyants à la foi simple, et même ceux qui sont " loin ", pour lesquels, souvent, elle constitue peut-être l'unique lien avec la vie ecclésiale. On trouve un signe de ce sentiment commun du peuple chrétien pour la Mère du Seigneur dans les pèlerinages aux sanctuaires marials qui attirent, tout au long de l'année, de nombreuses foules de fidèles. Certains de ces bastions de la piété mariale sont bien connus, comme Lourdes, Fatima, Lorette, Pompei, Guadalupe, Czestochowa! D'autres ne sont connus qu'au niveau national ou local. Dans tous ces sanctuaires, le souvenir d'événements liés au recours à Marie transmet le message de sa tendresse maternelle, ouvrant les coeurs à la grâce divine.

Ces lieux de prière mariale sont le merveilleux témoignage de la miséricorde de Dieu, qui parvient à l'homme par l'intercession de Marie. Des miracles de guérison corporelle, de rachat spirituel et de conversion sont le signe évident que Marie continue, avec le Christ et dans l'Esprit, son oeuvre de secours, son oeuvre de Mère.

Souvent, les sanctuaires mariaux deviennent des centres d'évangélisation. En effet, dans l'Eglise d'aujourd'hui comme dans la communauté en attente de la Pentecôte, la prière avec Marie pousse de nombreux chrétiens à l'apostolat et au service de leurs frères. Je voudrais tout spécialement rappeler ici la grande influence de la piété mariale sur l'exercice de la charité et des oeuvres de miséricorde. Encouragés par la présence de Marie, les croyants ont souvent ressenti le besoin de se consacrer aux pauvres, aux déshérités, aux malades, pour être auprès des derniers de la terre le signe de la protection maternelle de la Vierge, icône vivante de la miséricorde du Père.

Il ressort de tout cela, à l'évidence, que la dimension mariale imprègne toute la vie de l'Église. L'annonce de la Parole, la liturgie, les diverses expressions caritatives et cultuelles trouvent dans leur référence à Marie une occasion d'enrichissement et de renouveau.

Sous la conduite de ses Pasteurs, le Peuple de Dieu est appelé à discerner dans ce fait l'action de l'Esprit Saint, qui a poussé la foi chrétienne sur le chemin de la découverte du visage de Marie. C'est l'Esprit qui opère des merveilles dans les lieux où se manifeste la piété mariale. C'est lui qui, en stimulant la connaissance et l'amour de Marie, conduit les fidèles à se mettre à l'école de la Vierge du Magnificat, pour apprendre à lire les signes de Dieu dans l'histoire et acquérir la sagesse qui fait de tout homme et de toute femme les constructeurs d'une humanité nouvelle.

 

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Audience générale du 29 novembre 1995

Marie et la valeur de la femme

Cher(e) ami(e)s ,


1.
La doctrine mariale, largement développée au cours de notre siècle dans ses aspects théologiques et spirituels, a pris récemment une importance nouvelle sous l'aspect sociologique et pastoral, également pour une meilleure compréhension du rôle de la femme dans la communauté chrétienne et la société, comme cela ressort de nombreuses et importantes interventions du Magistère.

On connaît les paroles du message que, le 8 décembre 1965, à la fin du Concile, les Pères adressèrent aux femmes du monde entier : "L'heure vient, l'heure est venue où la vocation de la femme s'accomplit en plénitude, l'heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteint jusqu'ici" (AAS 68 [1966], 13).

J'ai repris ces affirmations, quelques années plus tard, dans ma Lettre apostolique Mulieris dignitatem : "La dignité de la femme et sa vocation – objets constants de la réflexion humaine et chrétienne – ont pris ces dernières années un relief tout particulier" (n. 1).

Le rôle et la dignité de la femme ont été particulièrement revendiqués, au cours de ce siècle, par le mouvement féministe qui a voulu réagir, parfois de manière énergique, contre tout ce qui, dans le passé et le présent, s'est opposé à la valorisation et au plein développement de la personnalité féminine, ainsi qu'à sa participation aux multiples manifestations de la vie sociale et politique.

Il s'agit de requêtes, en grande partie légitimes, qui ont contribué à une vision plus équilibrée de la question féminine dans le monde contemporain. L'Église, surtout à une époque récente, a porté une attention particulière à ces requêtes, encouragée aussi en cela par le fait que la figure de Marie, vue à la lumière de son itinéraire évangélique, constitue une réponse valable au désir d'émancipation de la femme : Marie est l'unique personne humaine qui réalise d'une manière éminente le projet d'amour divin concernant l'humanité.

2. Ce projet se manifeste déjà dans l'Ancien Testament, avec le récit de la création qui présente le premier couple créé à l'image de Dieu lui-même : "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa" (Gn 1, 27). La femme, donc, autant que l'homme, porte en elle la ressemblance avec Dieu. Elle est l'objet, quand elle apparaît sur terre comme résultat de l'action divine, de cette appréciation d'estime : "Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon" (Gn 1, 31). Dans cette perspective, la différence entre l'homme et la femme n'implique ni infériorité ni inégalité de celle-ci, mais elle constitue un élément de nouveauté qui enrichit le dessein divin, et qui se manifeste comme "très bon".

Pourtant, l'intention divine va bien au-delà de ce que révèle le Livre de la Genèse. En Marie, en effet, Dieu a fait surgir une personnalité féminine qui dépasse de beaucoup la condition ordinaire de la femme, telle que cette condition apparaît avec la création d'Ève. L'excellence unique de Marie dans le monde de la grâce et sa perfection sont le fruit de la particulière bienveillance divine qui veut élever toute personne, hommes et femmes, à la perfection morale et à la sainteté qui sont celles des fils adoptifs de Dieu. Marie est celle qui est "bénie entre toutes les femmes" ; pourtant, toute femme participe d'une certaine manière à sa dignité sublime dans le plan divin.

3. Le don singulier fait à la Mère du Seigneur ne témoigne pas seulement de ce que nous pourrions appeler le respect de Dieu pour la femme, mais il met par ailleurs en évidence la considération profonde du dessein divin pour son rôle irremplaçable dans l'histoire de l'humanité.

Les femmes ont besoin de découvrir cette estime divine pour prendre toujours davantage conscience de leur très haute dignité. La situation historique et sociale qui a provoqué la réaction du féminisme se caractérisait par un manque d'estime pour la valeur de la femme, souvent contrainte de jouer un rôle de second plan ou même marginal. Cela ne lui a pas permis d'exprimer pleinement les richesses d'intelligence et de sagesse que renferme la féminité. Au cours de l'histoire, en effet, les femmes ont souvent souffert du peu de considération accordée à leurs capacités et, parfois, même de dédain et de préjugés injustes. Il s'agit d'un état de choses qui, malgré des changements importants, persiste malheureusement encore aujourd'hui dans bien des pays et dans de nombreux milieux dans le monde.

4. La figure de Marie manifeste une telle estime pour la femme de la part de Dieu qu'elle prive de fondement théorétique toute forme de discrimination.

L'oeuvre admirable accomplie par le Créateur en Marie offre aux hommes et aux femmes la possibilité de découvrir des dimensions de leur condition qui n'avaient pas été suffisamment perçues auparavant. En contemplant la Mère du Seigneur, les femmes pourront mieux comprendre leur dignité et la grandeur de leur mission. Mais les hommes également, à la lumière de la Vierge Mère, pourront avoir une vision plus complète et plus équilibrée de leur identité, de la famille et de la société.

Une réflexion attentive sur la figure de Marie, telle que nous la présente la Sainte Écriture lue dans la foi de l'Église, est encore plus nécessaire devant la dévaluation qui en a parfois été faite par certains courants féministes. La Vierge de Nazareth a été présentée, en certains cas, comme le symbole de la personnalité féminine enfermée dans un horizon domestique restreint et étroit.

Marie, au contraire, constitue le modèle du plein développement de la vocation de la femme car elle a exercé, malgré les limites objectives mises à sa condition sociale, une influence immense sur le destin de l'humanité et la transformation de la société.

5. De plus, la doctrine mariale peut mettre en lumière les multiples manières par lesquelles la vie de la grâce promeut la beauté spirituelle de la femme.

Devant la honteuse utilisation de l'image de la femme de la part de ceux qui font parfois d'elle un objet sans dignité, destiné à la satisfaction de passions abjectes, Marie réaffirme le sens sublime de la beauté féminine, don et reflet de la beauté de Dieu.

Il est vrai que la perfection de la femme, telle qu'est s'est réalisée en plénitude chez Marie, peut sembler à première vue un cas exceptionnel, sans possibilité d'imitation, un modèle trop élevé pour être imité. De fait, la sainteté unique de celle qui, dès le premier instant, a reçu le privilège de la conception immaculée, a été parfois considérée comme le signe d'une distance infranchissable.

Mais, au contraire, la très haute sainteté de Marie, loin de freiner notre marche à la suite du Seigneur, est destinée, dans le dessein divin, à encourager tous les chrétiens à s'ouvrir à la puissance sanctificatrice de la grâce de Dieu, à qui rien n'est impossible. En Marie, donc, tous sont appelés à une confiance totale dans la toute-puissance divine qui transforme les coeurs, les conduisant à une entière disponibilité à son providentiel projet d'amour.

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Audience générale du 13 décembre 1995

La présence de Marie au Concile Vatican II

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Je voudrais réfléchir aujourd'hui sur la présence particulière de Marie dans un événement ecclésial qui est sûrement le plus important de notre siècle : le Concile oecuménique Vatican II, ouvert par le Pape Jean XXIII le matin du 11 octobre 1962, et conclu par Paul VI le 8 décembre 1965.

Une tonalité mariale particulière caractérise en effet les Assises conciliaires dès leur indiction. Déjà dans sa Lettre apostolique Celebrandi Concilii oecumenici, mon vénéré prédécesseur, le Serviteur de Dieu Jean XXIII, avait demandé que l'on recoure à la puissante intercession de Marie, "Mère de la grâce et Patronne céleste du Concile" (11 avril 1961, AAS 53 [1961], 242).

Puis, en 1962, en la fête de la Purification de Marie, le Pape Jean XXIII fixait l'ouverture du Concile au 11 octobre ; il expliquait qu'il avait choisi cette date en souvenir du grand Concile d'Éphèse qui, précisément à cette date, avait proclamé Marie : "Theotokos, Mère de Dieu" (Motu proprio Concilium : AAS 54 [1962], 67-68). Et dans son discours d'ouverture, le Pape confiait le Concile à celle qui est le "Secours des chrétiens, le Secours des évêques", et il implorait son assistance maternelle pour un heureux déroulement des travaux conciliaires (AAS 54 [1962], 795).

C'est également vers Marie que les Pères conciliaires dirigent expressément leur pensée dans leur Message au monde, à l'ouverture du Concile. Ils affirment : "Nous, successeurs des Apôtres, tous unis dans la prière avec Marie, la Mère de Jésus, nous formons un seul Corps apostolique" (Acta synodalia, I, I, 254), se rattachant ainsi, par cette communion avec Marie, à l'Église des origines qui attendait l'Esprit Saint (cf. Ac 1, 14).

2. Lors de la seconde session du Concile, on proposa d'introduire l'exposé sur la Bienheureuse Vierge Marie dans la Constitution sur l'Eglise. Une initiative qui, bien qu'elle fût expressément recommandée par la Commission théologique, suscita des opinions divergentes.

Certains, considérant que cette initiative était insuffisante pour souligner la mission tout à fait spéciale de la Mère de Jésus dans l'Église, soutenaient que seul un Document à part pouvait exprimer la dignité, la prédominance, la sainteté exceptionnelle et le rôle singulier de Marie dans la Rédemption accomplie par son Fils. Plaçant en outre Marie, d'une certaine manière, au-dessus de l'Église, ils craignaient que ce choix d'insérer la doctrine mariale dans le traité sur l'Église ne mette pas suffisamment en évidence les privilèges de Marie, et ramène sa fonction au niveau de celle des autres membres de l'Église (Acta synodalia, II, III, 338-342).

Au contraire, d'autres se prononçaient en faveur de la proposition de la Commission théologique visant à inclure en un unique Document la doctrine sur Marie et sur l'Église. Selon ces derniers, ces réalités ne pouvaient être séparées dans un Concile qui se proposait de redécouvrir l'identité et la mission du Peuple de Dieu, et qui devait donc montrer leurs liens étroits avec celle qui est le type et l'exemple de l'Église par sa virginité et sa maternité. En effet, en sa qualité de membre éminent de la communauté ecclésiale, la Bienheureuse Vierge occupe une place spéciale dans la doctrine de l'Eglise. De plus, en mettant l'accent sur le lien existant entre Marie et l'Église, on rendait la doctrine mariale proposée par le Concile plus compréhensible pour les chrétiens de la Réforme (Acta synodalia, II, III, 343-345).

En exprimant des positions doctrinales différentes, les Pères conciliaires, animés d'un même amour pour Marie, tendaient ainsi à privilégier des aspects différents de sa personne. Les uns contemplaient Marie principalement dans sa relation au Christ, les autres la considéraient plutôt comme membre de l'Eglise.

3. Après une discussion doctrinalement riche, attentive à la dignité de la Mère de Dieu et à sa présence particulière dans la vie de l'Eglise, on décida d'inclure le traité marial dans le Document conciliaire sur l'Église (cf. Acta synodalia, II, III, 627).

Le nouveau schéma sur la Bienheureuse Vierge Marie, élaboré afin qu'il fût intégré dans la Constitution dogmatique sur l'Église, manifeste un réel progrès doctrinal. L'accent mis sur la foi de Marie, ainsi que la préoccupation plus systématique de fonder la doctrine mariale sur l'Écriture, constituent des éléments importants et utiles pour enrichir la piété et le respect du peuple chrétien pour la Bienheureuse Mère de Dieu.

En outre, avec le temps, le danger de "réductionnisme", que redoutaient certains Pères, s'est avéré sans fondement : la mission et les privilèges de Marie ont été très largement réaffirmés ; sa coopération au plan divin de salut a été mise en relief ; l'harmonie de cette coopération avec l'unique médiation du Christ est devenue plus évidente.

De plus, le Magistère conciliaire proposait pour la première fois à l'Eglise un exposé doctrinal sur le rôle de Marie dans l'oeuvre de la Rédemption accomplie par le Christ et dans la vie de l'Église.

Nous devons donc considérer ce choix des Pères conciliaires, qui s'est révélé très fécond pour le travail doctrinal qui a suivi, comme une décision vraiment providentielle.

4. Les sessions conciliaires ont montré le souhait de nombreux Pères d'enrichir encore la doctrine mariale par d'autres affirmations sur le rôle de Marie dans l'oeuvre du salut. Le contexte particulier dans lequel se déroula le débat mariologique au Concile Vatican II ne permit pas de répondre à ces voeux – bien qu'ils fussent argumentés et assez largement partagés – mais l'ensemble de la réflexion conciliaire sur Marie demeure vigoureux et équilibré, et ces thèmes, même s'ils n'ont pas été pleinement accueillis, ont occupé une place importante dans l'ensemble de la réflexion.

