INTRODUCTION
I. UNE ATTENTION AU VOCABULAIRE
II. QUELQUES DONNÉES STATISTIQUES
III. PARCOURS HISTORIQUE
IV. ELÉMENTS DÉMOGRAPHIQUES
A. QUELQUES CRITÈRES D’ANALYSE DÉMOGRAPHIQUES
B. LE MALTHUSIANISME
C. LES CONFÉRENCES DE RIO, DU CAIRE ET DE PÉKIN
V. LES POSITIONS RÉCENTES DU MAGISTÈRE ROMAIN
A. CONTEXTE HISTORIQUE
B. L’ENCYCLIQUE HUMANAE VITAE
1. Le plan de l’encyclique
2. La doctrine de l’encyclique
VI. LA RÉCEPTION DU TEXTE ET LA QUESTION DE LA LOI DE GRADUALITÉ
A. LE CONCEPT DE RÉCEPTION
B. LA NOTE PASTORALE DE L’ÉPISCOPAT FRANÇAIS SUR « HUMANAE VITAE
»
C. LA LOI DE GRADUALITÉ
1. Familiaris Consortio
2. Loi de gradualité et conversion
D. LA CONSCIENCE MORALE
VII. EVOLUTIONS AUTOUR DE LA DOCTRINE D’HUMANAE VITAE
A. Jean-Paul II
B. Le Vade-mecum pour les confesseurs
C. La mentalité contraceptive
VIII. QUE DIRE, QUE FAIRE EN PASTORALE ?
IX. UN DÉBAT TOUJOURS D’ACTUALITÉ DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
A. UN DÉBAT AUTOUR DE LA SPONTANÉITÉ
B. XAVIER LACROIX
X. QUE PEUT-ON DIRE DES MÉTHODES NATURELLES AUJOURD’HUI ?
CONCLUSION
Introduction
La réflexion autour de la régulation des naissances est devenu un
point extrêmement sensible dans l’Eglise catholique. Tant parce que
la position officielle est mal comprise au sein même des fidèles que
par les autres églises cela au niveau de la doctrine comme au plan
des arguments qui la soutiennent, que parce que la loi morale édictée
est peu appliquée.
La question de la régulation des naissances suppose, pour en faire
une étude approfondie, un travail pluridisciplinaire qui n’est pas
vraiment à la portée de tout le monde. En effet, les disciplines concernées
par cette question sont :
• Tout ce qui a trait du point de vue médical à la reproduction humaine
et en particulier chez la femme.
• Il convient d’être au fait des différentes méthodes, naturelles
ou artificielles, de leurs effets exacts (contraceptif ou abortif
ou encore incertain).
• Il en va du mode de prise de décision (en couple, la femme seule…).
Qui va porter le poids de la contraception ?
• Quelles dimensions psychologiques au phénomène pratique de la prise
d’une contraception chez une femme ?
• Il y a bien sûr une dimension historique très importante à cette
question qui est aussi vieille que le temps des hommes ou presque.
• Vu le nombre de femmes concernées par cette question, en particulier
dans les pays riches, il y des questions économiques très importantes
liées à cette question.
• Cela concerne des questions éthiques importantes dont celle de l’avortement
n’est pas la moindre.
• La contraception peut s’analyser au niveau de la vie d’un couple.
Elle peut aussi être une question au niveau macro-démographique dans
des questions de populations à nourrir…
• Il ne faut pas oublier la dimension sociologique ; une chose les
discours et les théories, une autre les pratiques réelles.
• Il faut aussi tenir compte des questions philosophiques qui surgissent
des pratiques contraceptives ou qui les sous-tendent (importance de
la spontanéité, maîtrise de la fécondité, état quasi permanent de
stérilité chez la femme, …).
• Il en va aussi du sens des relations sexuelles.
• L’Eglise catholique a une position précise, distincte des autres
églises chrétiennes et encore distincte de la position des grandes
religions.
• …
On le voit, s’intéresser à la question de la régulation
des naissances à l’aube du troisième millénaire, c’est quasiment ouvrir
la boite de Pandore tant il est difficile de savoir tous les domaines
concernés par la réflexion et jusqu’où une telle réflexion peut nous
mener. Par ailleurs, la question est toujours d’une brûlante actualité.
La recherche médicale ne cesse d’évoluer, les scientifiques affinent
leurs découvertes, les moralistes travaillent toujours, et un colloque
s’est encore tenu au Collège de France les 9 et 120 octobre 1998.
Des médecins, des juristes, des politiques, des démographes, un moraliste
catholique, des personnes de continents différents jusqu’à l’ancien
secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, étaient rassemblés
pour réfléchir à ce sujet extrêmement difficile.
Bien qu’il ne nous sera pas possible de tout dire
en profondeur sur cette question, je vous proposerai néanmoins le
parcours suivant :
Un bref parcours historique sur les pratiques contraceptives,
tant du point de vue médical que de leur interprétation par l’Eglise
jusqu’au début du XX° siècle.
Un travail sur des données démographiques.
Un travail autour des grands textes magistériels de ce texte de Casti
Connubii à nos jours avec un moment important qui est celui de la
publication d’Humanae vitae en 1968.
La réaction de l’épiscopat français et la question de la loi de gradualité.
La forme du débat que prend cette question parmi les chrétiens tel
qu’on peut le trouver dans famille chrétienne ou dans des associations
qui militent pour l’abolition de l’encyclique de Paul VI.
Enfin, si on a le temps, un aperçu sur les méthodes naturelles et
de certaines de leurs limites.
I.
UNE ATTENTION AU VOCABULAIRE
Régulation des naissances, méthodes naturelles, méthodes contraceptives,
contraception, … Que recouvrent ces mots et ces expressions ?
Dans le monde des démographes, le terme de « contraception » renvoie
à l’ensemble des pratiques qui manifestent une volonté de réguler
les naissances. Que ces pratiques soient naturelles ou artificielles
n’a dans ce contexte pas d’importance. Ainsi à l’INED, les pratiques
contraceptives regroupent des moyens aussi connus que la pilule, le
préservatif, le stérilet mais aussi des méthodes naturelles ainsi
que celle du retrait.
Dans l’Église catholique, on est porté à distinguer les méthodes contraceptives
des méthodes de régulation naturelle des naissances. La seule visée
d’une paternité responsable ne suffit pas à légitimer toute méthode.
Le moyen choisit importe.
Excepté dans le cadre du chapitre suivant qui est obligé de tenir
compte du choix de vocabulaire des auteurs, nous utiliserons dans
ce document le terme contraception uniquement pour les méthodes artificielles
que sont la pilule, les implants, les diaphragmes, les spermicides
ou les préservatifs. Dans la très grande majorité des cas l’arrêt
d’une méthode contraceptive entraîne un retour de la fécondité du
couple.
Le stérilet, la pilule du lendemain et la pilule RU 486 sont a priori
des abortifs. Le stérilet et la pilule du lendemain ont en réalité
un effet exact incertain puisque dans certain cas, ils peuvent empêcher
la fécondation. Ainsi dans le cas des deux premières méthodes, la
femme n’est jamais sûre des conséquences du moyen qu’elle a utilisé.
Elles agissent, en effet, avant que la femme découvre qu’elle est
devenue enceinte par le retard de ses règles.
La ligature des trompes ou des canaux déférents sont des méthodes
de stérilisation.