Ainsi, les hésitations de certains Pères face au titre de "Médiatrice"' n'ont pas empêché le Concile d'utiliser une fois ce titre et d'affirmer en d'autres termes la fonction médiatrice de Marie, de son consentement donné à l'annonce de l'Ange jusqu'à sa maternité dans l'ordre de la grâce (cf. Lumen gentium, 62). De plus, le Concile affirme sa "coopération absolument sans pareille" à l'oeuvre qui restaure la vie surnaturelle dans les âmes (LG, 61). Enfin, même s'il évite d'employer le titre de "Mère de l'Eglise ", le texte de Lumen gentium souligne clairement la vénération que l'Eglise porte à Marie en tant que Mère très aimante.

De tout l'exposé du chapitre VIII de la Constitution dogmatique sur l'Eglise, il ressort clairement que les précautions employées en matière de terminologie n'ont pas empêché que l'on expose une doctrine fondamentale très riche et très positive, expression de la foi et de l'amour que l'Eglise porte à celle qu'elle reconnaît comme Mère et Modèle de sa vie.

Par ailleurs, les différents points de vue des Pères, qui sont apparus au cours du débat conciliaire, se sont révélés providentiels car, se fondant en une composition harmonieuse, ils ont donné à la foi et à la dévotion du peuple chrétien, une présentation plus complète et plus équilibrée de l'admirable identité de la Mère du Seigneur et de son rôle exceptionnel dans l'oeuvre de la Rédemption.

 

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Audience générale du 10 janvier 1996

Marie, dans une perspective trinitaire

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Le chapitre VIII de la Constitution Lumen gentium déclare que la référence nécessaire et obligatoire de la doctrine mariale se trouve dans le mystère du Christ. À cet égard, les premiers mots de l'Introduction sont significatifs : "Ayant résolu, dans sa très grande bonté et sagesse, d'opérer la rédemption du monde, Dieu, quand vint la plénitude du temps, envoya son Fils né d'une femme... pour faire de nous des fils adoptifs (Ga 4, 4-5) " (LG, 52). Ce Fils est le Messie, attendu par le peuple de l'ancienne Alliance, envoyé par le Père en un moment décisif de l'histoire, la "plénitude du temps " (Ga 4, 4), qui coïncide avec sa naissance dans notre monde, d'une femme. Celle qui a introduit dans l'humanité le Fils éternel de Dieu ne pourra jamais être séparée de Celui qui se trouve au centre du dessein divin réalisé dans l'histoire.

Le primat du Christ est manifesté dans l'Église, son Corps mystique : en elle, en effet," les fidèles adhèrent au Christ Chef et sont en communion avec tous ses saints " (cf. LG. 52). C'est le Christ qui attire à lui tous les hommes. Puisqu'elle est, par son rôle maternel, intimement unie à son Fils, Marie contribue à orienter vers lui le regard et le coeur des croyants.

Elle est le chemin qui mène au Christ. En effet, celle qui, " à l'annonce de l'Ange, a accueilli dans son coeur et dans son corps le Verbe de Dieu " (LG, 53), nous montre comment accueillir dans notre existence le Fils descendu du ciel, et elle nous apprend à faire de Jésus le centre et " la loi" suprême de notre existence.

2. Marie nous aide, par ailleurs, à découvrir, à l'origine de toute l'oeuvre du salut, l'action souveraine du Père qui appelle les hommes à devenir fils dans le Fils unique. En évoquant les très belles expressions de la Lettre aux Ephésiens " Dieu, riche en miséricorde, à cause du très grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par suite de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ" (Ep 2, 4), le Concile attribue à Dieu le titre de "très miséricordieux" : le Fils "né d'une femme" , apparaît ainsi comme le fruit de la miséricorde du Père et fait mieux comprendre combien cette femme est "Mère de miséricorde".

Dans le même contexte, le Concile appelle également Dieu " très sage ", suggérant que l'on accorde une attention particulière au lien étroit qui existe entre Marie et la Sagesse divine qui, dans son dessein souverain, a voulu la maternité de la Vierge.

3. Le texte conciliaire nous rappelle par ailleurs le lien étroit qui unit Marie à l'Esprit Saint, par les paroles du Symbole de Nicée-Constantinople que nous récitons lors de la liturgie eucharistique : "Pour nous les hommes et pour notre salut, il est descendu du ciel ; par l'Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme".

En exprimant la foi de toujours de l'Église, le Concile nous rappelle que la prodigieuse incarnation du Fils a eu lieu dans le sein de la Vierge Marie, sans concours de l'homme, par l'action du Saint-Esprit.

Ainsi, l'Introduction du chapitre VIII de Lumen gentium indique dans la perspective trinitaire une dimension essentielle de la doctrine mariale. Tout, en effet, vient de la volonté du Père qui a envoyé son Fils dans le monde, montrant en lui aux hommes, et le constituant tel, le Chef de l'Église et le centre de l'Histoire. Il s'agit d'un dessein qui s'est accompli par l'Incarnation, oeuvre de l'Esprit Saint, mais avec le concours essentiel d'une femme, la Vierge Marie, qui est devenue ainsi partie intégrante dans l'économie de la communication de la Trinité au genre humain.

4. La triple relation de Marie avec les personnes divines est rappelée par des paroles précises dans l'illustration du rapport typique qui lie la Mère du Seigneur à l'Église : " Elle reçoit cette immense charge et dignité d'être la Mère du Fils de Dieu et, par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire de l'Esprit Saint" (LG, 53).

La dignité fondamentale de Marie est celle de "Mère du Fils ",qui s'exprime dans la doctrine et le culte chrétien par le titre de "Mère de Dieu".

Il s'agit d'une qualification surprenante, qui manifeste l'humilité du Fils unique de Dieu dans son Incarnation et, en lien avec elle, le privilège souverain accordé à la créature qui est appelée à l'engendrer dans la chair.

Mère du Fils, Marie est " fille de prédilection " du Père d'une manière unique. Il lui a été accordé une ressemblance tout à fait spéciale entre sa maternité et la paternité divine.

Et encore tout chrétien est " Temple de l'Esprit Saint ", selon l'expression de l'apôtre Paul (1 Co 6, 19). Mais cette affirmation prend chez Marie une signification exceptionnelle : chez elle, en effet, la relation avec l'Esprit Saint s'enrichit de la dimension sponsale. Je l'ai

rappelé dans mon Encyclique Redemptoris Mater : "L'Esprit Saint est déjà descendu sur elle, qui est devenue sa fidèle Épouse lors de l'Annonciation, quand elle accueillit le Verbe du vrai Dieu... "(n. 26).

5. La relation privilégiée de Marie avec la Trinité lui confère donc une dignité qui dépasse de beaucoup celle de toutes les autres créatures. C'est ce que rappelle expressément le Concile : à cause de ce don d'une "grâce exceptionnelle" Marie se trouve "très au-dessus de toutes les créatures " (LG, 53). Pourtant, cette très haute dignité n'empêche pas que Marie soit solidaire de chacun d'entre nous. La Constitution Lumen gentium poursuit en effet : "Mais elle se trouve aussi, comme descendante d'Adam, réunie à l'ensemble de l'humanité qui a besoin de salut" et elle a été "rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils "(ibid.).

Apparaît alors la signification authentique des privilèges de Marie et de ses rapports exceptionnels avec la Trinité : ils ont pour but de la rendre apte à coopérer au salut du genre humain. La grandeur incommensurable du Seigneur demeure donc, un don de l'amour de Dieu à tous les hommes. En la proclamant " bienheureuse" (Lc 1, 48), les générations louent " les merveilles" (Lc 1, 49) que le Tout-Puissant a faites en elle pour l'humanité, "se souvenant de sa miséricorde "(Lc 1, 54).

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Audience générale du 31 janvier 1996

L'annonce de la maternité messianique

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Traitant de la figure de Marie dans l'Ancien Testament, le Concile (LG, 55) fait référence au texte bien connu d'Isaïe, qui a attiré tout particulièrement l'attention des premiers chrétiens : "Voici, la jeune fille est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel" (Is 7, 14).

Dans le contexte de l'annonce de l'Ange qui invite Joseph à prendre chez lui Marie, son épouse, "car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint ", Matthieu donne une signification christologique et mariale à l'oracle d'Isaïe. "Tout cela arriva pour que s'accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète : "Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel", qui se traduit : Dieu avec nous" (Mt 1, 22-23).

2. Dans le texte hébreu, ce texte n'annonce pas explicitement la naissance virginale de l'Emmanuel : en effet, le mot employé (almah) désigne seulement " une jeune femme ", pas nécessairement une vierge. De plus, on sait que la tradition juive ne proposait pas l'idéal de la virginité perpétuelle, et n'avait jamais non plus exprimé l'idée d'une maternité virginale.

Dans la tradition grecque, au contraire, le mot hébreu employé est rendu par le terme de "parthenos ", " vierge ". Nous devons reconnaître en ce fait, qui pourrait apparaître simplement comme un problème particulier de traduction, une orientation mystérieuse donnée par l'Esprit Saint aux paroles d'Isaïe, pour préparer la compréhension de la naissance extraordinaire du Messie. La traduction qui emploie le mot " vierge " s'explique par le fait que le texte d'Isaïe prépare avec une grande solennité l'annonce de la conception et la présente comme un signe divin (Is 7, 10-14), suscitant l'attente d'une conception extraordinaire. Or, qu'une jeune femme conçoive un fils après s'être unie à son mari ne constitue pas un fait extraordinaire. Par ailleurs, l'oracle ne fait aucunement allusion au mari. Une telle formulation suggérait donc l'interprétation donnée ensuite dans la version grecque.

3. Dans le contexte originel, l'oracle d'Isaïe 7, 14 constituait la réponse divine à un manque de foi du roi Achaz, lequel, devant la menace d'une invasion des armées des rois voisins, cherchait son salut et celui de son royaume dans la protection de l'Assyrie. En lui conseillant de ne mettre sa confiance qu'en Dieu, en renonçant à la terrible intervention assyrienne, le prophète Isaïe l'invite de la part du Seigneur à un acte de foi dans la puissance divine " Demande un signe au Seigneur, ton Dieu ". Devant le refus du roi, qui préfère chercher le salut dans des secours humains, le prophète prononce le célèbre oracle " Écoutez donc, maison de David! Est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes, que vous lassiez aussi mon Dieu? C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel " (Is 7, 13-14).

L'annonce du signe de l'Emmanuel, "Dieu-avec-nous", implique la promesse de la présence divine dans l'histoire, qui trouvera toute la plénitude de sa signification dans le mystère de l'incarnation du Verbe.

4. Dans l'annonce de la naissance prodigieuse de l'Emmanuel, l'indication de la femme qui conçoit et engendre montre une certaine intention d'associer la mère au destin de son fils - un prince destiné à établir un royaume idéal, le royaume "messianique " - et fait entrevoir un dessein divin particulier, qui met en évidence le rôle de la femme.

Le signe, en effet, n'est pas seulement l'enfant mais la conception extraordinaire, révélée ensuite dans l'accouchement lui-même, événement plein d'espérance, qui souligne le rôle central de la mère.

En outre, on doit comprendre l'oracle de l'Emmanuel dans la perspective ouverte par la promesse adressée à David, promesse que l'on peut lire dans le second Livre de Samuel. Là, le prophète Natân promet au roi la faveur divine pour son descendant : " C'est lui qui construira une maison pour mon Nom et j'affermirai pour toujours son trône royal. Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils" (2 S 7, 13-14).

À l'égard de la descendance davidique, Dieu veut assumer un rôle paternel, qui dévoilera sa signification plénière et authentique dans le Nouveau Testament par l'incarnation du Fils de Dieu dans la famille de David (cf. Rm 1, 13).

5. Le même prophète Isaïe, dans un autre texte très connu, réaffirme le caractère exceptionnel de la naissance de l'Emmanuel. Voici ses paroles : "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-la-paix " (Is 9, 5). Le prophète exprime ainsi, par cette série de noms donnés au petit enfant, les qualités de sa tâche royale : la sagesse, la puissance, la bienveillance paternelle, l'action pacificatrice.

La mère n'est plus mentionnée ici, mais l'exaltation du fils qui apporte au peuple tout-ce que l'on peut espérer dans le royaume messianique, se renverse aussi sur la femme qui l'a conçu et mis au monde.

6. Un oracle célèbre de Michée fait lui aussi allusion à la naissance de l'Emmanuel. Le prophète dit: "Et toi, Bethléem, Éphrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël. Ses origines remontent au temps jadis, aux jours antiques. C'est pourquoi il les abandonnera jusqu'au temps où aura enfanté celle qui doit enfanter" (Mi 5, 1-2). Dans ces paroles résonne l'attente d'un enfantement plein d'espérance messianique, dans lequel est mis en évidence, une fois encore, le rôle de la mère, explicitement rappelée, ennoblie par l'admirable événement qui apporte joie et salut.

7. La maternité virginale de Marie a été préparée d'une manière plus générale par la faveur que Dieu réserve aux humbles et aux pauvres (cf. LG, 55). Ceux-ci, mettant toute leur confiance dans le Seigneur, anticipent par leur attitude la signification profonde de la virginité de Marie qui, renonçant à la richesse de la maternité humaine, a attendu de Dieu toute la fécondité de sa propre vie.

L'Ancien Testament ne contient donc pas une annonce formelle de la maternité virginale, qui n'est revélée pleinement que dans le Nouveau Testament. Cependant, l'oracle d'Isaïe (Is 7, 14) prépare la révélation de ce mystère et a été précisé en ce sens dans la traduction grecque de l'Ancien Testament. Citant l'oracle ainsi traduit, l'Evangile de Matthieu en proclame le parfait accomplissement par la conception de Jésus dans le sein virginal de Marie.

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Audience générale du 8 mai 1996

Celle qui est " pleine de grâce "

Cher(e) ami(e)s ,


1.
Dans le récit de l'Annonciation, les premiers mots de la salutation angélique " Réjouis-toi! ", constituent une invitation à la joie, qui rappelle les oracles de l'Ancien Testament adressés à la " fille de Sion ". Nous l'avons souligné au cours de notre catéchèse précédente, énumérant également les motifs sur lesquels se fonde cette invitation : la présence de Dieu au milieu de son peuple, la venue du roi messianique et la fécondité maternelle. Ces motivations trouvent en Marie leur plein accomplissement.

S'adressant à la Vierge de Nazareth, après la salutation "chairé ", " Réjouis-toi! ", l'Ange l'appelle " kecharitoméne ", "pleine de grâce ". Les mots du texte grec " chairé " et " kecharitoméne " ont un lien profond : Marie est invitée à se réjouir surtout parce que Dieu l'aime et l'a comblée de grâce en vue de la divine maternité!

La foi de l'Église et l'expérience des saints enseignent que la grâce est source de joie et que la vraie joie vient de Dieu. En Marie, comme chez les chrétiens, le don divin produit une joie profonde.

2. " Kecharitoméne " ce terme qui s'adresse à Marie apparaît comme une qualification propre à la femme qui est destinée à devenir la mère de Jésus. La Constitution conciliaire Lumen gentium le rappelle opportunément quand elle affirme : " La Vierge de Nazareth est saluée par l'Ange de l'Annonciation, qui parle sur l'ordre de Dieu, comme "pleine de grâce" (LG, 56).

Le fait que le messager céleste l'appelle ainsi confère à la salutation angélique une valeur plus haute : c'est une manifestation du mystérieux plan de salut divin à l'égard de Marie. Comme je l'ai écrit dans mon Encyclique Redemptoris Mater : "La plénitude de grâce désigne tous les dons surnaturels dont Marie bénéficie en rapport avec le fait qu'elle a été choisie et destinée à être Mère du Christ" (n. 9).

"Pleine de grâce " est le nom que Marie possède aux yeux de Dieu. En effet, selon le récit de l'Évangéliste Luc, l'ange l'emploie avant même de prononcer le nom de " Marie ", mettant ainsi en évidence l'aspect principal pour le Seigneur de la personnalité de la Vierge de Nazareth.

L'expression " pleine de grâce " traduit le mot grec " kecharitoméne ", qui est un participe passé. Pour rendre avec plus d'exactitude le sens du mot grec, on ne devrait donc pas dire simplement "pleine de grâce ", mais "qui a été rendue pleine de grâce ", ou bien " qui a été comblée de grâce ", ce qui indiquerait clairement qu'il s'agit d'un don de Dieu à la Vierge. Le terme, sous sa forme de participe passé, accrédite l'image d'une grâce parfaite et durable, qui implique la plénitude. Le même verbe, au sens de " donner la grâce ", est employé dans la Lettre aux Éphésiens pour indiquer l'abondance de grâce qui nous a été accordée par le Père en son Fils bien aimé (1, 6). Marie la reçoit comme prémices de la Rédemption (cf. RM, 10).

3. Dans le cas de la Vierge, l'action de Dieu apparaît certes surprenante. Marie ne possède aucun titre humain pour recevoir l'annonce de la venue du Messie. Elle n'est pas le grand prêtre, représentant officiel de la religion juive, elle n'est pas un homme, mais une jeune femme sans influence sur la société de son temps. De plus, elle est originaire de Nazareth, un village qui n'est jamais cité dans l'Ancien Testament. Il ne devait pas jouir d'une bonne renommée, comme cela ressort des paroles de Nathanaël que nous rapporte 1'Evangile de Jean : " De Nazareth, que peut-il sortir de bon? " (Jn 1, 46).

Le caractère extraordinaire et gratuit de l'intervention de Dieu apparaît encore plus évident quand on lit le texte de Luc qui rapporte l'histoire de Zacharie. Pour ce dernier, on met en effet en évidence sa condition sacerdotale, comme aussi le caractère exemplaire de sa vie qui fait de lui et de sa femme Élisabeth des modèles de justes de l'Ancien Testament : " Ils suivaient tous les commandements et les préceptes du Seigneur d'une manière irréprochable" (Lc 1, 6).

L'origine de Marie, au contraire, n'est même pas indiquée : l'expression " de la maison de David" (Lc 1, 27) ne se rapporte, en effet, qu'à Joseph. De plus, on ne dit rien du comportement de Marie. Par ce choix littéraire, Luc met en évidence qu'en elle tout découle d'une grâce souveraine. Ce qui lui est accordé ne provient d'aucun titre ni mérite, mais uniquement de la prédilection divine, libre et gratuite.

4. En procédant ainsi, l'Évangéliste n'a certes pas l'intention de rabaisser la très haute valeur personnelle de la Sainte Vierge. Il veut plutôt présenter Marie comme un pur résultat de la bienveillance de Dieu, qui a pris tellement possession d'elle qu'il la rend, selon l'appellation que l'Ange emploie, " pleine de grâce ". C'est cette abondance de grâce qui fonde la richesse spirituelle cachée de Marie.

Dans l'Ancien Testament, Yahvé manifeste la surabondance de son amour de diverses manières et dans de nombreuses circonstances. En Marie, à l'aube du Nouveau Testament, la gratuité de la miséricorde divine atteint son degré suprême. En elle, la prédilection de Dieu, témoignée au peuple élu, et en particulier aux humbles et aux pauvres, atteint son sommet.

Nourrie par la Parole du Seigneur et l'expérience des saints, l'Église exhorte les croyants à toujours regarder la Mère du Rédempteur et à se sentir, comme elle, aimés de Dieu. Elle les invite à partager son humilité et sa pauvreté afin que, en suivant son exemple et grâce à son intercession, ils puissent persévérer dans la grâce divine qui sanctifie et transforme les coeurs.

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Audience générale du 29 mai 1996

L' Immaculée Conception

Cher(e) ami(e)s ,

1. Nous avons vu dans nos catéchèses précédentes que, dans la réflexion doctrinale de l'Église d'Orient, l'expression "pleine de grâce " fut interprétée dès le VIe siècle dans le sens d'une sainteté singulière qui saisit Marie dans toute son existence. Elle inaugure ainsi la création nouvelle.

À côté du récit lucanien de l'Annonciation, la Tradition et le Magistère ont vu dans ce que l'on appelle le Protévangile (Gn 3, 15) une source scripturaire de la vérité de l'Immaculée Conception de Marie. Ce texte a inspiré, à partir de l'ancienne traduction latine : " Elle t'écrasera la tête ", de nombreuses représentations de l'Immaculée qui écrase le serpent sous ses pieds.

Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que cette traduction ne correspond pas au texte hébreu, où ce n'est pas la femme, mais bien sa descendance, qui écrase la tête du serpent. Ce texte n'attribue donc pas à Marie, mais à son Fils, la victoire sur Satan. Cependant, puisque la tradition biblique établit une profonde solidarité entre celle qui engendre et sa descendance, la représentation de l'Immaculée qui écrase le serpent est cohérente avec le sens originel du passage : elle le fait non pas par sa propre force mais par grâce de son Fils.

2. Dans ce même texte biblique, on proclame en outre l'inimitié entre la femme et sa descendance, d'une part, et le serpent et sa descendance, d'autre part. Il s'agit d'une hostilité expressément établie par Dieu, qui prend un relief singulier si nous considérons le problème de la sainteté personnelle de la Vierge. Pour être l'ennemie inconciliable du serpent et de sa descendance, Marie doit être exempte de toute domination du péché. Et cela dès le premier moment de son existence.

À cet égard, l'Encyclique Fulgens corona, publiée par le Pape Pie XII en 1953 pour commémorer le centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception, propose cette argumentation : "Si, à un moment donné, la Bienheureuse Vierge Marie était restée privée de la grâce divine, parce que souillée dans sa conception par la tache héréditaire du péché, il y aurait eu entre elle et le serpent – du moins pendant cet espace de temps, si court qu'il eût été – non pas l'éternelle inimitié dont il est fait mention depuis la tradition primitive jusqu'à la définition solennelle de l'Immaculée Conception de la Vierge, mais bien plutôt un certain asservissement (AAS 45 [1953], 579) (DC 1953, no 1158, col. 1283. NDLR).

L'hostilité absolue établie par Dieu entre la femme et le démon postule donc en Marie l'Immaculée Conception, c'est-à-dire une absence totale de péché, dès le début de sa vie. Le Fils de Marie a remporté la victoire définitive sur Satan et en a fait bénéficier par anticipation sa Mère, la préservant du péché. En conséquence, le Fils lui a accordé le pouvoir de résister au démon, réalisant ainsi dans le mystère de l'Immaculée Conception l'effet le plus notable de son oeuvre rédemptrice.

3. L'appellation " pleine de grâce " et le Protévangile, en attirant notre attention sur la sainteté spéciale de Marie et sur sa complète exemption de l'influence de Satan, nous font comprendre, dans le privilège unique que le Seigneur a accordé à Marie, qu'un ordre nouveau commence, qui est le fruit de l'amitié avec Dieu et qui comporte, par conséquent, une inimitié profonde entre le serpent et les hommes.

Comme témoignage biblique en faveur de l'Immaculée Conception de Marie, on cite souvent, aussi, le chapitre XII de l'Apocalypse, où l'on parle de " la femme revêtue de soleil" (12, 1). L'exégèse actuelle est d'accord pour voir en cette femme la communauté du Peuple de Dieu, qui engendre dans la douleur le Messie ressuscité. Mais, à côté de cette interprétation collective, le texte suggère une interprétation individuelle lorsqu'il affirme : "La Femme mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer" (12, 5). On admet ainsi, par cette référence à l'enfantement, une certaine identification de la femme revêtue de soleil avec Marie, la Femme qui a mis le Messie au monde (" à la lumière "). La femme-communauté est décrite en effet sous les apparences de la femme-Mère de Jésus.

Caractérisée par sa maternité, la femme " était enceinte, et elle criait, torturée par les douleurs de l'enfantement" (12, 2). Cette annotation renvoie à la Mère de Jésus au pied de la Croix (cf. Jn 19, 25) où elle participe, le coeur transpercé par une épée (cf. Lc 2, 35), au travail de l'enfantement de la communauté des disciples. Malgré ses souffrances, elle est " revêtue de soleil " – c'est-à-dire qu'elle porte le reflet de la splendeur divine – et elle apparaît comme un " signe grandiose" du rapport sponsal de Dieu avec son peuple.

Même si elles n'indiquent pas directement le privilège de l'Immaculée Conception, ces images peuvent être interprétées comme des expressions de l'amour du Père qui entoure Marie de la grâce du Christ et de la splendeur de l'Esprit.

Enfin, l'Apocalypse invite à reconnaître plus particulièrement la dimension ecclésiale de la personnalité de Marie : la femme revêtue de soleil représente la sainteté de l'Église, qui se réalise pleinement dans la Sainte Vierge, en vertu d'une grâce singulière.

4. À ces affirmations scripturaires auxquelles se réfèrent la Tradition et le Magistère pour fonder la doctrine de l'Immaculée Conception, paraissent s'opposer les textes bibliques qui affirment l'universalité du péché.

L'Ancien Testament parle d'une contagion due au péché qui touche tout " petit né d'une femme " (Ps 50, 7 ; Jb 14, 2). Dans le Nouveau Testament, Paul déclare que, à la suite de la faute d'Adam, "tous ont péché " et que "la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation " (Rm 5, 12. 18). Donc, comme le rappelle le Catéchisme de l'Eglise catholique, le péché originel "affecte la nature humaine" qui se trouve ainsi " dans un état déchu ". Aussi le péché est-il transmis "par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles" (n. 404). Paul admet cependant une exception à cette loi universelle : le Christ, celui " qui n'a pas connu le péché " (2 Co 5, 21) et qui a pu ainsi faire surabonder la grâce " là où le péché a abondé " (Rm 5, 20).

Ces affirmations ne portent pas nécessairement à la conclusion que Marie a été impliquée dans l'humanité pécheresse. Le parallèle, établi par Paul, entre Adam et le Christ, est complété par celui qui existe entre Ève et Marie : le rôle, important, de la femme dans le drame du péché, l'est aussi dans la rédemption de l'humanité.

Saint Irénée présente Marie comme la nouvelle Ève qui, par sa foi et son obéissance, a fait contrepoids à l'incrédulité et à la désobéissance d'Ève. Un tel rôle dans l'économie du salut requiert l'absence de péché. Il convenait que comme le Christ, nouvel Adam, Marie, nouvelle Ève, n'eût pas connu le péché et qu'elle fût ainsi plus apte à coopérer à la rédemption.

Le péché qui traverse l'humanité comme un torrent, s'arrête devant le Rédempteur et sa fidèle Collaboratrice. Avec une différence substantielle : le Christ est totalement saint en vertu de la grâce qui, dans son humanité, découle de la personne divine ; Marie est toute sainte en vertu de la grâce reçue par les mérites du Sauveur.




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Audience générale du 19 juin 1996

La parfaite sainteté de Marie
Lc 11, 27-28

Cher(e) ami(e)s ,

1.
La définition du dogme de l'Immaculée Conception ne concerne directement que le premier moment de l'existence de Marie, à partir duquel elle a été "préservée intacte de toute souillure due au péché originel". Le Magistère pontifical a voulu ainsi ne définir que la vérité qui avait fait l'objet de controverses au cours des siècles : la préservation du péché originel, sans se préoccuper de définir la sainteté permanente de la Vierge Mère du Seigneur.
Cette vérité appartient déjà au sentiment commun du peuple chrétien. Celui-ci atteste en effet que Marie, exempte du péché originel, a été également préservée de tout péché actuel et que sa sainteté initiale lui a été accordée afin qu'elle remplisse toute son existence.
2. L'Église a constamment reconnu que Marie était sainte et exempte de tout péché ou imperfection morale. Le Concile de Trente exprime cette conviction en affirmant que personne "ne peut éviter, durant toute sa vie, tout péché, même véniel, à moins d'un privilège spécial de Dieu, comme l'Église le tient pour la Vierge Marie" (DS, 1573). La possibilité de pécher n'épargne pas le chrétien transformé et renouvelé par la grâce. En effet, celle-ci ne préserve pas de tout péché durant toute la vie, à moins que, comme l'affirme le Concile de Trente, un privilège spécial assure cette immunité du péché. C'est ce qui s'est passé pour Marie.
Le Concile de Trente n'a pas voulu définir ce privilège mais il a déclaré que l'Eglise l'affirme avec vigueur: "Tenet" (Elle le tient), c'est-à-dire elle le retient fermement. Il s'agit d'un choix qui, loin de reléguer cette vérité parmi les croyances pieuses ou les opinions dévotionnelles, en confirme le caractère de doctrine solide, bien présente dans la foi du Peuple de Dieu. Du reste, cette conviction se fonde sur la grâce attribuée à Marie par l'ange, au moment de l'Annonciation. En l'appelant "pleine de grâce" (" kecharitoméne "), l'ange reconnaît en elle la femme dotée d'une perfection permanente et d'une plénitude de sainteté, sans l'ombre d'une faute ou d'une imperfection d'ordre moral ou spirituel.
3. Certains Pères de l'Église des premiers siècles, qui n'avaient pas encore acquis la conviction de sa parfaite sainteté, ont attribué à Marie des imperfections ou des défauts moraux. Même des auteurs récents ont faite leur cette position. Mais les textes évangéliques cités pour justifier ces opinions ne permettent absolument pas de fonder l'attribution d'un péché, ou même seulement d'une imperfection morale, à la Mère du Rédempteur.
La réponse de Jésus à sa Mère, alors qu'il avait 12 ans: " Pourquoi me cherchiez-vous? Ne le saviez-vous pas? C'est chez mon Père que je dois être" (Lc 2, 49), a été parfois interprétée comme un reproche voilé. Une lecture attentive de l'épisode fait comprendre au contraire que Jésus n'a pas reproché à sa Mère et à Joseph de le chercher, puisqu'ils avaient la responsabilité de veiller sur lui.
Rencontrant Jésus après une recherche tourmentée, Marie se borne à lui demander seulement le "pourquoi" de son comportement : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?" (Lc 2, 48). Et Jésus répond par un autre "pourquoi", s'abstenant de tout reproche et faisant allusion au mystère de sa filiation divine.
Les paroles prononcées à Cana : "Femme, que me veux-tu? Mon heure n'est pas encore venue" (Jn 2, 4), ne peuvent pas, elles non plus, être interprétées comme un reproche. Devant le probable souci qu'aurait provoqué chez les époux le manque de vin, Marie s'adresse à Jésus avec simplicité, en lui confiant le problème. Tout en étant conscient d'être le Messie tenu de n'obéir qu'à la volonté de son Père, Jésus accède à la demande implicite de sa Mère. Surtout, il répond à la foi de la Vierge et commence ainsi ses miracles, manifestant sa gloire.
4. Certains ont interprété de manière négative la déclaration de Jésus lorsque, au début de sa vie publique, Marie et ses parents demandent à le voir. En nous rapportant la réponse de Jésus à qui lui disait : "Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir", l'évangéliste Luc nous donne la clef de lecture du récit, que l'on doit comprendre à partir des dispositions intérieures de Marie, bien différentes de celles des "frères" (cf. Jn 7, 5). Jésus répond : "Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique" (Lc 8, 21). Dans le récit de l'Annonciation, Luc a montré en effet comment Marie a été le modèle de l'écoute de la Parole de Dieu et de la docilité généreuse. Interprété dans cette perspective, l'épisode propose un grand éloge de Marie, qui a accompli parfaitement dans sa vie le dessein divin. Les paroles de Jésus, tout en s'opposant à la tentative de ses frères, exaltent la fidélité de Marie à la volonté de Dieu et la grandeur de sa maternité, qu'elle a vécue non seulement physiquement mais aussi spirituellement.
En lui décernant cette louange indirecte, Jésus use d'une méthode particulière : il met en évidence la noblesse du comportement de Marie, à la lumière d'affirmations de portée plus générale, et montre mieux la solidarité et la proximité de la Vierge avec l'humanité dans le difficile chemin de la sainteté.
Enfin, les paroles : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique" (Lc 11, 28), prononcées par Jésus pour répondre à la femme qui déclarait sa Mère bienheureuse, loin de mettre en doute la perfection personnelle de Marie, mettent en relief son accomplissement fidèle de la Parole de Dieu : c'est ainsi que l'Église les a comprises, en insérant cette expression dans les célébrations liturgiques en l'honneur de Marie.
Le texte évangélique suggère en effet que, par cette déclaration, Jésus a voulu révéler que c'est bien dans l'union intime avec Dieu et l'adhésion parfaite à la Parole de Dieu que se trouve le motif le plus grand de la "béatitude" de sa Mère.
5. Le privilège spécial accordé par Dieu à la "Toute Sainte " nous conduit à admirer les merveilles réalisées dans sa vie par la grâce. Il nous rappelle de plus que Marie a toujours et totalement appartenu au Seigneur, et qu'aucune imperfection n'a compromis la parfaite harmonie entre elle et Dieu.
Son histoire terrestre est donc caractérisée par le développement constant et sublime de la foi, de l'espérance et de la charité. Aussi Marie est-elle pour les croyants le signe lumineux de la Miséricorde divine et le guide sûr vers les hautes cimes de la perfection évangélique et de la sainteté.