L’expression méthode naturelle consiste à décrire toute méthode (température,
modification des sensations au niveau de la vulve, aspect de la glaire,
…) qui s’appuie sur une vraie connaissance de l’évolution de la fécondité
de la femme au cours de son cycle (sans en aucune manière le modifier)
et qui conduit le couple à vivre ou à espacer ses relations sexuelles
à l’aide de véritables règles de prudence que l’on ne peut utiliser
sans y avoir été initié par des couples moniteurs.
II.
QUELQUES DONNÉES STATISTIQUES
Sources : Elles sont disparates. Il faut les rassembler de plusieurs
endroits.
• Statistiques générales sur la situation démographique en France
(INSEE).
• Population (Revue de l’INED à propos de l’enquête Cocon –Cohorte
contraception– mai-août 2004).
• Population et sociétés, Pourquoi le nombre d’avortements n’a-t-il
pas baissé en France depuis 30 ans, N° 407, décembre 2004.
Données :
|
|
Naissances en 2000
|
774 782
|
Avortements en 2000
|
201 391
|
Grossesses totales en 2000
|
976 173
|
Grossesses non prévues 33%
|
322 137
|
IVG en cas de grossesse non prévue 62%
|
199 725
|
Près de deux grossesses sur trois surviennent chez
des femmes qui déclarent utiliser une contraception au moment de la
survenue de la dite grossesse. (Population p.417).
En cas d’échec de la contraception, deux femmes sur trois interrompent
la grossesse. (Population p.417).
Chez les 20-44 ans, la pratique contraceptive (L’étude du texte montre
que cela veut dire méthode de régulations des naissances) a beaucoup
évolué entre 1978 et 2000. On est passé de 67,6% à 74,6% de femmes
qui utilisent une méthode. Mais dans le même temps les méthodes naturelles
(abstinence périodique et retrait) sont passées de 23,5ù à 3,6% tandis
que la pilule passait de 28.3% à 45,4%, le stérilet de 8.6% à 17,3%
et le préservatif de 5,1 à 7,4%.
Dans l’histoire des personnes et des couples, le préservatif est principalement
utilisé au début des relations sexuelles. Il est souvent doublé par
une contraception chez la jeune fille puis il est abandonné au profit
de la seule contraception dans les couples stables.
III.
PARCOURS HISTORIQUE
Nous devons à John T. NOONAN (1) un remarquable travail de recherche sur les pratiques contraceptives
au cours des 25 derniers siècles et aux discours ou critiques qui
les accompagnaient.
En premier lieu, il faut noter l’ignorance des anciens à l’égard des
« mécanismes complexes » de la fécondité humaine. En particulier ils
ne faisaient pas la différence entre contraception et avortement.
Ensuite, ils ne savaient pas ce qu’il en était de la part de l’homme
et de la femme dans la procréation. Ces ignorances objectives ne les
empêchaient pas pour autant d’avoir des théories sur ces mécanismes
et dans le cadre de ce qu’ils croyaient de la réalité, ils mettaient
en œuvre des règles éthiques, mais aussi certains imaginaient ou inventaient
des méthodes pour ne pas avoir d’enfants.
L’index de Noonan donne deux colonnes de « recettes contraceptives
» avec des effets (imaginés) les plus divers : empêcher la venue d’un
enfant ou encore diminuer l’appétit sexuel. On trouvera parmi ce catalogue
insolite le coït interrompu (moyen vieux comme Onan), la magie, des
moyens mécaniques (anneau intra-utérin, préservatif de toute matière
–invention au XVII°, diaphragme, pessaires ou tampons absorbants …),
des moyens chimiques dont l’efficacité réelle était quasi nulle (encens,
gingembre, asperges, fougères, acides divers, excréments de crocodile,
testicule de mulet, sabot de mule, …) mais aussi tout dernièrement
les diverses pilules, enfin les avortements de toute sorte produit
par des moyens mécaniques ou chimiques.
Les théories sur la participation de l’homme et de la femme dans la
conception s’élèvent principalement au nombre de deux : celle qui
attribue à l’homme la totalité de la transmission (un être humain,
corps et âme) et où la femme n’est que réceptacle. Dans ce cas, évidemment,
toute action visant à répandre la semence ne peut être comprise que
comme un crime. Celle qui attribue un rôle différenciée comme à l’homme
le corps, à la femme les principes spirituels ou psychiques. La question
des rythmes périodiques est parfois comprise comme fondamental (Aristote)
parfois non. Au Moyen-Age, parce que l’on considérait les humeurs
féminines étaient sécrétées lors du coït comme indispensable à la
conception, on faisait même obligation au mari de donner du plaisir
à sa femme si nécessaire. (2)
En fait, le plus important à comprendre, est qu’en définitive quelque
soit les méthodes et les théories, le critère ultime demeurait pour
les moralistes des différentes époques : qu’en est-il vraiment conséquences
de tel acte par rapport à la transmission de la vie. La procréation
a toujours était perçue comme une dimension fondamentale de la vie
conjugale. Nuire à celle-ci était toujours condamnée. Le geste d’Onan
était unanimement considéré comme un crime.
Parmi les grands textes de la tradition catholique,
on trouve au cours des 19 premiers siècles de l’ère chrétienne les
suivants.
Autre
chose cependant est de n'user du mariage que dans la seule vue d'avoir
des enfants, ce qui est exempt de tout péché; autre chose est d'y
chercher une volupté sensuelle, mais non avec une autre femme que
la sienne, ce qui n'est qu'un péché véniel, parce que, bien que ce
commerce n'ait pas pour but la génération des enfants, le plaisir
qu'ils y cherchent ne les porte pas à mettre obstacle à cette génération,
soit par un mauvais voeu (malum votum), soit par une action criminelle;
car ceux qui agissent ainsi ne sont pas des époux, quoiqu'ils en aient
le nom. Leur mariage n'est pas selon la vérité, ce n'est qu'un beau
nom sous lequel ils cachent leur turpitude. Mais ils trahissent ce
qu'ils sont effectivement, lorsqu'ils poussent la perversité jusqu'à
exposer les enfants qu'ils ont eu malgré eux. Ils ne peuvent, en effet,
se résoudre à nourrir et à élever ceux qu'ils craignaient d'engendrer.
C'est pourquoi, lorsque leur iniquité les porte à cet excès de cruauté
envers les enfants auxquels ils ne voulaient pas donner l'être, ils
mettent ainsi au grand jour et leur iniquité et leur cruelle turpitude,
qu'ils cherchaient en vain à cacher dans les ténèbres. Quelquefois
(aliquando) même cette cruauté voluptueuse, ou cette cruelle volupté,
va jusqu'à demander au poison les moyens de demeurer stériles (sterilitatis
venena) et, s'ils ne peuvent y parvenir de la sorte, jusqu'à étouffer,
comme ils le peuvent, dans le sein même de la mère, le fruit déjà
conçu, voulant ainsi donner à leur enfant la mort avant la vie, ou,
s'il vivait déjà, le faire périr avant qu'il ne vienne au monde. Non,
de tels parents ne sont pas des époux, et si dès le principe ils ont
agi de la sorte, leur union n'a jamais été un mariage, mais plutôt
un commerce d’infamie et de débauche. Si l'un des deux seulement est
coupable de cette perversité, je ne crains pas de dire que la femme
n'est que la prostituée de son mari, et le mari, l'adultère de sa
femme. (3)
Vient ensuite
Si quelqu'un [Si aliquis], pour satisfaire ses désirs, ou par haine,
fait quelque chose à un homme ou à une femme qui empêche celle ci
ou celui là d'avoir des enfants, ou leur donne une boisson telle qu'il
ne puisse plus engendrer ou elle concevoir, qu'il soit tenu pour homicide.