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Audience générale du 10 juillet 1996

La virginité de Marie, vérité de foi
Mt 1, 20-23

Cher(e) ami(e)s ,
1.
L'Église a constamment tenu que la virginité de Marie était une vérité de foi, accueillant ainsi et approfondissant le témoignage des Évangiles de Luc, de Matthieu et, probablement, de Jean. Dans l'épisode de l'Annonciation, l'évangéliste Luc appelle Marie "vierge ", faisant allusion aussi bien à son intention de persévérer dans la virginité qu'au dessein divin qui concilie ce propos avec sa maternité prodigieuse. L'affirmation de la conception virginale, due à l'action de l'Esprit Saint, exclut toute hypothèse de parthénogénèse naturelle comme aussi les tentatives d'expliquer le récit lucanien comme une explicitation d'un thème hébraïque ou un écho d'une légende mythologique païenne.
La structure du texte lucanien (cf. Lc 1, 26-38 ; 2, 19. 51) résiste à toute interprétation réductrice. Sa cohérence ne permet pas de soutenir valablement des mutilations des termes ou des expressions qui affirment la conception virginale opérée par le Saint-Esprit.
2. L'évangéliste Matthieu, rapportant l'annonce de l'ange à Joseph, affirme tout comme Luc la conception opérée " par l'Esprit Saint ", à l'exclusion de toute relation conjugale.
En outre, la conception virginale de Jésus est communiquée à Joseph en un second moment : il ne s'agit pas pour lui d'une invitation à donner un consentement préalable à la conception du Fils de Marie, fruit de l'intervention surnaturelle de l'Esprit Saint et de la coopération de la seule mère. Il est seulement appelé à accepter librement son rôle d'époux de la Vierge et une mission paternelle à l'égard de l'enfant.
Matthieu présente l'origine virginale de Jésus comme l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe : "Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit : "Dieu avec nous" " (Mt 1, 23 ; cf. Is 7,14) Ainsi Matthieu nous amène à penser que la conception virginale de Jésus a été objet de réflexion dans la première communauté chrétienne, qui a compris sa conformité avec le dessein divin de salut et son lien avec l'identité de Jésus, "Dieu avec nous ".
3. A la différence de Luc et de Matthieu, l'Évangile de Marc ne parle pas de la conception et de la naissance de Jésus. Pourtant, il est remarquable que Marc ne mentionne jamais le nom de Joseph, époux de Marie. Jésus est appelé " le fils de Marie ", originaire de Nazareth, ou bien, dans un autre contexte, à plusieurs reprises," le Fils de Dieu " (3 ; 11 ; 5, 7 ; cf. 1, 1. 11 ; 9, 7 ; 14, 61. 62 ; 15, 29). Ces données sont en harmonie avec la foi dans le mystère de sa génération virginale. Cette vérité, selon une découverte exégétique récente, serait également contenue au verset 13 du Prologue de l'Évangile de Jean, que certains auteurs anciens (par exemple Irénée et Tertullien) présentent, non pas sous sa forme plurielle habituelle mais au singulier : " Il n'est pas né de la chair et du sang, ni d'une volonté charnelle, ni d'une volonté d'homme : il est né de Dieu ". Cette version au singulier ferait du Prologue de Jean une des attestations majeures de la génération virginale de Jésus, inscrite dans le contexte du mystère de l'Incarnation.
L'affirmation paradoxale de Paul : " Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils. Il est né d'une femme... pour faire de nous des fils" (Ga 4, 4-5), ouvre la voie à l'interrogation sur la personnalité de ce Fils et donc sur sa naissance virginale.
Ce témoignage uniforme des Évangiles atteste combien la foi en la conception virginale de Jésus a été solidement enracinée dans divers milieux de l'Église primitive. Et cela prive de tout fondement certaines interprétations récentes qui comprennent la conception virginale dans un sens non pas physique ou biologique, mais seulement dans un sens symbolique ou métaphorique : elle désignerait Jésus comme un don de Dieu à l'humanité. On doit dire la même chose de l'opinion avancée par d'autres, selon lesquels le récit de la conception virginale serait au contraire un " theologoumenon ", c'est-à-dire une manière d'exprimer une doctrine théologique, celle de la filiation divine de Jésus, ou serait sa représentation mythologique.
Comme nous l'avons vu, les Évangiles contiennent l'affirmation explicite d'une conception virginale d'ordre biologique, opérée par le Saint-Esprit, et l'Église a fait sienne cette vérité dès les premières formulations de la foi (cf. Catéchisme de l'Église catholique, 496).
4. La foi exprimée dans les Évangiles est confirmée, sans interruption, par la tradition postérieure. Les formules de foi des premiers auteurs chrétiens postulent l'affirmation de la naissance virginale : Aristide, Justin, Irénée, Tertullien sont en accord avec saint Ignace d'Antioche qui proclame Jésus " vraiment né d'une vierge" (Aux Smyrn., 1, 2). Ces auteurs veulent parler d'une génération virginale de Jésus réelle et authentique, et ils sont loin de n'affirmer qu'une virginité seulement morale ou un vague don de grâce manifesté par la naissance de l'enfant.
Les définitions solennelles de foi des Conciles oecuméniques et du Magistère pontifical qui font suite aux premières formules de foi, sont en parfaite consonance avec cette vérité. Le Concile de Chalcédoine (451), dans sa profession de foi rédigée avec un très grand soin et au contenu défini de manière infaillible, affirme que le Christ a été " engendré... selon l'humanité, en ces derniers jours, pour nous et pour notre salut, de la Vierge Marie, Mère de Dieu " (DS, 301). Pareillement, le troisième Concile de Constantinople (681) proclame que Jésus-Christ a été " engendré... selon l'humanité, de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie, elle qui est proprement et en toute vérité la Mère de Dieu" (DS, 555). D'autres Conciles oecuméniques (IIe de Constantinople, IVe du Latran, IIe de Lyon) déclarent Marie " toujours vierge ", soulignant sa virginité perpétuelle (DS, 423, 801, 852). Ces affirmations ont été reprises par le Concile Vatican II, mettant en évidence le fait que Marie " par sa foi et son obéissance... engendra sur terre le Fils même du Père, sans connaître d'homme, mais sous l'ombre de l'Esprit Saint" (LG, 63).
Il faut ajouter aux définitions conciliaires celles du Magistère pontifical relatives à la conception immaculée de la " Bienheureuse Vierge Marie" (DS, 2803) et à l'Assomption de la "Mère immaculée de Dieu, toujours vierge " (DS, 3903).
5. Même si les définitions du Magistère, à l'exception du Concile du Latran de 649, voulu par le Pape Martin 1er, ne précisent pas le sens de l'appellation " vierge ", il est clair que ce terme est employé dans son sens habituel : l'abstention volontaire d'actes sexuels et la préservation de l'intégrité corporelle. En tout cas, l'intégrité physique est retenue comme essentielle à la vérité de foi de la conception virginale de Jésus (cf. Catéchisme de l'Église catholique, 496).
La désignation de Marie comme " sainte, toujours vierge, immaculée ", attire l'attention sur le lien entre sainteté et virginité. Marie a voulu une vie virginale, parce qu'elle était animée par le désir de donner tout son coeur à Dieu.
L'expression employée dans la définition de l'Assomption, "l'Immaculée Mère de Dieu, toujours Vierge ", suggère aussi le lien existant entre la virginité et la maternité de Marie : deux prérogatives miraculeusement unies dans l'engendrement de Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Ainsi la virginité de Marie est-elle intimement liée à sa divine maternité et à sa parfaite sainteté.

 

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Audience générale du 31 juillet 1996

La conception virginale de Jésus
Lc 1,34-37

Cher(e) ami(e)s ,
1.
Dans son dessein de salut, Dieu a voulu que son Fils unique naisse d'une Vierge. Cette décision divine suppose un rapport profond entre la virginité de Marie et l'Incarnation du Verbe.
" Le regard de la foi peut découvrir, en lien avec l'ensemble de la Révélation, les raisons mystérieuses pour lesquelles Dieu, dans son dessein salvifique, a voulu que son Fils naisse d'une vierge. Ces raisons touchent aussi bien la personne et la mission rédemptrice du Christ que l'accueil de cette mission par Marie pour tous les hommes " (Catéchisme de l'Église catholique, 502).
La conception virginale, excluant une paternité humaine, affirme que le seul Père de Jésus est le Père céleste et que, dans l'engendrement temporel du Fils, se reflète l'engendrement éternel : le Père, qui avait engendré son Fils dans l'éternité, l'engendre aussi dans le temps en tant qu'homme.
2. Le récit de l'Annonciation met en relief l'état de "Fils de Dieu ", conséquence de l'intervention divine lors de la conception. "L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c'est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu" (Lc 1, 35).
Celui qui naît de Marie est déjà, en vertu de l'engendrement éternel, Fils de Dieu : son engendrement virginal, réalisé par l'intervention du Très-Haut, manifeste que, dans son humanité aussi, il est le Fils de Dieu.
La révélation de l'engendrement éternel par l'engendrement virginal est également suggérée par des expressions que l'on trouve dans le Prologue de l'Évangile de saint Jean, qui mettent en relation la manifestation du Dieu invisible par "le Fils unique qui est dans le sein du Père" (Jn 1, 18) et sa venue dans la chair : "Et le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité" (Jn 1, 14).
Lorsqu'ils racontent comment Jésus fut engendré, Luc et Matthieu affirment également le rôle de l'Esprit Saint. Il n'est pas le père de l'Enfant : Jésus est uniquement Fils du Père éternel (cf. Lc 1, 32-35) qui, par l'Esprit, travaille dans le monde et engendre le Verbe selon la nature humaine. En effet, lors de l'Annonciation, l'Ange appelle l'Esprit " la puissance du Très-Haut " (Lc 1, 35), en harmonie avec l'Ancien Testament qui le présente comme l'énergie divine à l'oeuvre dans l'existence humaine, la rendant capable d'actions merveilleuses. Se manifestant à un degré suprême dans le mystère de l'Incarnation, cette puissance qui, dans la vie trinitaire de Dieu est l'Amour, a pour mission de donner le Verbe incarné à l'humanité.
3. L'Esprit Saint, en particulier, est la Personne qui communique les richesses divines aux hommes et les rend participants de la vie de Dieu. Lui qui, dans le mystère trinitaire, est l'unité du Père et du Fils, en accomplissant l'engendrement virginal de Jésus, unit l'humanité à Dieu.
Le mystère de l'Incarnation met aussi en lumière l'incomparable grandeur de la maternité virginale de Marie : la conception de Jésus est le fruit de sa généreuse coopération à l'action de l'Esprit d'Amour, source de toute fécondité.
Dans le plan divin de salut, la conception virginale est donc une annonce de la création nouvelle : par l'action de l'Esprit Saint, Celui qui sera l'Homme nouveau est engendré en Marie. Comme l'affirme le Catéchisme de l'Église catholique : "Jésus est conçu du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie parce qu'il est le nouvel Adam qui inaugure la création nouvelle" (n. 504). Dans le mystère de cette nouvelle création resplendit le rôle de la maternité virginale de Marie. En appelant le Christ " Premier-né de la Vierge" (Adv. Haer, 3, 16,4), saint Irénée rappelle que, après Jésus, beaucoup d'autres naissent de la Vierge, en ce sens qu'ils reçoivent la vie nouvelle du Christ. "Jésus est le Fils unique de Marie. Mais la maternité spirituelle de Marie s'étend à tous les hommes qu'il est venu sauver. Elle engendra son Fils, dont Dieu a fait "l'aîné d'une multitude de frères" (Rm 8, 29), c'est-à-dire de croyants, à la naissance et à l'éducation desquels elle apporte la coopération de son amour maternel" (Catéchisme de l'Eglise catholique, 501).
4. La communication de la vie nouvelle est la transmission de la filiation divine. Nous pouvons rappeler ici la perspective ouverte par Jean dans le Prologue de son Évangile : celui que Dieu a engendré donne aux croyants le pouvoir de devenir enfants de Dieu (cf. Jn 1, 12-13). L'engendrement virginal permet l'extension de la paternité divine : les hommes sont rendus fils adoptifs de Dieu en Celui qui est Fils de la Vierge et du Père.
La contemplation du mystère de l'engendrement virginal nous fait donc comprendre que Dieu a choisi pour son Fils une mère vierge, afin d'offrir plus largement son amour de Père à toute l'humanité.