(4)
Enfin, le très fameux si conditiones qui servira
jusqu’à la fin du XIX° siècle.
Si des conditions [Si conditiones] sont mises qui vont contre l'essence
du mariage
- par exemple, si l'un dit à l'autre : « Je me marie avec toi si tu
évites les enfants »,
- ou bien : « jusqu'à ce que j'aie trouvé quelqu'un ayant plus de
renom ou de richesse »,
- ou encore : « si tu te livres à l'adultère pour de l'argent »,
le contrat matrimonial sous cette forme est sans effet ; mais il y
a d’autres conditions mises au mariage qui, quoique basses ou impossibles,
devront être tenues pour inexistantes, ceci en faveur du mariage.
(5)
L’interprétation commune de ces textes est qu’ils
héritent du pessimisme teinté de stoïcisme (maîtrise des sens du plaisir
ou de la douleur) de St Augustin. De plus, on sait que sa théorie
du péché originel découle directement de sa lutte contre Pélage. Pélage
avait pour théorie que le péché nous venait parce que on le voyait.
Bref ! Que l’on péchait pour cause d’imitation. Il suffirait, en théorie
du moins de ne jamais le voir pour ne pas en commettre. La conséquence
d’une telle théorie est qu’un certain nombre n’aurait pas eu besoin
du Christ pour être sauvé. Pour éviter une telle conséquence, Augustin,
a estimé que le péché originel se transmettait par génération plutôt
que par imitation. Vous voyez combien, à l’univers complexe de l’exercice
conjugal de la sexualité, Augustin a rajouté la culpabilité de transmettre
le péché originel. Ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux. Nous héritons,
quasi génétiquement, d’une telle vision du monde.
Souvenons-nous, car ce n’est pas le sujet, que le péché originel est
plutôt une déclaration de foi. Tout homme naît pécheur. Mais l’affirmation
de ce dogme ne se fait que sous le regard miséricordieux de celui
qui veut nous en sauver. La recherche d’un chemin matériel, par exemple
la génération, pour rendre compte de ce péché des origines dont nous
subissons les conséquences est une manière, en quelque sorte scientiste,
pour rendre compte de ce qui relève essentiellement de la foi. La
doctrine du péché originel insiste sur plusieurs points : Dieu n’est
pas l’auteur du péché ; l’être humain n’a pas l’initiative du péché,
l’idée du mal lui est « suggéré » d’ailleurs, même s’il ne faut pas
nier sa responsabilité personnelle ; enfin, Dieu veut nous sauver
de ce péché par son Fils, et il le fait.
Les conséquences concrètes de la théorie augustinienne
furent qu’en définitive seul l’acte sexuel en vue de la procréation
était légitime. Il était la fin première de l’alliance conjugale.
Les autres fins comme le bien des conjoints et leur amour étant subordonnées
à celle de la procréation.
St François de sales en publiant son Introduction à la vie dévote
(version définitive en 1619) est tout à fait dans cette ligne : «
La procréation des enfants est la fin principale et première du mariage
(…) en cas de stérilité ou de grossesse, le commerce corporel ne cesse
pas d’être juste et saint (…) Le péché d’Onan est exécrable, détestable
et abominable devant Dieu » (39, 6).
On trouve encore cette théorie chez Pie XII (6) dans son discours aux Sages femmes en 1951 au N° 47 : «
La vérité est que le mariage, comme institution naturelle, en vertu
de la volonté du Créateur, a pour fin première et intime non le perfectionnement
personnel des époux, mais la procréation et l’éducation de la nouvelle
vie. Les autres fins, tout en étant également voulues par la nature,
ne se trouvent pas sur le même rang que la première, et encore moins
lui sont-elles supérieures, mais elles lui sont essentiellement subordonnées.
». C’est ce que dit aussi le code de 1917, canon 1013 : « La fin première
du mariage est la procréation et l’éducation des enfants ; la fin
secondaire est l’aide mutuelle et le remède de la concupiscence ».
Il reste que dans une période allant de 1450 à 1750,
les principaux théologiens cessèrent de soutenir que la procréation
était le seul but licite pour engager les rapports conjugaux. St Alphonse
de Liguori est certainement le théologien moraliste qui a le plus
ouvert la réflexion sur les relations sexuelles sur le bien de la
vie des conjoints. Par ailleurs, il est de ceux pour qui les prêtres,
lors des entretiens lors du sacrement de pénitence ne devaient pas
poser de questions sur la pratique conjugale. On retrouvera cette
prudence dans le Vade mecum pour les confesseurs.
Enfin, il faut savoir que l’usage des périodes infécondes
dans les rapports sexuels a été déclaré licite pourvu que « des motifs
sérieux comme ceux qu’il n’est pas rare de trouver dans ce qu’on appelle
l’indication médicale, eugénique, économique et sociale ». (7) C’est possible, du moment qu’il y a de la mesure et que
ce n’est pas un prétexte pour une quête de plaisir immodéré. Mais
jouir de ce plaisir et tout à fait permis.
IV.
ELÉMENTS DÉMOGRAPHIQUES
A.
QUELQUES CRITÈRES D’ANALYSE DÉMOGRAPHIQUES
L’évolution démographique a reposé pendant des millénaires sur quatre
critères principaux : une population augmente ou diminue en fonction
des technologies dont elle dispose, des conditions sanitaires, du
contexte conflictuelle ou paisible de leur période, le tout sur un
territoire donné. A ceci, il faut ajoute les flux migratoires.
La double transition démographique (chute de la mortalité infantile
et vieillissement de la population a amené les populations occidentales
à modifier leur nombre de descendants par famille.
Evolution du taux de natalité au XVII°-XVIII° siècle avec le retard
d’âge de mariage des filles. « La France du XVIII° siècle, nous dit
Jacques VALLIN, était déjà un pays très peuplé, dont la population
semblait avoir atteint un plafond correspondant sans doute à une occupation
maximale de l’espace dans le contexte technologique de l’époque. La
pression démographique s’y faisait sentir au point d’induire une augmentation
sensible de l’âge au mariage. Encore inférieur à 20 ans au tout début
du XVII° siècle, l’âge moyen au mariage des filles n’a cessé de s’élever
ensuite, jusqu’à atteindre 26,5 ans en 1780-1790. En l’absence de
contraception, mais dans une société où la procréation hors mariage
était sévèrement réprimée, c’était là l’un des freins les plus efficaces
à un excédent naturel devenu inopportun, tout comme son abaissement
avait pu être une réponse aux crises de dépopulation »(8).
Par ailleurs, les démographes constatent une chute constante et régulière
de l’indicateur conjoncturel de fécondité, qui mesure la descendance
finale des femmes. On est passé de 5 enfants en 1750 à à peine deux
à la veille de la seconde guerre mondiale. Cette baisse semble presque
inéluctable. Seules les grandes guerres et les reprises au lendemain
de la guerre viennent modifier et rattraper les retards acquis. Le
baby-boom est considéré comme une anomalie étonnante dans l’évolution
démographique à long terme. En effet, l’indicateur conjoncturel de
fécondité est remonté pendant une vingtaine d’années à 3.