 

 

L'union virginale de Marie et Joseph
Lecture : Mt 1, 18-20

Cher(e) ami(e)s ,
1.
En présentant Marie comme "vierge", l'Évangile de Luc ajoute qu'elle était "accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph" (Lc 1, 27). Ces informations apparaissent, à première vue, contradictoires.
Il convient de noter que le terme grec utilisé dans ce passage n'indique pas la situation d'une femme qui a contracté un mariage et qui vit donc dans l'état matrimonial, mais celui des fiançailles. Toutefois, à la différence de ce qui a lieu dans les cultures modernes, dans la tradition Judaïque, l'institution des fiançailles prévoyait un contrat et avait normalement une valeur définitive : en effet, elle introduisait les fiancés dans l'état matrimonial, même si le mariage ne s'accomplissait pleinement que lorsque le jeune homme conduisait la jeune fille dans sa maison.
Au moment de l'Annonciation, Marie se trouve donc dans la situation de promise au mariage. On peut se demander pourquoi elle a accepté les fiançailles, à partir du moment où elle avait décidé de rester vierge pour toujours. Luc est conscient de cette difficulté, mais se limite à rapporter la situation, sans apporter d'explications. Le fait que l'Évangéliste, tout en soulignant l'intention de virginité de Marie, la présente également comme l'épouse de Joseph, représente un signe de la crédibilité historique des deux informations.
2. On peut supposer qu'au moment des fiançailles, il y a eu une entente entre Joseph et Marie sur son projet de vie virginale. D'ailleurs, l'Esprit Saint, qui avait inspiré à Marie le choix de la virginité en vue du mystère de l'Incarnation, et qui voulait que celle-ci advint dans un cadre familial propice à la croissance de l'Enfant, a pu également susciter chez Joseph l'idéal de la virginité.
Lui apparaissant en rêve, l'Ange du Seigneur lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint" (Mt 1, 20). Il reçoit ainsi la confirmation d'être appelé à vivre de façon tout à fait spéciale la voie du mariage. A travers la communion virginale avec la femme choisie pour donner le jour à Jésus, Dieu l'appelle à coopérer à la réalisation de son dessein de salut.
Le type de mariage vers lequel l'Esprit Saint oriente Marie et Joseph n'est compréhensible que dans le cadre du plan salvifique et dans le cadre d'une haute spiritualité. La réalisation concrète du mystère de l'Incarnation exigeait une naissance virginale qui soulignait la filiation divine et, en même temps, une famille qui puisse assurer le développement normal de la personnalité de l'Enfant.
C'est précisément en vue de leur contribution au mystère de l'Incarnation du Verbe que Joseph et Marie ont reçu la grâce de vivre ensemble le charisme de la virginité et le don du mariage. La communion d'amour virginal de Marie et de Joseph bien que constituant un cas tout à fait particulier, lié à la réalisation concrète du mystère de l'Incarnation, a toutefois été un véritable mariage (cf. Exhort. apost.
Redemptoris custos, n.7).
La difficulté d'aborder le mystère sublime de leur communion sponsale a conduit certains, dès le II siècle, à attribuer à Joseph un âge avancé et à voir en lui le gardien plutôt que l'époux de Marie. Au contraire, il faut supposer qu'il n'était pas alors un homme âgé, que sa perfection intérieure, fruit de la grâce, le porta à vivre avec une affection virginale la relation sponsale avec Marie.
3. La coopération de Joseph au mystère de l'Incarnation comporte également l'exercice du rôle paternel à l'égard de Jésus. Cette fonction lui est reconnue par l'Ange, qui, lui apparaissant en rêve, l'invite à donner son nom à l'Enfant "Elle enfantera un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus: car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés" (Mt 1,21).
Tout en excluant la génération physique, la paternité de Joseph fut une paternité réelle, et non apparente. En faisant la distinction entre père et géniteur, une antique monographie sur la virginité de Marie – le "De Margarita" (IV siècle) – affirmait que "les engagements pris par la Vierge et par Joseph en tant qu'époux firent en sorte qu'il puisse être appelé par ce nom (père) ; un père, toutefois, qui n'a pas engendré". Joseph exerça donc le rôle de père à l'égard de Jésus, disposant d'une autorité à laquelle le Rédempteur s'est librement "soumis" (Lc 2, 51), en contribuant à son éducation et en lui transmettant le métier de charpentier.
Les chrétiens ont toujours reconnu en Joseph celui qui a vécu en communion intime avec Marie et Jésus, déduisant que même dans la mort, il a bénéficié de leur présence réconfortante et affectueuse. De cette tradition chrétienne constante s'est développée dans de nombreux lieux une dévotion particulière à la Sainte Famille et en elle, à saint Joseph, Gardien du Rédempteur. Le Pape Léon XIII lui confia, comme on le sait, le "patronat" de toute l'Église.

 

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Audience générale du 4 septembre 1996

La servante obéissante du Seigneur
Lecture : Lc 1, 39-42

Cher(e) ami(e)s ,
1.
Les paroles de Marie lors de l'Annonciation : "Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole" (Lc 1, 38) mettent en évidence une attitude caractéristique de la religiosité juive. Moïse, au commencement de l'Ancienne Alliance, en réponse a l'appel du Seigneur, s'était proclamé son serviteur (cf. Ex 4, 10; 14, 31). Au début de la Nouvelle Alliance, Marie aussi répond à Dieu par un acte de libre soumission et d'abandon conscient à sa volonté, manifestant une entière disponibilité à être la " servante du Seigneur ".
Dans l'Ancien Testament, la qualité de " serviteur " de Dieu réunit tous ceux qui sont appelés à exercer une mission en faveur du peuple élu : Abraham (Gn 26, 24), Isaac (Gn 24, 14), Jacob (Ex 32, 13; Es 37,25), Josué (Jos 24, 29), David (2 S 7,8, etc). Les prophètes et les prêtres, à qui est confiée la tâche de former le peuple au service fidèle du Seigneur, sont également des serviteurs. Le livre du prophète Isaïe exalte, dans la docilité du "Serviteur souffrant", un modèle de fidélité à Dieu dans l'espérance de rachat pour les péchés de la multitude (cf. Is 42, 53). Certaines femmes offrent également des exemples de fidélité, comme la reine Esther qui, avant d'intercéder pour le salut des Juifs, adresse une prière à Dieu, en se nommant plusieurs fois "ta servante" (Est 4, 17).
2. Marie, la "pleine de grâce", en se proclamant "servante du Seigneur", entend s'engager à réaliser personnellement, de façon parfaite, le service que Dieu attend de tout son peuple. Les paroles : " Je suis la servante du Seigneur " annoncent Celui qui dira de Lui-même : "Le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10, 45 ; cf. Mt 20,28). L'Esprit Saint réalise ainsi, entre la Mère et le Fils, une harmonie de dispositions intérieures, qui permettra à Marie d'assumer pleinement son rôle maternel auprès de Jésus, en l'accompagnant dans sa mission de Serviteur.
Dans la vie de Jésus, la volonté de servir est constante et surprenante : en tant que Fils de Dieu, en effet, il aurait pu, à juste titre, se faire servir. En s'attribuant le titre de " Fils de l'homme ", au sujet duquel le livre de Daniel affirme : "Tous peuples, nations et langues le servirent" (Dn 7, 14), il aurait pu prétendre dominer les autres. En revanche, en combattant la mentalité de l'époque, exprimée par l'aspiration des disciples à jouer un rôle de premier plan (cf. Mc 9, 34) et par la protestation de Pierre au cours du lavement des pieds (Jn 13, 6), Jésus ne veut pas être servi, mais désire servir jusqu'à donner totalement sa vie dans l'oeuvre de la rédemption.
3. A l'annonce de l'Ange, Marie, tout en étant consciente de la très haute dignité qui lui était conférée, se déclare elle aussi spontanément "servante du Seigneur". Dans cet engagement de service, elle inclut également la volonté de servir le prochain, comme le démontre la relation entre les épisodes de l'Annonciation et de la Visitation : informée par l'Ange qu'Elisabeth attend la naissance d'un fils, Marie se met en voyage et rejoint "en hâte" (Lc 1, 39) la Judée pour aider sa parente à préparer la naissance de l'enfant, en se montrant totalement disponible. Elle offre ainsi aux chrétiens de tous les temps un modèle sublime de service.
Les mots : "Que tout se passe pour moi selon ta parole" (Lc 1, 38), montrent chez celle qui s'est déclarée la servante du Seigneur une totale obéissance à la volonté de Dieu. Le subjonctif optatif "genoito " advienne ", "que tout se passe ", qu'emploie Luc, exprime non seulement l'acceptation mais la prise en charge convaincue du projet divin, qu'elle fait sien par la mise en oeuvre de toutes ses ressources personnelles.

4. En se conformant à la volonté divine, Marie anticipe et fait sienne l'attitude du Christ qui, selon la Lettre aux Hébreux, dit en entrant dans le monde "Tu n'as pas voulu de sacrifices ni d'offrandes, mais tu m'as fait un corps... Alors je t'ai dit : me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté " (He 10, 5-7 ; Ps 40/39, 7-9).
La docilité de Marie annonce et préfigure, par ailleurs, celle qu'exprime Jésus au cours de sa vie publique et jusqu'au Calvaire. Le Christ dira: " Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé "(Jn 4, 35). Dans cette même ligne, Marie fait de la volonté du Père le principe qui inspire toute son existence, recherchant en elle la force nécessaire à l'accomplissement de la mission qui lui a été confiée.
Si, au moment de l'Annonciation, Marie ne connaît pas encore le sacrifice qui caractérise la mission du Christ, la prophétie de Syméon lui fera entrevoir le destin tragique de son Fils (cf. Lc 2, 34-35). La Vierge s'y associera en y participant intimement. Par sa totale obéissance à la volonté divine, Marie est prête à vivre tout ce que l'amour divin projette pour son existence, jusqu'au " glaive " qui transpercera son âme.

 

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Audience générale du 2 octobre 1996

Le mystère de la Visitation, prélude à la mission du Christ
Lecture : Lc 1, 44-45

Cher(e) ami(e)s ,
1.
Dans l'épisode de la Visitation, saint Luc montre combien la grâce de l'Incarnation, après avoir rempli le coeur de Marie, apporte salut et joie à la maison d'Elisabeth. Le Sauveur des hommes, dans le sein de sa Mère, répand l'Esprit Saint, se manifestant dès le commencement de sa venue au monde.
Lorsqu'il décrit le départ de Marie pour la Judée, l'Evangéliste emploie le verbe "anistemi ", qui signifie " se lever ", "se mettre en mouvement". Si nous considérons que ce verbe est employé dans les Evangiles pour indiquer la résurrection de Jésus (Mc 8, 31 ; 9, 9. 31 ; Lc 24, 7. 46) ou des actions matérielles qui comportent un élan spirituel (Lc 5, 27-28 ; 15, 18. 20), nous pouvons supposer que Luc veut souligner par cette expression l'élan vigoureux qui conduit Marie, sous l'inspiration de l'Esprit Saint, à donner au monde le Sauveur.
Le texte évangélique rapporte par ailleurs que Marie accomplit son voyage " en hâte " (Lc 1, 39). Même la notation " vers une ville de la montagne" (Lc 1, 39) apparaît, dans le contexte lucanien, bien davantage qu'une simple indication topographique, car elle fait penser au messager de la Bonne Nouvelle décrit dans le Livre d'Isaïe : " Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : "Ton Dieu règne" " (Is 52, 7).
Comme le fait saint Paul, qui reconnaît l'accomplissement de ce texte prophétique dans la prédication de l'Evangile (Rm 10, 15), saint Luc semble lui aussi inviter à voir Marie comme la première " Evangéliste ", qui répand la Bonne Nouvelle, marquant le début des voyages missionnaires de son divin Fils.
Enfin, particulièrement significative est la direction du voyage de la très Sainte Vierge : ce sera de la Galilée à la Judée, tout comme la route missionnaire de Jésus (cf. 9, 51). En effet, par sa visite à Élizabeth, Marie réalise le prélude de la Mission de Jésus et, en collaborant dès le début de sa maternité à l'oeuvre rédemptrice de son Fils, elle devient le modèle de ceux qui, dans l'Église, se mettent en route pour apporter la lumière et la joie du Christ aux hommes de tous les lieux et de tous les temps.
3. La rencontre avec Élizabeth revêt le caractère d'un joyeux événement salvifique qui dépasse le sentiment spontané de la sympathie familiale. Là où l'embarras de l'incrédulité semble se concrétiser par le mutisme de Zacharie, Marie fait irruption avec la joie de sa foi prompte et disponible " Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élizabeth " (Lc 1, 40).
Saint Luc rapporte que "quand Élizabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit en elle " (Lc 1, 41). La salutation de Marie suscite chez le fils d'Elizabeth un tressaillement de joie : l'entrée de Jésus dans la maison d'Élizabeth, oeuvre de la Mère, apporte au prophète encore à naître cette joie que l'Ancien Testament annonce comme le signe de la présence du Messie.
A la salutation de Marie, la joie messianique investit également Élizabeth qui fut " remplie de l'Esprit Saint et s'écria d'une voix forte : "Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni" " (Lc 1, 41-42).
Par une illumination venant d'en-haut, elle comprend la grandeur de Marie qui, plus que Judith et Esther, préfiguration de Marie dans l'Ancien Testament, est bénie entre toutes les femmes à cause du fruit de ses entrailles, Jésus, le Messie.

4. L'exclamation d'Élizabeth, faite " d'une voix forte ", manifeste un véritable enthousiasme religieux, que la prière de l'Ave Maria continue à faire retentir sur les lèvres des croyants, comme le cantique de louange de l'Église pour les grandes oeuvres réalisées par le Très-Haut chez la Mère de son Fils.
En la proclamant "bénie entre toutes les femmes ", Élizabeth indique que le motif de la béatitude de Marie, c'est sa foi : "Heureuse celle qui a cru à l'accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur" (Lc 1, 45). La grandeur et la joie de Marie ont leur origine dans le fait qu'elle est celle qui croit.
Devant l'excellence de Marie, Elizabeth comprend aussi quel honneur sa visite constitue pour elle : "Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi? " (Lc 1, 43). Par l'expression " mon Seigneur ", Elizabeth reconnaît la dignité royale, et même messianique, du Fils de Marie. En effet, dans l'Ancien Testament, cette expression était employée pour s'adresser au roi (cf. 1 R 1, 13. 20. 21. etc.) et pour parler du Roi-Messie (Ps 110, 1). L'ange avait dit de Jésus : "Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père " (Lc 1, 32). "Remplie de l'Esprit Saint ", Elizabeth a la même intuition. Plus tard, la glorification pascale du Christ révélera en quel sens ce titre doit être compris, c'est-à-dire en un sens transcendant (cf. Jn 20, 28 ; Ac 34-36).
Par son exclamation d'admiration, Elizabeth nous invite à apprécier tout ce que la présence de la Vierge Marie apporte comme don à la vie de tout croyant.
Lors de la Visitation, la Vierge apporte à la mère du Baptiste le Christ, qui répand l'Esprit Saint. Ce rôle de médiatrice est bien mis en évidence par les paroles mêmes d'Élizabeth : " Lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation, l'enfant a tressailli de joie au-dedans de moi" (Lc 1, 44). L'intervention de Marie produit, par le don de l'Esprit Saint, comme un prélude de la Pentecôte, confirmant une coopération qui, commencée à l'Incarnation, est destinée à s'exprimer dans toute l'oeuvre du salut divin.

 

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Audience générale du 20 novembre 1996

Marie et la naissance de Jésus
Lecture : Lc 2, 6-7

Cher(e) ami(e)s ,
1.
Dans son récit de la naissance de Jésus, l'évangéliste Luc rapporte certains faits qui aident à mieux comprendre la signification de l'événement.
Il rappelle tout d'abord le recensement ordonné par l'empereur Auguste, qui oblige Joseph, " de la Maison de David ", et Marie son épouse, à se rendre "dans la ville de David, appelée Bethléem" (Lc 2, 4).
Quand il nous informe sur les circonstances qui furent celles du voyage et de l'enfantement, l'Evangéliste nous présente une situation de gêne et de pauvreté, qui fait entrevoir certaines caractéristiques fondamentales du Royaume messianique : un Royaume sans honneurs ni pouvoirs terrestres, qui appartient à Celui qui, dans sa vie publique, dira de lui-même : "Le Fils de l'homme n'a pas où reposer la tête " (Lc 9, 58).

2. Le récit de Luc présente certaines annotations qui, en apparence, ne semblent pas très importantes, dans l'intention de stimuler chez le lecteur une meilleure compréhension du mystère de la Nativité et des sentiments de Celle qui engendre le Fils de Dieu.
La description de l'événement de l'enfantement, raconté très simplement, nous montre que Marie participe intensément à ce qui s'accomplit en elle : "Elle mit au monde son fils premier-né ; elle l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire... " (Lc 2, 7). L'action de la Vierge est le résultat de sa pleine disponibilité à coopérer au dessein de Dieu ; elle l'avait déjà manifestée lors de l'Annonciation en disant : "Que tout se passe pour moi selon ta parole" (Lc 1, 38).
Marie vit l'expérience de l'enfantement dans une extrême pauvreté : elle ne peut même pas donner au Fils de Dieu ce que les mères ont coutume de donner à un nouveau-né ; elle doit, au contraire, le déposer dans une mangeoire ", un berceau improvisé qui contraste avec la dignité du " Fils du Très-Haut ".


3. L'Évangile note qu'il " n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune" (Lc 2, 7). Il s'agit d'une affirmation qui, rappelant le texte du Prologue de Jean : "Les siens ne l'ont pas reçu " (1, 11), préfigure les nombreux refus que Jésus subira au cours de sa vie terrestre. L'expression "pour eux" unit le Fils et la Mère, et montre combien Marie est déjà associée au destin de souffrance de son Fils et rendue participante de sa mission rédemptrice.

Récusé par "les siens ", Jésus est accueilli par des bergers, des hommes frustes et qui ne jouissent pas d'une bonne réputation, mais qui sont choisis par Dieu pour être les premiers destinataires de la bonne nouvelle de la naissance du Sauveur. Le message que l'ange leur adresse est une invitation à se réjouir : "Voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple " (Lc 2, 10) ; ce message s'accompagne d'une invitation à surmonter toute peur : "Ne craignez pas !".

En effet, comme pour Marie au moment de l'Annonciation, la nouvelle de la naissance de Jésus représente pour eux le grand signe de la bienveillance divine à l'égard des hommes. Dans le divin Rédempteur, contemplé dans la pauvreté de la grotte de Bethléem, on peut trouver une invitation à s'approcher avec confiance de Celui qui est l'espérance de l'humanité.

Le cantique des anges " Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime ", que l'on peut aussi traduire par "aux hommes de la bienveillance" (Lc 2,14), révèle aux bergers ce que Marie avait exprimé dans son " Magnificat " : la naissance de Jésus est le signe de l'amour miséricordieux de Dieu, qui se manifeste spécialement aux humbles et aux pauvres.



4. Les bergers répondent à l'invitation de l'ange avec enthousiasme et empressement " Allons jusqu'à Bethléem pour voir ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître " (Lc 2, 15).

Leur recherche n'est pas infructueuse : " Ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né" (Lc 2,16). Comme nous le rappelle le Concile : "La Mère de Dieu leur montra, heureuse... son Fils premier-né " (LG, 57). C'est l'élément déterminant de leur vie.

Le désir spontané des bergers de raconter " ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant" (Lc 2, 17), après l'extraordinaire expérience de la rencontre de la Mère et de son Fils, suggère aux évangélisateurs de tous les temps l'importance, et plus encore, la nécessité, d'entretenir un profond rapport spirituel avec Marie, afin de mieux connaître Jésus et de devenir de joyeux annonciateurs de son Évangile de salut.

Devant ces événements extraordinaires, Luc nous dit que Marie " retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur" (Lc 2,19). Alors que les bergers passent d'une grande peur à l'admiration et à la louange, la Vierge, grâce à sa foi, garde vivant le souvenir des événements concernant son Fils et les approfondit en les repassant dans son coeur, c'est-à-dire au plus intime d'elle-même. Elle suggère ainsi à une autre Mère, l'Église, de privilégier le don et l'effort de la contemplation et de la réflexion théologique, pour pouvoir accueillir le mystère du salut, le comprendre encore mieux et l'annoncer avec un élan renouvelé aux hommes de chaque époque.

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Audience générale du 3 juillet 1996

Bienheureuse celle qui a cru
Lc 1, 41-45

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Dans le récit évangélique de la Visitation, Élisabeth, "remplie de l'Esprit Saint ", s'exclame en accueillant Marie dans sa maison: "Heureuse, celle qui a cru à l'accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur! " (Lc 1, 45). Cette "Béatitude", la première que nous rapporte l'Évangile de Luc, présente Marie comme celle qui, par sa foi, précède l'Église dans la réalisation de l'esprit des Béatitudes.
L'éloge rendu par Élizabeth à la foi de Marie est renforcé par la comparaison avec l'annonce de l'Ange à Zacharie. Une lecture superficielle des deux annonciations pourrait faire croire que les réponses de Zacharie et de Marie au message divin sont semblables. "Comment vais-je savoir que cela arrivera? Moi, je suis un vieil homme et ma femme aussi est âgée ", dit Zacharie. Et Marie : "Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? " (Lc 1,18. 34). Mais la profonde différence entre les dispositions intimes des deux protagonistes des deux événements apparaît dans les paroles mêmes de l'ange, qui adresse un reproche à Zacharie à cause de son incrédulité, tandis qu'il répond immédiatement à la question de Marie. À la différence de l'époux d'Élizabeth, Marie adhère pleinement au projet divin, en ne subordonnant pas son consentement à la concession d'un signe divin.
A l'Ange qui lui propose de devenir mère, Marie met en avant son propos de garder la virginité. Croyant en la possibilité de l'accomplissement de l'annonce, elle interroge le messager divin sur les modalités de sa réalisation, afin de mieux accomplir la volonté de Dieu à laquelle elle veut adhérer et se confier dans une totale disponibilité. " Elle chercha la manière, elle ne douta pas de la toute-puissance de Dieu ", commente saint Augustin (Sermon 291).
2. Le contexte dans lequel se réalisent les deux annonciations contribue lui aussi à exalter l'excellence de la foi de Marie. Dans le récit de Luc, nous voyons la situation plus favorable de Zacharie et l'inadéquation de sa réponse. Il reçoit l'annonce de l'Ange dans le Temple de Jérusalem, à l'autel, devant le Saint des Saints (cf. Ex 30, 6-8) ; l'Ange s'adresse à lui alors qu'il est en train d'offrir l'encens, alors qu'il remplit sa fonction sacerdotale, en un moment extrêmement important de sa vie ; la décision divine lui est communiquée au cours d'une vision. Ces circonstances particulières facilitent la compréhension de l'authenticité divine du message et constituent un motif d'encouragement à l'accueillir avec empressement.
L'annonce à Marie a lieu au contraire dans un contexte plus simple et ordinaire, sans ces éléments extérieurs de sacralité qui accompagnent l'annonce faite à Zacharie. Luc n'indique pas le lieu précis où se produit l'Annonciation de la naissance du Seigneur : il indique seulement que Marie se trouvait à Nazareth, un village peu important, qui ne semble aucunement prédestiné à abriter un tel événement. De plus, l'Évangéliste n'accorde pas une importance particulière au moment où l'Ange se manifeste, il n'en précise pas les circonstances historiques. Dans le contact avec le messager céleste, l'attention se porte sur le contenu de ses paroles, qui exigent de Marie une écoute intense et une foi pure.
Cette dernière considération nous permet d'apprécier la grandeur de la foi de Marie, surtout si on la compare avec la tendance à demander avec insistance, hier comme aujourd'hui, des signes visibles pour croire. Au contraire, le consentement de la Vierge à la volonté de Dieu n'est motivé que par l'amour qu'elle porte à Dieu.
3. Il est proposé à Marie d'adhérer à une vérité beaucoup plus haute que celle qui est annoncée à Zacharie. Celui-ci est invité à croire à une naissance merveilleuse qui se réalisera à l'intérieur d'une union matrimoniale stérile, que Dieu veut rendre féconde ; une intervention divine analogue à celle dont avaient bénéficié certaines femmes de l'Ancien Testament : Sara (Gn 17, 15-21 ; 18, 10-14), Rachel (Gn 30, 22), la mère de Samson (Jg 13, 1-7), Anne, mère de Samuel (1 S 1, 11-20). Dans ces épisodes, on souligne surtout la gratuité du don de Dieu.
Marie est appelée à croire en une maternité virginale dont l'Ancien Testament ne nous rapporte aucun précédent. En réalité, le célèbre oracle d'Isaïe : "Voici, la jeune femme est enceinte ; elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel " (Is 7, 14), tout en n'excluant pas cette perspective, n'a été explicitement interprété en ce sens qu'après la venue du Christ et à la lumière de la révélation divine.
Il est demandé à Marie d'adhérer à une vérité qui n'avait jamais été énoncée précédemment. Elle l'accueille avec simplicité et audace. Par sa question " Comment cela va-t-il se faire? ", elle exprime sa foi en la puissance divine de concilier la virginité avec sa maternité exceptionnelle et unique.
En répondant : " L'Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre" (Lc 1, 35), l'ange fournit la solution ineffable de Dieu à l'interrogation de Marie. La virginité, qui semblait un obstacle, devient le contexte concret où l'Esprit Saint accomplira en elle la conception du Fils de Dieu incarné. La réponse angélique ouvre la voie à la coopération de la Vierge avec l'Esprit Saint dans l'engendrement de Jésus.
4. Dans la réalisation du dessein divin, est à l'oeuvre la libre collaboration de la personne humaine. En croyant à la Parole du Seigneur, Marie coopère à l'accomplissement de la maternité annoncée.
Les Pères de l'Église soulignent souvent cet aspect de la conception virginale de Jésus. Saint Augustin surtout, commentant l'Évangile de l'Annonciation, affirme : " L'ange annonce, la Vierge écoute, elle croit et elle conçoit " (Sermon 13, In Nat. Dom.). Et encore : "Le Christ est cru et conçu par la foi. D'abord se produit la venue de la foi dans le coeur de la Vierge et ensuite vient la fécondité dans le sein de la Mère "(Sermon 293).
L'acte de foi de Marie rappelle la foi d'Abraham qui, dans les tout premiers temps de l'Ancienne Alliance, a cru en Dieu, devenant ainsi le chef de file d'une postérité nombreuse (cf. Gn 15, 6 ; Redemptoris Mater, 14). Au début de la Nouvelle Alliance, Marie, elle aussi, exerce par sa foi une influence décisive sur l'accomplissement du mystère de l'Incarnation, commencement et résumé de toute la mission rédemptrice du Christ.
Le rapport étroit entre la foi et le salut, que Jésus a mis en relief au cours de sa vie publique (cf. Mc 5, 34 ; 10, 52 ; etc.) aide aussi à comprendre le rôle fondamental qu'a exercé la foi de Marie et qu'elle continue à exercer à l'égard du salut du genre humain.

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Audience générale du 24 juillet 1996

La volonté de rester vierge
Is 13-15

Cher(e) ami(e)s ,
1.
À l'Ange qui lui annonce la conception et la naissance de Jésus, Marie pose une question : "Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge?" (Lc 1, 34). Cette question semble surprenante si nous nous souvenons des récits bibliques qui annoncent à des femmes stériles une naissance extraordinaire. Dans ces cas, il s'agit de femmes mariées, naturellement stériles, auxquelles le don d'un enfant est offert par Dieu par l'intermédiaire de la vie conjugale normale (cf. 1 S 1, 19-20), en réponse à de ferventes prières (cf. Gn 15, 2 ; 30, 22-23 ; 1 S 1, 10 ; Lc 1, 13).
La situation de Marie recevant l'annonce de l'Ange est différente. Elle n'est pas une femme mariée qui a des problèmes de stérilité : elle veut rester vierge, par choix volontaire. Son propos de virginité, fruit de l'amour qu'elle porte au Seigneur, semble donc constituer un obstacle à la maternité annoncée.
À première vue, les paroles de Marie sembleraient exprimer seulement son état présent de virginité : Marie affirmerait qu'elle "ne connaît pas" d'homme, c'est-à-dire qu'elle est vierge. Mais le contexte dans lequel est posée la question : "Comment cela va-t-il se faire? ", et l'affirmation qui suit : "Je ne connaîs pas d'homme", mettent en évidence aussi bien la virginité actuelle de Marie que son intention de rester vierge. L'expression qu'elle emploie, avec sa forme verbale au présent, laisse transparaître la permanence et la continuité de son statut.
2. En faisant état de cette difficulté, Marie, loin de s'opposer au projet divin, manifeste son intention d'y correspondre totalement. Du reste, la jeune fille de Nazareth a toujours vécu en pleine harmonie avec la volonté divine, et elle a choisi une vie virginale dans l'intention de plaire au Seigneur. En réalité, son propos de virginité la dispose à accueillir la volonté divine "de tout son "moi" humain, féminin, et cette réponse de la foi comportait une coopération parfaite avec la grâce prévenante et secourable de Dieu et une disponibilité parfaite à l'action de l'Esprit Saint" (Redemptoris Mater, n. 13).
Certains ont estimé que les paroles et les intentions de Marie étaient invraisemblables car, dans le milieu judaïque, la virginité ne passait pas pour une valeur ou un idéal à rechercher. Les écrits mêmes de l'Ancien Testament le confirment par plusieurs épisodes ou expressions bien connus. Le Livre des Juges, par exemple, raconte l'histoire de la fille de Jephté qui, devant faire face à la mort alors qu'elle n'est pas encore mariée, pleure sa virginité, c'est-à-dire regrette de n'avoir pas pu se marier (Jg 11, 38). En outre, en vertu du précepte divin : "Soyez féconds et multipliez-vous" (Gn 1, 28), le mariage est considéré comme la vocation naturelle de la femme, qui comporte les joies et les souffrances propres à la maternité.
3. Pour mieux comprendre le contexte dans lequel mûrit la décision de Marie, il faut se souvenir que, à l'époque qui précède immédiatement le commencement de l'ère chrétienne, commence à se manifester dans certains milieux juifs une certaine vision positive de la virginité. Par exemple, les Esséniens, dont on a retrouvé à Qumran de nombreux et importants témoignages historiques, vivaient dans le célibat ou limitaient l'usage du mariage, dans le but de mener une vie commune et de rechercher une plus grande intimité avec Dieu.
En outre, il existait en Égypte une communauté de femmes qui, en lien avec la spiritualité essénienne, observaient la continence. Ces femmes, les Thérapeutes, appartenant à une secte décrite par Philon d'Alexandrie (De vita contemplativa, 21-90), se consacraient à la contemplation et recherchaient la sagesse.
Il ne semble pas que Marie ait eu connaissance de ces groupes religieux juifs qui pratiquaient l'idéal du célibat et de la virginité. Mais le fait que Jean-Baptiste ait probablement vécu une vie célibataire, et que la communauté de ses disciples ait tenu une telle vie de célibat en grande estime, pourrait faire supposer que le propos virginal de Marie rentre lui aussi dans ce nouveau contexte culturel et religieux.
4. Mais l'aventure extraordinaire de la Vierge de Nazareth ne doit pas nous faire tomber dans l'erreur de lier complètement ses dispositions intimes à la mentalité ambiante, évacuant ainsi le caractère unique du mystère qui s'est réalisé en elle. En particulier, nous ne devons pas oublier que Marie avait reçu, dès le commencement de sa vie, une grâce surprenante, que l'Ange a reconnue au moment de l'Annonciation. "Pleine de grâce" (Lc 1, 28), Marie fut enrichie d'une perfection de sainteté qui, selon l'interprétation de l'Église, remonte au premier moment de son existence : le privilège unique de l'Immaculée Conception a exercé une influence sur tout le développement de la vie spirituelle de la jeune femme de Nazareth.
On doit donc penser que ce qui conduisit Marie vers l'idéal de la virginité, fut une inspiration exceptionnelle de ce même Esprit Saint qui, au cours de l'histoire de l'Église, poussera tant de femmes sur la voie de la consécration virginale.
La présence singulière de la grâce dans la vie de Marie amène à conclure à un engagement de la jeune fille dans la virginité. Comblée de dons exceptionnels par le Seigneur dès le commencement de son existence, elle s'est orientée vers une consécration totale d'elle-même – âme et corps – à Dieu, dans une offrande virginale.
De plus, l'aspiration à la vie virginale était en harmonie avec cette "pauvreté" devant Dieu, à laquelle l'Ancien Testament accorde une grande valeur. En s'engageant pleinement dans cette vie, Marie renonce aussi à la maternité, richesse personnelle de la femme, tant appréciée en Israël. Ainsi, "elle occupe la première place parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur qui espèrent et reçoivent de lui le salut" (LG, 55). Mais, en se présentant à Dieu comme une "pauvre" et n'aspirant qu'à une fécondité spirituelle, fruit de l'amour divin au moment de l'Annonciation, Marie découvre que sa pauvreté est transformée par le Seigneur en richesse : elle sera la Mère vierge du Fils du Très-Haut. Elle découvrira aussi plus tard que sa maternité est destinée à s'étendre à tous les hommes que son Fils est venu sauver (cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, 501).