Ces remarques démographiques montrent que l’évolution de la fécondité
et sa maîtrise d’une certaine manière était possible avec d’autres
moyens que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Retard de mariage,
méthode du retrait, abstinence, potions diverses, avortements (mais
sans doute d’un poids négligeable dans les époques anciennes)… à la
limite du point de vue démographique, ce que l’on constate est qu’une
population, dans son ensemble et de manière non concertée ou planifiée,
est capable, tel un corps social, de modifier ses pratiques pour gérer
sa population. En définitive, il convient alors de déduire que la
contraception chimique et toutes les techniques que nous connaissons
aujourd’hui n’ont pas d’abord pour but l’efficacité à l’égard de la
maîtrise globale de la fécondité mais bien un certain « confort individuel
et psychologique », surtout pour les femmes qui désormais peuvent
en assumer seules la maîtrise.
Le conseil Pontifical pour la Famille, dans un document de travail
publié en 1994, reconnaît qu’il existe au niveau des masses des phénomènes
« d’autorégulation constaté par les chiffres » (9).
B. LE MALTHUSIANISME
Il s’agit de la doctrine (10) de Thomas Robert Malthus (1766-1734) économiste anglais
qui préconisait la limitation des naissances par contrainte morale
pour remédier au danger de la surpopulation. Sa doctrine était fondée
sur l’estime que la population croissait plus vite que les moyens
de subsistance et qu’à ce titre on courrait vers la famine. Pour remédier
à cela deux méthodes : destructives ou préventives. Le néomalthusianisme
est une évolution de cette doctrine et qui s’appuie sur les pratiques
anticonceptionnelles pour atteindre ce but.
Cet économiste libéral a vu sa théorie très critiquée par les philosophes
socialistes mais aussi par l’Eglise catholique.
C. LES CONFÉRENCES DE RIO, DU CAIRE ET DE PÉKIN
Rio, 1992.
Le Caire, 1994.
Pékin, 1997.
Toutes ces conférences ont donné l’occasion au magistère
romain de s’exprimer ; Les principaux arguments que l’on retrouve
dans les documents sont les suivants :
• Grande lucidité de l’extrême complexité de la situation. Grande
diversité des situations à travers le monde, parfois à l’intérieur
d’un même pays.
• Manifestation que ce sont les pays riches et vieillissant qui exigent
des politiques anti-natalistes auprès des pays pauvres. L’oubli de
solidarité des riches à l’égard des pauvres est le signe d’une grande
pauvreté morale chez les premiers.
• Condamnation vive que des programmes d’aide économique soient liés
à des programmes anti-natalistes.
• Droit indéfectible des parents à déterminer librement du nombre
de leurs enfants.
• La valeur permanente d’Humanae vitae.
• Sont dénoncées les méthodes suivantes : contraception hormonale,
avortement, stérilisation, infanticide.
• Dénonciation des pratiques politiques qui forcent la liberté des
couples, qui imposent des campagnes de stérilisation chez les paysans
analphabètes, …
• Confiance et appel à la vigilance dans la capacité des hommes à
gérer les ressources de la planète. « Il n’est nullement démontré
que toute croissance démographique soit incompatible avec un développement
ordonné.
Les documents qui inspirent la réflexion du magistère
sont principalement tirés de textes ayant trait à la morale sociale
:
• Discours à l’ONU, Paul VI, 1965.
• Populorum progressio, Paul VI, 1967.
• Allocution à la conférence mondiale de l’alimentation, Paul VI,
1974.
• Sollecitudo rei socialis, Jean-Paul II, 1988.
• Centesimus annus, Jean-Paul II, 1991.
Mais aussi toutes les encycliques et document sur
la famille et la transmission de la vie.
• Humanae vitae, Paul VI, 1968.
• Familiaris consortio, Jean-Paul II, 1981.
• Evangelium vitae, Jean-Paul II, 1995.
• Déclaration sur la chute de la fécondité dans le monde, conseil
pontifical pour la famille, 1998.
Voire aussi la déclaration de la commission française Justice et paix
: « La maîtrise de la fécondité mondiale » (11).
V. LES POSITIONS RÉCENTES DU MAGISTÈRE ROMAIN
Voyons plus en détail ces positions et en particulier celle d’Humanae
vitae.
A. CONTEXTE HISTORIQUE
La meilleure compréhension de la fécondité humaine par les docteurs
Ogino (Japon) et Knauss (Autriche) au début du siècle, puis l’arrivée
de la pilule (au début peu efficace puis très vite améliorée) au début
des années 50 a mis en effervescence les couples et les moralistes.
Des arguments très nombreux et contradictoires sont venus sur la scène
publique et parfois venant de cardinaux eux-mêmes. Le cardinal Suenens,
par exemple, pensait que « la hiérarchie approuverait l’usage de la
pilule » (12).
Le concile Vatican II, tout en élaborant une théologie très positive
de la conjugalité et du sacrement du mariage n’a rien dit de la licéité
de l’usage de la pilule contraceptive. C’est le fameux passage de
Gaudium et spes 51 avec sa note 4 qui révèle combien le débat n’était
pas encore clair et finalement pourquoi le Pape s’est réservé cette
question(13) : « Par ordre du Souverain Pontife, certaines questions
qui supposent d'autres recherches plus approfondies ont été confiées
à une Commission pour les problèmes de la population, de la famille
et de la natalité pour que, son rôle achevé, le Pape puisse se prononcer.
L'enseignement du Magistère demeurant ainsi ce qu'il est, le Concile
n'entend pas proposer immédiatement de solutions concrètes ».
Dans son petit ouvrage sur le chrétien et le mariage, publié en 1966,
Bernard Häring fait le point sur ce sujet au lendemain du concile
où il avait participé comme expert. Il n’hésite pas à lister les problèmes
auxquels sont confrontés les couples chrétiens : éloignement avec
rareté des retrouvailles, rythmes biologiques irréguliers de la femme,
efficacité de l’allaitement incertain. Il constate qu’un certain nombre
d’évêques et de théologiens, s’ils ont condamné l’usage arbitraire
de la pilule à base de progestérone, estiment que « les acquisitions
récentes de la médecine et de l’anthropologie autorisent de nouveau
une question : "l'Ecriture, la Tradition le Magistère et les connaissances
scientifiques offrent-elles des motifs suffisants pour déclarer coupable
l'usage de la pilule – même en dehors des périodes de lactation –
si cet usage tend à permettre l'expression optimale de l'amour conjugal,
dès lors que les responsabilités des époux à l'égard de Dieu et du
prochain leur interdisent d'assumer le risque d'une nouvelle grossesse
?" » (14). Un autre argument que récuse Bernard Häring est celui
qui invoque le principe moral qui veut qu’il soit « licite que l’on
corrige le défaut de la nature » (15). Cet argument à propos de la contraception est refusé
pour cause de l’impossibilité d’universalisation du principe en la
matière et du risque inévitable d’eugénisme qui lui est associé. Par
ailleurs corriger la nature voudrait au plus signifier que l’on régularise
le cycle mais pas qu’on le stoppe pour une durée déterminée.
C’est dans ce contexte que le Pape Paul VI a réuni
une commission(16) faite de théologiens, de laïcs et de médecins… L’histoire
de cette commission est bien connue. Sa composition a été régulièrement
augmentée. Son document final était plutôt en faveur de l’usage modéré
de la contraception. Mais l’encyclique, au grand étonnement des laïcs
de la commission en particulier, a pris une position plus prudente,
celle que l’on sait.