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Audience générale du 7 août 1996

Marie, modèle de virginité
Lecture : 1 Co 7, 32-35

Cher(e) ami(e)s ,
1.
La décision de rester vierge, qui ressort des paroles de Marie au moment de l'Annonciation, a été traditionnellement considérée comme le début et l'événement inspirateur de la virginité chrétienne dans l'Église.
Dans une telle résolution, saint Augustin ne reconnaît pas l'accomplissement d'un précepte divin, mais un voeu librement formulé. De cette façon, l'on a pu présenter Marie comme un exemple aux "saintes vierges", au cours de l'histoire de l'Église. Marie "a consacré sa virginité à Dieu, alors qu'elle ne savait pas encore ce qu'elle devait concevoir, afin que l'imitation de la vie céleste dans le corps terrestre et mortel s'accomplisse par voeu, non par précepte, par un choix d'amour et non pas par une nécessité de service " (De Sancta Virg., IV, 4 ; PL 40, 398).
L'Ange ne demande pas à Marie de rester vierge ; c'est Marie qui révèle librement son intention de virginité. C'est dans cet engagement que se situe son choix d'amour qui l'amène à se consacrer totalement au Seigneur avec une vie virginale.
En soulignant la spontanéité de la décision de Marie nous ne devons pas oublier qu'à l'origine de chaque vocation se trouve l'initiative de Dieu. En se tournant vers la vie virginale, la jeune fille de Nazareth répondait à une vocation intérieure, c'est-à-dire à une inspiration de l'Esprit Saint qui l'éclairait sur la signification et sur la valeur du don virginal d'elle-même. Personne ne peut accueillir un tel don sans se sentir appelé et sans recevoir de l'Esprit Saint la lumière et la force nécessaires.
2. Même si saint Augustin utilise le mot "voeu" pour montrer à celles qu'il appelle "saintes vierges" le premier modèle de leur état de vie, l'Évangile ne témoigne pas que Marie ait expressément formulé un voeu, qui est la forme de consécration et de don de sa propre vie à Dieu, utilisée à partir des premiers siècles de l'Église. Il ressort de l'Évangile que Marie a pris la décision personnelle de rester vierge, en offrant son coeur au Seigneur. Elle désire être une épouse fidèle, réalisant la vocation de la "fille de Sion". Toutefois, par sa décision, elle devient l'archétype de tous ceux qui, dans l'Église, ont choisi de servir le Seigneur avec un coeur indivis, dans la virginité.
Ni les Évangiles, ni les autres écrits du Nouvesu Testament ne nous informent sur le moment où Marie a décidé de rester vierge. Toutefois, il ressort clairement de la question de l'Ange qu'au moment de l'Annonciation, cette décision était très ferme. Marie n'hésite pas à exprimer son désir de conserver la virginité, même dans la perspective de la maternité proposée, montrant par là avoir bien mûrit son intention.
En effet, Marie n'a pas assumé le choix de la virginité dans la perspective, imprévisible, de devenir Mère de Dieu, mais il a mûri, dans sa conscience, avant l'Annonciation. Nous pouvons supposer qu'une telle orientation a toujours été présente dans son coeur : la grâce qui la préparait à la maternité virginale a certainement influé sur tout le développement de sa personnalité, alors que l'Esprit Saint n'a pas manqué d'inspirer, depuis son plus jeune âge, le désir de l'union la plus complète avec Dieu.
3. Les merveilles que Dieu opère, aujourd'hui encore, dans le coeur et dans la vie de tant de jeunes garçons et de jeunes filles, ont tout d'abord été réalisées dans l'âme de Marie. De même, dans notre monde, si distrait par les propositions d'une culture souvent superficielle et visant à la consommation, de nombreux adolescents acceptent l'invitation qui vient de l'exemple de Marie et consacrent leur jeunesse au Seigneur et au service de leurs frères.
Cette décision, plus qu'un renoncement aux valeurs humaines, est un choix de valeurs plus élevées. A ce sujet, mon vénéré prédécesseur Paul VI, dans l'Exortation apostolique Marialis cultus, souligne de quelle façon celui qui se tourne vers le témoignage de l'Évangile, avec une âme ouverte, "se rendra compte que le choix par Marie de l'état virginal [...] ne fut point fait de fermeture aux valeurs de l'état conjugal, mais constitua un choix courageux, accompli pour se consacrer totalement à l'amour de Dieu" (n. 37).
En définitive, le choix de l'état virginal est motivé par la pleine adhésion au Christ. Ceci apparaît de façon évidente en Marie. Bien qu'avant l'Annonciation elle n'en soit pas consciente, l'Esprit Saint inspire son don virginal en vue du Christ : elle reste vierge pour accueillir le Messie Sauveur avec toute se personne. La virginité commencée en Marie révèle ainsi se propre dimension christocentrique, essentielle également pour la virginité vécue dans l'Église, qui trouve son modèle sublime dans la Mère du Christ. Si sa virginité personnelle, liée à la maternité divine, demeure un fait exceptionnel, elle illumine et donne un sens à chaque don virginal.
4. Dans l'histoire de l'Église, combien de jeunes femmes, contemplant la noblesse et la beauté du coeur virginal de la Mère du Seigneur, se sont senties encouragées à répondre de façon généreuse à l'appel de Dieu, en embrassant l'idéal de la virginité! "Et précisément cette virginité – comme je l'ai rappelé dans l'Encyclique Redemptoris mater – à l'exemple de la Vierge de Nazareth est la source d'une fécondité spirituelle spéciale : c'est la source de la maternité dans l'Esprit Saint" (n. 43).
La vie virginale de Marie suscite, dans tout le peuple chrétien, l'estime pour le don de la virginité et le désir qu'il se multiplie dans l'Eglise, comme un signe du primat de Dieu sur chaque réalité et comme une anticipation prophétique de la vie future. Remercions ensemble le Seigneur pour ceux qui, aujourd'hui encore, consacrent généreusement leur vie dans la virginité au service du Royaume de Dieu.
Dans le même temps, alors que dans plusieurs régions d'évangélisation ancienne, l'hédonisme et le consumérisme semblent éloigner les jeunes de la vie consacrée, il faut demander sans cesse à Dieu, par l'intercession de Marie, une nouvelle éclosion de vocations religieuses. Ainsi, le visage de la Mère du Christ, qui se reflète dans de nombreuses vierges qui s'efforcent de suivre le Maître divin, continuera d'être, pour l'humanité, le signe de la miséricorde et de la tendresse divines.

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Audience générale du 28 août 1996

Marie toujours vierge ("aeiparthenos")
Lecture : Lc 2, 4-7

Cher(e) ami(e)s ,
1.
L'Eglise a toujours manifesté sa foi dans la virginité permanente de Marie. Les textes les plus anciens, lorsqu'ils se réfèrent à la conception de Jésus, la nomment tout simplement "Vierge", laissant toutefois entendre qu'ils considéraient cette qualité comme un fait permanent, se rapportant à son existence tout entière.
Les chrétiens des premiers siècles exprimèrent cette conviction de foi à travers le terme grec "aeiparthenos" – "toujours vierge" créé pour qualifier de façon unique et efficace la personne de Marie, et exprimer en une seule parole la foi de 1'Église dans sa virginité permanente. Nous le trouvons employé dans le second symbole de foi de saint Epiphane, en 374, en relation avec l'Incarnation : le Fils de Dieu "s'est incarné c'est-à-dire a été engendré parfaitement de sainte Marie, la toujours vierge, par le Saint-Esprit" (Ancoratus, 119, 5 ; DS 44).
L'expression "toujours Vierge" est utilisée à nouveau par le IIe Concile de Constantinople (553), qui affirme : "le Verbe de Dieu, s'étant incarné dans la sainte et glorieuse Mère de Dieu et toujours Vierge Marie est né d'elle" (DS 422). Cette doctrine est confirmée par deux autres Conciles oecuméniques, le Concile de Latran IV (1215) (DS 801) et le IIe Concile de Lyon (1274) (DS 852), ainsi que par le texte de la définition du dogme de l'Assomption (1950) (DS 3903), où la virginité permanente de Marie est comptée au nombre des raisons de son élévation, corps et âme, à la gloire céleste.
2. D'une manière synthétique, la tradition de l'Église a présenté Marie comme "Vierge avant la naissance, au cours de la naissance, après la naissance", affirmant, à travers l'indication de ces trois moments, qu'Elle n'a jamais cessé d'être vierge.
De ces trois affirmations, celle de la virginité "avant la naissance" est, sans aucun doute, la plus importante car elle fait référence à la conception de Jésus et touche directement au mystère même de l'Incarnation. Dès le début, elle est constamment présente dans la foi de l'Eglise.
La virginité "au cours de la naissance" et "après la naissance", bien qu'elle soit implicitement contenue dans le titre de vierge, qui était déjà attribué à Marie à l'aube de l'Église, devint l'objet d'un approfondissement doctrinal lorsque certains commencèrent explicitement à la mettre en doute. Le Pape Hormisdas précise que "le fils de Dieu est devenu Fils de l'homme, né dans le temps à la façon d'un homme, ouvrant le sein de sa mère à sa naissance (cf. Lc 2, 23) et, par la puissance de Dieu, n'ôtant pas la virginité de sa mère" (DS 368). La doctrine est confirmée par le Concile Vatican II ou l'on affirme que le Fils premier-né de Marie a eu pour effet "non la perte mais la consécration de son intégrité virginale" (LG, n. 57). Quant à la virginité après la naissance, il faut tout d'abord remarquer qu'il n'y a pas de raison de penser que la volonté de rester vierge, manifestée par Marie au moment de l'Annonciation (Lc 1, 34), ait changé par la suite. En outre, le sens immédiat des paroles : "Femme, voici ton fils ", " Voici ta mère " (Jn 19,26), que Jésus adresse de la croix à Marie et au disciple préféré laisse supposer une situation qui exclut la présence d'autres enfants nés de Marie.
Les détracteurs de la virginité après la naissance ont pensé avoir trouvé un argument probant dans le terme " premier-né ", attribué à Jésus dans l'Évangile (Lc 2,7) comme si cette expression laissait supposer que Marie ait engendré d'autres enfants après Jésus. Mais la parole " premier-né " signifie littéralement " enfant qui n'est pas précédé par un autre " et en soi, fait abstraction de l "existence d'autres enfants. En outre, l'évangéliste souligne cette caractéristique de l'Enfant, car la naissance du premier-né était accompagnée de plusieurs célébrations importantes propres à la loi judaïque, indépendamment du fait que la mère ait eu d'autres enfants. Chaque fils unique était donc l'objet de ces obligations, car il était le " premier-né " (cf. Lc 2,23).
3. Selon certain, la virginité de Marie après la naissance serait niés par les textes évangéliques qui reppellent l'existence de quatre " frères de Jésus " : Jacques, Joseph, Simon et Juda (Mt 13, 55-56 ; Mc 6, 3) et de plusieurs soeurs.
Il faut rappeler que en hébreu comme en araméen, il n'existe pas de mot particulier pour exprimer la parole " cousin ", et que les termes " frère " et " soeur " avaient une signification très large, qui comprenaient plusieurs degrés de parenté. En réalité, le terme " frère de Jésus " indique " les fils " d'une Marie disciple du Christ (cf Mt 27,56), qui est désignée de façon significative comme " l'autre Marie " (Mt 28,1). Il s'agit de proches parents de Jésus, selon une expression parfois utilisées dans l'Ancien Testament (CCC, n.500).
La Très Sainte Vierge est donc la " toujours Vierge ". Cette prérogative est la conséquence de la maternité divine, qui l'a totalement consacrée à la mission rédemptrice du Christ.

 

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Audience générale du 18 septembre 1996

Marie, la " nouvelle Eve "
Lecture : Lc 1, 35-38

Cher(e) ami(e)s ,

1.
Commentant l'épisode de l'Annonciation, le Concile Vatican II souligne tout spécialement la valeur du consentement de Marie aux paroles du messager divin. A l'inverse de ce qui se passe dans des récits bibliques analogues, l'ange attend expressément ce consentement : " Le Père des miséricordes a voulu que l'Incarnation fut précédée par une acceptation de la part de cette Mère prédestinée, en sorte que, une femme ayant contribué à l'oeuvre de mort, de même une femme contribuât aussi à la vie " (LG, 56).
Lumen gentium rappelle le contraste entre le comportement d'Ève et celui de Marie, que saint Irénée illustre en ces termes : "Comme celle-là - c'est-à-dire Ève - avait été séduite par le discours d'un ange, de sorte qu'elle en vint à fuir Dieu en trahissant sa parole, de même celle-ci - c'est-à-dire Marie - reçut la bonne nouvelle d'un discours de l'Ange, en sorte qu'elle portât Dieu, obéissant à sa parole. Et comme celle-là avait été séduite de manière à désobéir à Dieu, celle-ci se laissa persuader d'obéir à Dieu. Et ainsi la Vierge Marie devint l'avocate de la vierge Ève. Et comme le genre humain avait été assujetti à la mort par une vierge, il en fut libéré par une Vierge. Ainsi la désobéissance d'une vierge a été contrebalancée par l'obéissance d'une Vierge" (Adv. Haer., 5, 19. 1).


2. En prononçant son " oui " total au projet divin, Marie est pleinement libre devant Dieu. Dans le même temps, elle se sent personnellement responsable à l'égard de l'humanité, dont l'avenir est lié à sa réponse.
Dieu remet entre les mains d'une jeune femme le destin de tous. Le "oui " de Marie pose les prémices pour que se réalise le dessein que, dans son amour, Dieu a prédisposé pour le salut du monde.
Le Catéchisme de l'Église catholique résume de manière synthétique et efficace la valeur décisive pour toute l'humanité du libre consentement de Marie au plan divin du salut : "La Vierge Marie a "coopéré au salut des hommes avec sa foi et son obéissance libres". Elle a prononcé son oui "au nom de toute la nature humaine". Par son obéissance, elle est devenue la nouvelle Ève, mère des vivants " (n. 511).
3. Par son comportement, Marie rappelle donc à chacun d'entre nous la grave responsabilité d'accueillir le projet divin sur notre vie. En obéissant sans réserve à la volonté salvifique de Dieu manifestée par la parole de l'Ange, elle devient un modèle pour ceux que le Seigneur proclame heureux parce qu'ils " écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique " (Lc 11, 28). En réponse à la femme qui, dans la foule, proclame sa mère bienheureuse, Jésus montre le vrai motif de la béatitude de Marie : l'adhésion à la volonté de Dieu qui l'a conduite à l'acceptation de la maternité divine.
Dans mon Encyclique Redemptoris Mater, j'ai souligné que la nouvelle maternité spirituelle dont parle Jésus, la concerne en tout premier lieu. En effet, " Marie n'est-elle pas la première de ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique? Dans ces conditions, la bénédiction prononcée par Jésus en réponse aux paroles de la femme anonyme ne la concerne-t-elle pas avant tout? " (n. 20). Marie est ainsi, en un certain sens, proclamée première disciple de son Fils (cf. ibid.) et, par son exemple, elle invite tous les croyants à répondre généreusement à la grâce du Seigneur.


4. Le Concile Vatican II décrit dans un passage la consécration totale de Marie à la personne et à l'oeuvre du Christ : " Elle se livra elle-même intégralement, comme la servante du Seigneur, à la personne et à l'oeuvre de son Fils, pour servir, dans sa dépendance et avec lui, par la grâce du Dieu tout-puissant, au service de la Rédemption " (LG, 56).
La consécration à la personne et à l'oeuvre de Jésus signifie pour Marie l'union intime avec son Fils, l'engagement maternel à promouvoir sa croissance humaine et la coopération à son oeuvre de salut.
Marie exerce ce dernier aspect de sa consécration à Jésus " sous Lui ", c'est-à-dire dans une condition de subordination qui est le fruit de la grâce. Mais il s'agit d'une véritable coopération car elle se réalise " avec Lui" et comporte, à partir de l'Annonciation, une participation active à l'oeuvre rédemptrice. "C'est donc à juste titre - observe le Concile Vatican II - que les saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas simplement la coopération d'un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance. En effet, comme dit saint Irénée, "par son obéissance, elle est devenue pour elle [Ève] et pour tout le genre humain, cause de salut" " (LG, 56).

Associée à la victoire du Christ sur le péché de nos premiers parents, Marie apparaît comme la vraie "Mère des vivants" (ibid.). Sa maternité, librement acceptée dans l'obéissance au dessein divin, devient source de vie pour toute l'humanité.

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Audience générale du 6 novembre 1996

Le " Magnificat "de Marie, célébration des merveilles de Dieu
Lecture : Lc 1, 46-48

Cher(e) ami(e)s ,
1.
S'inspirant de la tradition vétéro-testamentaire, Marie célèbre par le cantique du Magnificat les merveilles que Dieu a accomplies en elle. Ce cantique est la réponse de la Vierge au mystère de l'Annonciation :
l'Ange l'avait invitée à la joie, et voici que Marie exprime combien son esprit exulte en Dieu, le Sauveur. Sa joie vient de ce qu'elle a fait l'expérience personnelle du regard bienveillant de Dieu sur elle, créature pauvre et sans influence dans l'histoire.
Par l'expression Magnificat, traduction latine d'un mot grec qui a le même sens, c'est la grandeur de Dieu qui est célébrée, lui qui révèle sa toute-puissance par l'annonce de l'Ange, dépassant les attentes et les espérances du peuple de l'Alliance, et même les désirs les plus nobles de l'âme humaine.
Devant le Seigneur puissant et miséricordieux, Marie exprime sa propre petitesse : "Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. Il s'est penché sur son humble servante... " (Lc 1, 4748). Le terme grec "tapéinosis " est probablement emprunté au cantique d'Anne, la mère de Samuel. Ce cantique parle de " l'humiliation " et de la " "misère" d'une femme stérile (cf. 1 S 1, 11) qui confie sa peine au Seigneur. Par une expression semblable, Marie fait connaître sa situation de pauvreté et sa conscience d'être petite devant Dieu qui, par une décision gratuite, a jeté son regard sur elle, humble jeune fille de Nazareth, l'appelant à devenir la Mère du Messie.

2. Les paroles : "Désormais, toutes les générations me diront bienheureuse " (Lc 1, 48), s'appuient sur le fait que, la première, Elisabeth a proclamé Marie "heureuse " (Lc 1, 45). Non sans audace, le cantique prédit que cette exclamation ira en s'étendant et en s'amplifiant selon une dynamique que rien ne pourra arrêter. En même temps, il est le témoin d'une vénération spéciale à l'égard de la Mère de Dieu, présente dans la communauté chrétienne dès le premier siècle.
Le Magnificat constitue la première des diverses expressions cultuelles, transmises d'une génération à l'autre, par lesquelles l'Église manifeste l'amour qu'elle porte à la Vierge de Nazareth.

3. "Le Puissant fit pour moi des merveilles. Saint est son Nom. Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent" (Lc 1, 49-50).
Quelles sont ces "merveilles " que le Tout-Puissant a réalisées en Marie? Dans l'Ancien Testament, l'expression indique la libération d'Égypte ou de Babylone du peuple d'Israël. Dans le Magnificat, elle se rapporte à l'événement mystérieux qu'est la conception virginale de Jésus, qui eut lieu à Nazareth après l'annonce de l'Ange.
Dans le Magnificat, cantique vraiment théologique car il révèle l'expérience que Marie a faite du visage de Dieu, Dieu n'est pas seulement le Tout-Puissant à qui rien n'est impossible, comme l'avait déclaré Gabriel (cf. Lc 1, 37), mais aussi le Miséricordieux, capable de tendresse et de fidélité à l'égard de tout être humain.

4. " Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides" (Lc 1, 51-53).
Par sa lecture sapientielle de l'histoire, Marie nous amène à découvrir les critères de l'agir mystérieux de Dieu. Renversant les jugements de ce monde, il vient au secours des pauvres et des petits, aux dépens des riches et des puissants, et, d'une manière surprenante, il comble de biens les humbles qui lui confient leur existence (cf. Redemptoris Mater, 37).
Ces paroles du cantique, qui nous montrent en Marie un modèle concret et sublime, nous font aussi comprendre que c'est surtout l'humilité du coeur qui attire la bienveillance de Dieu.

5. Enfin, le cantique exalte l'accomplissement des promesses et la fidélité de Dieu envers le peuple élu :
"Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos Pères, en faveur d'Abraham et de sa race à jamais" (Lc 1, 54-55).
Comblée de dons divins, Marie ne fixe pas son regard sur son cas personnel mais elle comprend à quel point ces dons sont une manifestation de la miséricorde de Dieu pour tout son peuple. En elle, Dieu accomplit ses promesses avec une fidélité et une générosité surabondantes.
S'inspirant de l'Ancien Testament et de la spiritualité de la Fille de Sion, le Magnificat dépasse les textes prophétiques qui sont à son origine, révélant dans celle qui est " pleine de grâce " le commencement d'une intervention divine qui va bien au-delà des espérances messianiques d'Israël : le mystère sacré de
l'Incarnation du Verbe.



 

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Audience générale du 27 novembre 1996

Le titre de Marie, Mère de Dieu
Lecture : Jn 20,28

Cher(e) ami(e)s ,
1.
La contemplation du mystère de la naissance du Sauveur a conduit le peuple chrétien à se tourner vers la Vierge sainte, non seulement en tant que Mère de Jésus mais aussi à la reconnaître Mère de Dieu. Cette vérité a été approfondie et comprise comme partie intégrante du patrimoine de la foi de l'Église dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, avant d'être solennellement proclamée par le Concile d'Éphèse en 431.
Dans la première communauté chrétienne, au moment où les disciples prennent de plus en plus conscience que Jésus est le Fils de Dieu, il devient évident que Marie est la Theotokos, la Mère de Dieu. C'est un titre qui n'apparaît pas explicitement dans les textes évangéliques, bien qu'on y trouve "la Mère de Jésus" et qu'on y affirme qu'Il est Dieu (Jn 20, 28 ; cf. 5,18 ; 10, 30.33). Quoi qu'il en soit, Marie est présentée comme Mère de l'Emmanuel, qui signifie " Dieu avec nous " (cf. Mt 1, 22-23).

Dès le IIIe siècle, selon un ancien témoignage écrit, les chrétiens d'Egypte s'adressaient à Marie avec cette prière " Sous ta protection nous cherchons refuge, sainte Mère de Dieu ne méprise pas nos supplications, nous qui sommes dans l'épreuve, et épargne nous tout danger, ô Vierge glorieuse et bénie " (Liturgie des Heures). Dans ce témoignage ancien, l'expression Theotokos, " Mère de Dieu ", apparaît pour la première fois de manière explicite.
Dans la mythologie païenne, il arrivait souvent qu'une déesse fût présentée comme la mère d'un dieu. Zeus, par exemple, le dieu suprême, avait pour mère la déesse Rea. Ce contexte a peut-être facilité chez les chrétiens l'usage du titre " Theotokos ", " Mère de Dieu " pour la mère de Jésus. Il faut remarquer cependant que ce titre n'existait pas, mais qu'il a été créé par les chrétiens pour exprimer une foi qui n'avait rien à voir avec la mythologie païenne, la foi dans la conception virginale, dans le sein de Marie, de Celui qui était depuis toujours le Verbe éternel de Dieu.

2. Au IVe siècle, l'expression Theotokos est désormais fréquemment utilisée en Orient et en Occident. La piété et la théologie font toujours davantage référence à cette expression qui est entrée maintenant dans le patrimoine de la foi de l'Église.
On peut donc comprendre le grand mouvement de protestation qui se créa au Ve siècle, quand Nestorius remit en question la légitimité du titre de " Mère de Dieu ". En effet, étant enclin à ne considérer Marie que comme Mère de l'homme Jésus, il soutenait que seule l'expression "Mère du Christ " était doctrinalement exacte. Nestorius était tombé dans cette erreur à cause de sa difficulté à reconnaître l'unité de la personne du Christ et à cause de sa fausse interprétation de la distinction entre les deux natures -divine et humaine - qui Lui sont propres.
Le Concile d'Éphèse, en 431, condamne ses thèses et, affirmant la subsistance de la nature divine et de la nature humaine dans l'unique personne du Fils, il proclama Marie Mère de Dieu.


3. Les difficultés et les objections de Nestorius nous donnent une bonne occasion de réfléchir pour comprendre et interpréter correctement ce titre. L'expression Theotokos, qui signifie littéralement " celle qui a engendré Dieu ", peut surprendre à première vue ; en effet, on peut se poser la question de savoir comment une créature humaine engendre Dieu. La réponse de la foi de l'Église est claire : la maternité divine de Marie se réfère uniquement à la génération humaine du Fils de Dieu et non, à l'inverse, à sa génération divine. Le Fils de Dieu a été, depuis toujours, engendré par Dieu le Père et il lui est consubstantiel. Dans cette génération éternelle, Marie n'a évidemment aucun rôle. Cependant, le Fils de Dieu, il y a 2 000 ans, a pris notre nature humaine et il a été alors conçu et enfanté par Marie.
En proclamant Marie " Mère de Dieu ", l'Église veut, ainsi, affirmer qu'elle est la " Mère du Verbe incarné, qui est Dieu ". Sa maternité, pourtant, ne concerne pas toute la Trinité, mais uniquement la seconde Personne, le Fils qui, en s'incarnant, a pris d'elle la nature humaine.
La maternité est une relation de personne à personne : une mère n'est pas seulement mère du corps ou de la créature physique sortie de son sein, mais de la personne qu'elle enfante. Marie, ayant donc engendré selon la nature humaine la personne de Jésus, qui est une personne divine, est Mère de Dieu.


4. En proclamant Marie " Mère de Dieu ", l'Église professe dans une même expression sa foi au sujet du Fils et de la Mère. Cette union apparaît déjà au Concile d'Ephèse ; avec la définition de la maternité divine de Marie, les Pères ont voulu mettre en évidence leur foi en la divinité du Christ. Malgré les objections, anciennes et récentes, sur l'opportunité de reconnaître à Marie ce titre, les chrétiens de tous les temps, en interprétant correctement la signification de cette maternité, en ont fait une expression privilégiée de leur foi en la divinité du Christ et de leur amour pour la Vierge.
Dans la Theotokos, l'Église reconnaît, d'une part, la garantie de la réalité de l'Incarnation, car, comme l'affirme saint Augustin " Si la maternité n'est pas réelle, la chair n'est pas réelle non plus... ni les plaies lors de la Résurrection " (Tract. in Ev. bannis, 8, 6-7). D'autre part, elle contemple avec étonnement et elle célèbre avec vénération l'immense grandeur que confère à Marie Celui qui a voulu être son fils. L'expression " Mère de Dieu" s'adresse au Verbe de Dieu, qui, par l'Incarnation, a accepté l'humilité de la condition humaine pour élever l'homme à la filiation divine. Mais ce titre, à la lumière de la sublime dignité conférée à la Vierge de Nazareth, proclame cependant la noblesse de la femme et sa très haute vocation. En effet, Dieu considère Marie comme une personne libre et responsable et il ne réalise pas l'Incarnation de son Fils sans avoir obtenu au préalable son consentement.
Suivant l'exemple des premiers chrétiens de l'Égypte, les fidèles se confient à Celle qui, étant Mère de Dieu, peut obtenir de son divin Fils la grâce d'être libérés des dangers et d'accéder au salut éternel.