B. L’ENCYCLIQUE HUMANAE VITAE
La parution de l’encyclique le 25 juillet 1968, a, comme vous le savez,
fait l’effet d’une véritable bombe, y compris et en particulier parmi
la majorité des membres de la commission qui n’ont pas été suivis.
1. Le plan de l’encyclique
Le plan de l’encyclique est très classique. Après avoir fait une très
rapide introduction sur le très grave devoir des époux de transmettre
la vie humaine et sur le problème de conscience qui se pose aujourd’hui,
Paul VI déploie sa réflexion en trois parties :
Table des matières
I. ASPECTS NOUVEAUX DU PROBLÈME ET COMPÉTENCE DU
MAGISTÈRE
II. PRINCIPES DOCTRINAUX
Une vision globale de l'homme
L'amour conjugal
Ses caractéristiques
La paternité responsable
Respecter la nature et les finalités de l'acte matrimonial
Deux aspects indissociables : union et procréation
Fidélité au dessein de Dieu
Moyens illicites de régulation des naissances
Licéité des moyens thérapeutiques
Licéité du recours aux périodes infécondes
Graves conséquences des méthodes de régulation artificielle de la
natalité
L'Eglise garante des authentiques valeurs humaines
II. DIRECTIVES PASTORALES
L'Eglise " Mater et Magistra "
Possibilité de l'observance de la loi divine
Maîtrise de soi
Créer un climat favorable à la chasteté
Appel aux pouvoirs publics
Aux hommes de science
Aux époux chrétiens
Apostolat entre foyers
Aux médecins et au personnel sanitaire
Aux prêtres
Aux évêques
APPEL FINAL
Il reste que l’on peut à bon droit me semble-t-il discuter le plan
de la seconde partie et s’étonner un peu de l’arrivée de l’affirmation
de l’illicéité de la méthode artificielle avant de proposer la méthode
naturelle. Il y a là un mélange des approches qui n’est pas très heureux
à mon sens.
Ceci mis à part on constate l’extrême rigueur et concentration progressive
des arguments de la partie doctrinale que l’on peut lire comme une
démonstration de style déductif.
Il y a toujours un exposé du problème que l’on veut traiter. Puis
on affirme la compétence d’une parole magistérielle. Compétence qui
lui appartient au titre qu’il lui revient d’interpréter la loi naturelle
et d’expliciter la nature du mariage.
La démonstration de la deuxième partie démarre du dessein d’amour
du Dieu créateur pour aboutir à la loi. Viennent ensuite des considérations
sur les exceptions. Enfin apparaissent les inconvénients liés à l’usage
de contraceptifs artificiels. La dernière partie des aspects doctrinaux
montre combien Paul VI est conscient et lucide des problèmes que cela
va susciter et engage l’homme, au nom de l’Eglise, « à ne pas abdiquer
ses responsabilités ».
La troisième partie, plus pastorale, invite à croire en la possibilité
de l’observance de la loi divine, en la maîtrise de soi et en la nécessité
de créer un climat favorable à la chasteté. Le reste de l’encyclique
relève d’appels nombreux à toutes les parties prenantes de la société
civile et religieuse afin que tous œuvrent à un contexte favorable
à l’observance de la loi divine.
2. La doctrine de l’encyclique
La doctrine de l’encyclique est assez simple même si elle s’appuie
sur des arguments qui n’ont pas convaincu tout le monde, loin s’en
faut.
Deux arguments nourrissent la doctrine de l’illicéité des moyens artificiels
pour la régulation des naissances : le respect de la loi naturelle
telle qu’elle se découvre dans la biologie féminine et masculine ;
ne pas dissocier union sexuelle et procréation.
Lisons les N° 11 à 14 qui sont le noyau de l’encyclique.
Pour résumer les critères doctrinaux :
Où le mariage suppose la capacité de se donner totalement et intégralement
(8)
La paternité responsable est valorisée (10).
Où l’homme relève de la loi naturelle (11)
Où la biologie est un indicateur de l’éthique : on ne peut dissocier
union et procréation (12), Usage licite des rythmes naturels de la
femme (11) et (16)
Une anthropologie où l’homme est compris comme capable de se maîtriser
(21)
Enfin les risques que le Magistère met en évidence
:
Baisse de la moralité, Infidélité, Perte du respect de la femme si
elle devient un instrument de jouissance égoïste. (17)
L’homme risque d’abdiquer sa responsabilité (18).
VI. LA RÉCEPTION DU TEXTE ET LA QUESTION DE LA LOI
DE GRADUALITÉ
On le sait, la publication d’Humanae Vitae a fait l’effet d’une véritable
bombe. On pesait que le pape irait dans le sens de la majorité de
commission. Il n’en fut rien. Cela a posé un véritable problème de
réception puisque beaucoup, même parmi les théologiens s’opposèrent
à la doctrine de l’encyclique et beaucoup de catholiques ne tinrent
pas compte des recommandations de Paul VI. Parmi les actes de réception
les plus intéressants, il y eut le document très lu et très étudié
de la conférence épiscopale de France.
A. LE CONCEPT DE RÉCEPTION
Peut-on, juger de la valeur, de l’autorité d’un texte en fonction
de sa réception ? Cette question soulève plus de problèmes qu’elle
semble en résoudre.
Les régimes démocratiques nous ont habitués aux décisions à la majorité
des votants. Or nous le savons, la « vérité » n’est pas l’objet d’un
vote.
L’ère scientifique dans laquelle nous vivons nous a familiarisés avec
les démonstrations et les expériences vérifiables. Or la foi, tout
en relevant de l’expérience humaine, n’est pas objet de démonstration.
En réalité, « le terme de réception est un terme non pas sociologique,
mais proprement théologique. Il dénote l’acceptation, produite par
l’Esprit-Saint, de vérités concernant la foi et les mœurs. Recevoir
de telles vérités implique que l’individu et les communautés ecclésiales
acceptent de fournir un travail, parfois long et pénible, de compréhension,
d’appropriation et même de conversion. Travail fourni en Eglise (sentire
cum Ecclesia) dans un climat de prière, de recherche intellectuelle
sérieuse et avec une attitude d’humilité. Juger de la réception d’un
document magistériel est donc particulièrement difficile » (17) . Cette longue citation de X. Thévenot montre combien
la notion de « réception » doit être utilisée avec prudence et discernement.
B. LA NOTE PASTORALE DE L’ÉPISCOPAT FRANÇAIS SUR « HUMANAE
VITAE »
Ce document a fait date dans l’histoire de la réception de l’encyclique
et plus encore sur l’apparition d’un concept de théologie morale qui
désormais s’appelle la loi de gradualité.
Après avoir resitué l’encyclique dans le cadre du concile et en particulier
des numéros 49 à 51 de Gaudium et spes, les évêques français rappellent
un certain nombre de critères et surtout vont proposer un cheminement
pastoral qui fait date : la loi de gradualité.
La contraception ne peut en elle-même être un bien. (6).
L’invitation à l’éducation à la maîtrise de soi demeure (8)
Les époux doivent suivre leur conscience qui doit se conformer à la
loi divine et demeurer dociles aux interprétations qu’en donne le
Magistère (8).
C’est à un cheminement que provoque l’encyclique. L’homme ne s’avance
que patiemment, par échecs et reprises, sur la route de la sainteté
: c’est une lutte de tous les jours menée dans l’espérance. (12)
Il arrive que des époux chrétiens se reconnaissent coupables de ne
pas répondre aux exigences que précise l’encyclique. Que leur foi
et leur humilité les aident à ne pas se décourager. Qu’ils soient
convaincus que les défaillances d’époux par ailleurs généreux dans
leur vie personnelle et apostolique, ne sont pas d’une gravité comparables
aux fautes des couples qui méprisent cet enseignement et se laissent
dominer par l’égoïsme et la recherche du plaisir. Ils ne doivent pas
s’éloigner des sacrements, bien au contraire. (15)
La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un
désordre, mais ce désordre n’est pas toujours coupable. (…) En cas
de conflit de devoirs, quand on est devant une alternative de devoir
où quelle que soit la décision prise, on ne peut éviter un mal, la
sagesse traditionnelle prévoit de rechercher devant Dieu quel devoir,
en l’occurrence est majeur. (…) Ils ne peuvent jamais oublier ni mépriser
aucun des devoirs en conflit. Ils garderont leur cœur disponible à
l’appel de Dieu, attentifs à toute possibilité nouvelle qui remettrait
en cause leur choix ou leur comportement d’aujourd’hui. (16)
Les prêtres se souviendront des principes de morale générale et tiendront
compte des lois de croissance qui commandent toute la vie chrétienne
et supposent le passage par des degrés encore marqués d’imperfections
et de péchés. Ils inviteront sans cesse les fidèles à être attentifs
à l’Esprit-Saint qui appelle chacun à un perpétuel dépassement dans
la sainteté. (20)
C. LA LOI DE GRADUALITÉ
Cette « loi de gradualité » est un concept récent en théologie morale.
(Qui dira qu’il n’y a pas d’évolution dans la morale ?). Il tire sa
source de l’apparition d’un nouveau problème moral : celui de la contraception.
La publication de l’encyclique Humanae Vitae par Paul VI en 1968 a
suscité un grand trouble dans la chrétienté. Trouble qui tirait sa
source dans une dichotomie : celle de la loi et celle de la pratique.
Alain You exprime la crise alors survenue dans les termes suivants
: « Comment concilier les exigences de l’amour authentique avec
la faiblesse humaine des personnes et des couples, faiblesse que ne
peut ignorer la Mère Eglise dans son rôle d’éducatrice ? » (18)
Beaucoup de commentaires officiels ont été publiés dans les six mois
qui ont suivi la parution de l’encyclique, en particulier celui de
la conférence épiscopale française et d’autres ont donné le ton de
la réception de l’encyclique : « Les prêtres se souviendront des
principes de morale générale et tiendront compte des lois de croissance
qui commandent toute la vie chrétienne et supposent le passage par
des degrés encore marqués d’imperfections et de péchés »(19). Ce n’est que plus tard, en 1980, que le concept de «
loi de gradualité » a été établi.
1. Familiaris Consortio
C’est à l’occasion du synode sur la famille de 1980 que les évêques
réunis à Rome se sont sérieusement attaqués à la question pastorale
de la réception d’Humanae vitae. Déjà à la fin du synode, dans son
homélie conclusive, Jean-Paul II abordait la question avec clarté
et prudence : « Les Pères synodaux ont écarté toute "dichotomie" entre
la pédagogie, qui propose une certaine progressivité dans l'accomplissement
de la volonté de dieu, et la doctrine proposée par l'Eglise avec toutes
ses conséquences et qui contient le précepte de vivre selon cette
même doctrine. Il n’est pas question de considérer la loi comme un
simple idéal à atteindre dans le futur, mais bien comme un commandement
du Christ afin de surmonter sérieusement les obstacles. On ne peut
accepter à ce propos, le "processus graduel", sinon de la part de
celui qui s'efforce avec sincérité d'observer la loi divine et de
rechercher ces biens dont la loi elle-même est gardienne et promotrice.
Ce que l'on appelle la "loi de gradualité", ou voie graduelle, ne
peut s'identifier à la "gradualité de la loi", comme s'il y avait
des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes
et les situations diverses. » (20)
Cette première approche théorique va trouver une expression plus affinée
aux N°9 et 34 de Familiaris Consortio publiée le 22 novembre 1981.
N°9 : « Il faut une conversion continuelle, permanente,
qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et
d'adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une
démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus
dynamique qui va peu à peu de l'avant grâce à l'intégration progressive
des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu
dans toute la vie personnelle et sociale de l'homme. C'est pourquoi
un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les
fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir
de ce qu'ils ont déjà reçu du mystère du Christ, soient patiemment
conduits plus loin, jusqu'à une conscience plus riche et à une intégration
plus pleine de ce mystère dans leur vie. »
N°34 : « Ainsi l’homme connaît, aime et accomplit le bien moral en
suivant les étapes d'une croissance. Les époux, dans la sphère de
leur vie morale, sont eux aussi appelés à cheminer sans se lasser,
soutenus par le désir sincère et agissant de mieux connaître les valeurs
garanties et promues par la loi divine, avec la volonté de les incarner
de façon droite et généreuse dans leurs choix concrets. Ils ne peuvent
toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans
le futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ
Seigneur leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles.
« C'est pourquoi ce qu'on appelle la "loi de gradualité" ou voie graduelle
ne peut s'identifier à la "gradualité de la loi », comme s'il y avait,
dans la loi divine, des degrés et des formes de préceptes différents
selon les personnes et les situations diverses. Tous les époux sont
appelés à la sainteté dans le mariage, selon la volonté de Dieu, et
cette vocation se réalise dans la mesure où la personne humaine est
capable de répondre au précepte divin, animée d'une confiance sereine
en la grâce divine et en sa propre volonté ». De même il appartient
à la pédagogie de l'Eglise de faire en sorte que, avant tout, les
conjoints reconnaissent clairement la doctrine d'Humanae vitae comme
norme pour l'exercice de la sexualité et s'attachent sincèrement à
établir les conditions nécessaires à son observation. »
En définitive, ce qui est demandé, c’est :
• De reconnaître la norme et l’accepter comme telle.
• De s’attacher sincèrement (intérieurement) à l’accepter et à faire
le maximum pour établir les conditions nécessaires pour l’observer
à savoir : une garde du cœur, une vie de prière, une pratique régulière
des sacrements, une ascèse, un choix dans ses relations…
2. Loi de gradualité et conversion
En fait, ce nouveau concept de loi de gradualité formalise au niveau
moral ce qui était bien connu au niveau spirituel et que l’on repère
à la fois dans le Nouveau Testament et chez quelques auteurs comme
St François de Sales. Depuis quelques décennies, les moralistes ont
retrouvé le lien intime qui existe entre vie morale et vie spirituelle.
C’est au cardinal Jean-Marie Lustiger que l’on doit une réflexion
très intéressante sur ce sujet (21). Il montre bien comment dans l’Ecriture on voit que Dieu
déploie toute une pédagogie pour son peuple. « La "gradualité"
recouvre encore une multitude de sens notamment celui d’itinéraire.
L’itinéraire que Dieu fait parcourir à son Peuple et que retrace l’Ecriture
; l’itinéraire aussi des disciples qui suivent le Christ ; l’itinéraire
enfin de la croissance, individuelle et collective, dans la persévérance
par la fidélité au don de la grâce. (22) » En définitive l’évêque de Paris rappelle avec justesse,
que lorsqu’il s’agit de l’homme, il s’agit toujours d’un homme concret,
historique dont le Christ est la figure accomplie. L’homme est invité
à rentrer dans une démarche « d’imitation » pour devenir pleinement
homme, parfait comme le Père des cieux est parfait (Mt 5, 48). « Cette
exigence loin d’apparaître comme écrasante et arbitraire, se reçoit
au long d’un chemin de la grâce, comme une délivrance et une espérance
» (23).
Et l’on comprend alors que si l’appel à la sainteté est toujours radical,
il n’y a pas de gradualité dans cet appel. Jésus n’en rabaisse jamais
sur les exigences malgré les faiblesses de ses disciples car en définitive
s’il a été envoyé par son Père c’est bien pour manifester par sa propre
vie les possibilités du cœur de l’homme dans un monde de finitudes
et de limites. On le voit bien, il n’y a pas de gradualité dans l’appel
à la sainteté. Et cette non gradualité de l’appel fonde par contrecoup
la loi de gradualité dans la conversion au Christ et par extension
dans notre vie morale.
Au XVI° siècle, St François de Sales donnera un écho de cette loi
de gradualité (sans pour autant la formuler ou la conceptualiser comme
telle) pour la pratique des vertus. « Dieu nous a ordonné de faire
tout ce que nous pourrons pour acquérir les saintes vertus : n'oublions
donc rien pour réussir dans cette sainte entreprise. Mais, après que
nous aurons planté et arrosé, sachons que c'est à Dieu de donner l'accroissement
de nos bonnes inclinations et habitudes. C'est pourquoi il faut attendre
le fruit de nos désirs et travaux de sa divine providence. Que si
nous ne sentons pas le progrès […] tel que nous le voudrions, ne nous
troublons point, demeurons en paix […]. Ne nous inquiétons point de
nous voir toujours novices en l'exercice des vertus ; car au monastère
de la vie dévote, chacun s'estime toujours novice, et toute la vie
y est destinée à la probation. » (24)
Peut-on mieux dire à la fois l’effort personnel comme réponse aux
exigences de l’Evangile et la confiance en l’œuvre que Dieu fait en
chacun. Ici aussi François de Sales ne cède ni sur la loi ni sur la
tension à entretenir pour permettre à la volonté de s’accomplir dans
notre vie. Mais il montre bien qu’une fois que nous avons accompli
ce qui nous revenait, le reste appartient à Dieu. Nous pouvons alors,
sans abandonner les légitimes efforts, « demeurer en paix », c’est-à-dire
ne pas se laisser envahir par une culpabilité malsaine, voire morbide.
Alain You ne dit rien d’autre : « Il faut reconnaître la norme
comme indiquant mon vrai bien. Si je ne peux absolument pas l’appliquer
littéralement sur le moment, alors je dois au moins y tendre. Pour
cela il me faut mettre un marche un processus dynamique destiné à
établir les conditions nécessaires à une observance plus proche du
vrai bien. Ce processus dynamique vise à m’éloigner du mal et à m’attacher
au bien » (25). En termes plus modernes, nous pourrions parler d’installer
un radar au fond de son cœur, un radar qui tourne, un radar qui augmente
sa sensibilité au fur et à mesure qu’il s’exerce à scruter, à chercher
les chemins possibles pour une vie meilleure, plus humaine. La sensibilité
peut s’accroître de deux manières différentes : tant dans la variété
des objets que l’on discerne que dans la profondeur de discernement
pour chacun de ses éléments. En aéronautique, les radars peuvent repérer
des avions de plus en plus nombreux et à des distances de plus en
plus grandes.
Il reste que cela suppose la mise en œuvre de sa conscience personnelle.
D. LA CONSCIENCE MORALE
Pour le dire brièvement, la conscience morale a une triple dimension
:
• La conscience morale droite est d’abord ce goût et cette soif du
bien toujours en quête d’une perception et d’une connaissance plus
universelle de ce bien.
• Ensuite, elle est une loi intérieure qui me convoque à faire ce
que je crois être bien et à éviter ce que je crois être mal.
• Enfin, elle est une instance de jugement entre ce qui est perçu
comme le bien à faire et ce qui a été effectivement réalisé.
On le voit bien, c’est à elle qu’il revient de mettre
en œuvre la loi de gradualité. Elle est à la fois ce goût, cette loi
intérieure et cette capacité de jugement dont la mise en œuvre simultanée
permet à chacun de ne pas abandonner l’œuvre ou la tâche d’humanisation
qui est la sienne. Une conscience droite veille à être informée dans
le dialogue, la lecture et la prière ; elle décide de l’action à suivre
; elle met en œuvre sa décision ; enfin elle en vérifie les fruits.
Et elle recommence.
C’est à elle d’entretenir le radar intérieur, de scruter le réel de
sa vie pour repérer l’éventuel chemin qui passera à sa portée et de
solliciter la volonté afin de parcourir quelques mètres de plus vers
le royaume de Dieu. Et quelle joie lorsque l’on a progressé ! Le fait
que la finesse de notre radar soit en réalité assez grossière, que
l’on ne voit pas tout, que l’on ne comprenne pas, malgré bien des
efforts persévérants, les commandements de Dieu, ne diminue pas le
désordre dans lequel nous vivons mais cela ne relève pas forcément
du péché. Au contraire, celui ou celle qui a éteint son radar, par
crainte de découvrir la vérité ou par paresse, loin de diminuer sa
faute l’aggrave.
Pour le dire autrement, la loi de gradualité, mise
en œuvre par une conscience droite est à la fois très exigeante et
très libérante car sans jamais céder sur la loi, elle ne nous enferme
pas dans la mise en œuvre de cette loi (hors de laquelle il n’y aurait
point de salut) en faisant droit à notre dimension historique et à
notre capacité de progresser.
VII. EVOLUTIONS AUTOUR DE LA DOCTRINE D’HUMANAE VITAE
On connaît les discours magistériels et romains qui disent et qui
affirment que la doctrine développée dans Humanae Vitae est définitive
et irréformable et qu’il n’est pas question d’y revenir. Or, il est
intéressant de noter qu’à force d’en parler, les approches et les
manières de rendre compte de cette encyclique font que la doctrine
se trouve plus ou moins bien défendue, plus ou moins étendue. Force
est de constater que le débat continue. Mais que le lecteur ne se
méprenne, si débat il y a, cela porte surtout sur la manière mieux
défendre la doctrine en déplaçant les arguments ou en étendant les
conséquences de l’encyclique. Bref ! on voit les choses d’un peu plus
haut.
A. Jean-Paul II
Aussi étonnant qu’il paraisse, elle évolue dans sa présentation, et
cette évolution est principalement due à Jean-Paul II. La règle formelle
ne change pas mais sa présentation modifie assez substantiellement
le débat.
Plutôt que de considérer le lien intrinsèque que les couples doivent
tenir entre union et fécondation au titre de la loi naturelle, Jean-Paul
II invite à regarder la communion des personnes dans laquelle se sont
engagés les époux au jour de leur mariage. Cela déplace en fait le
regard sur la matérialité de l’acte vers les personnes elles-mêmes.
Mais ne nous y trompons pas, respecter vraiment la personne de son
conjoint ne peut se faire par l’exigence qu’il ou elle pratique une
contraception car ce ne serait pas l’accueillir tel(le) qu’il ou elle
est.
« On peut dire que dans le cas d’une séparation artificielle de
ces deux significations (unitive et procréative), il s’accomplit dans
l’acte conjugal une véritable union corporelle, mais que celle-ci
ne correspond pas à la vérité intérieure et la dignité de la communion
personnelle : communio personarum. Une telle communion exige en effet
que le langage du corps soit exprimé dans la réciprocité, dans toute
la vérité de ce qu’il signifie. Si cette vérité vient à manquer, on
ne saurait parler ni de vérité dans la maîtrise de soi, ni de vérité
dans le don réciproque et dans l’accueil réciproque de soi de la part
de la personne. Une telle violation dans l’ordre intérieur de la communion
conjugale, dont les racines plongent dans l’ordre de la personne elle-même,
constitue le mal essentiel de l’acte contraceptif. » (26)
Ce qui change donc, ce n’est pas la règle mais la manière d’en rendre
compte. Cette façon est sans doute plus juste et plus recevable que
celle qui repose sur le seul recours à la loi naturelle, très difficile
à comprendre pour nos contemporains. Jean-Paul II renvoie donc les
époux à la question fondamentale : dans l’union des corps que vivent
très légitimement les époux, comment vivre l’union vraie des personnes,
dans le respect de leur intégrité la plus authentique ?
B. Le Vade-mecum pour les confesseurs
Le « Vade-mecum pour les confesseurs sur certains sujets de morale
liée à la vie conjugale » publié en 1997 par le Conseil Pontifical
pour la Famille est extrêmement instructif et manifeste plusieurs
précisions.
Si au point 2,4 il est clairement écrit que « l’Église a toujours
enseigné la malice intrinsèque de la contraception, c’est-à-dire de
chacun des actes conjugaux rendus intentionnellement inféconds » et
que « cet enseignement doit être considéré comme doctrine définitive
et irréformable » on pourrait croire que ce document ne fait que répéter
l’encyclique. ce n’est pas tout à fait exact.
Dans le Vade-mecum pour les confesseurs, on trouve
en 2, 4 les critères qui servent à décrire la contraception comme
mal intrinsèque (avant on était dans le désordre) :
• Opposition à la chasteté matrimoniale
• Contraire à la transmission de la vie
• Contraire au don réciproque des conjoints
• Blesse l’amour véritable
• Nie le rôle de Dieu dans la transmission de la vie. C’est-à-dire
que l’on oublie que l’homme n’est qu’usufruitier de la création, qu’il
n’en est pas le propriétaire et qu’il ne peut en user à sa guise,
déconnectée de sa source et de son avenir. C’est le sens même que
le concept de procréation veut défendre. Dieu crée, l’homme procrée.
Ainsi à certains égards, il semble que ce document
durcit l’encyclique. Mais sous d’autres points de vue elle nuance
des choses et propose une attitude pastorale précieuse.
Ainsi, il est bien clair que si la contraception est une chose grave,
l’avortement est plus grave encore. Il y a parfois des listes qui
ont laissé entendre que contraception et avortement étaient à mettre
sur le même plan.
Ensuite, il est recommandé au pasteur de ne pas poser de question
sur les sujets qui n’ont pas été évoqué par les personnes qui se confessent.
Cette tradition qui remonte à saint Alphonse de Liguori présume de
la conscience éclairée des chrétiens. Il ne s’agit pas bien sûr de
céder sur les principes mais d’avoir un a priori favorable en faveur
des pénitents. En revanche si des événements sont évoqués, il est
toujours possible de demander des précisions de compréhension (et
non pas des détails qui risqueraient conduire le confesseur dans le
voyeurisme). Il ne s’agit pas non plus d’appeler un bien ce qui relève
du désordre.
C. La mentalité contraceptive
Par ailleurs on entend beaucoup aujourd’hui qu’à l’activité contraceptive
proprement dite correspond une mentalité contraceptive que l’on pourrait
décrire de la façon suivante :
Nous savons que ce qui fait le mariage, c'est le don mutuel dans une
confiance partagée et pour toute la vie. La contraception est un moyen
de retenir une partie de soi, de sa fécondité. « Je te donne tout
de moi-même, de mon corps sauf ma capacité d’être fécond(e). Ma confiance
en toi, en moi, ne va pas jusque là. J’accueille tout de toi sauf
ta capacité d’être fécond(e), ma confiance ne va pas jusque là »
Cette réserve qui est faite dans le don de soi, dans la confiance
en la capacité de l’autre à patienter, à réguler ses élans spontanés
est un véritable coup de canif dans le contrat de mariage. « Or si
j’ai pu réserver une part de moi-même sur le terrain de la sexualité,
pourquoi ne réserverai-je pas une autre part de moi-même dans le domaine
de l’argent en gardant une part de celui que je gagne pour moi ; Je
lui pardonnerai que s’il s’excuse ; Je ne l’écouterai pas si elle
ne m’écoute pas d’abord ; je ne lui demanderai pas comment s’est passé
sa journée si elle / il ne me le demande pas d’abord ; ... »
L’attitude contraceptive qui est ici décrite est
peut-être une des raisons, parmi d’autres, de nombre de divorces.
Plus on se réserve et moins on se donne. Le présupposé du don mutuel
se voile au profit de petites mesquineries. Le couple cède petit à
petit la place à deux individualités. L’amour inconditionnel, fondement
de tout mariage, s’encombre d’une quantité de post-scriptum. Et en
ce qui concerne la gestion de sa fécondité, un couple qui subit un
échec contraceptif (lorsque la femme tombe enceinte alors qu’il n’y
avait dans le couple aucune intention d’engendrer), alors la solution
est de se tourner vers l’avortement (voir statistiques supra). C’est
là sans doute, un des symptômes de la mentalité contraceptive. Au
contraire de ces derniers, les couples qui décident d’accueillir l’enfant
qui est engendré et de convertir la surprise en bonne nouvelle, manifestent
qu’ils sont restés dans l’esprit même du respect des personnes.
Je ne pense pas que l’attitude contraceptive que
je décris ici découle automatiquement d’une pratique contraceptive.
Bien des couples qui ont choisi à contre coeur ce mode de régulation
des naissances ont pu garder une générosité bien vivante. Et si un
enfant venait à être conçu malgré leur choix d’une contraception,
alors, le couple l’accueillerait en convertissant la surprise en bonne
nouvelle. Les statistiques présentées au début de cet article montrent
d’ailleurs qu’un tiers des « grossesses surprises » sont menées à
terme. J’aime ce témoignage paru au début des années 80 auquel il
n’y a pas grand-chose à ajouter :
Nous avons deux petites
filles : M. (bientôt deux ans et demi) et E. (dix mois). Quelle
ne fut pas notre surprise au mois de novembre, quand nous nous
sommes rendus compte que j’étais de nouveau enceinte, et cela
pour le mois de mai, soit treize mois après la naissance d'E.
Et oui ! Nous avions décidé d'attendre pour te troisième, mais
le sort en a décidé autrement. Comme dit Mannick dans une de
ses chansons :
Il a suffi qu'un
jour on s'aime,
Et tu es venu t'annoncer...
Sur le coup, ce fut
la panique : trois enfants en un peu, plus de deux ans et demi,
c'est vraiment court et cela bouscula quelques projets. Mais,
diable, il était là, et nous l'avons accepté pleinement.
Je
voudrais parler ici de ce qui m'a personnellement choqué, la
réaction de la majorité des gens à qui nous annoncions cette
naissance prochaine :
Vous n'êtes pas déçus de ce contretemps ! … Si vite, c'est
tout de même dommage !... Moi, à ta place, je m'en débarrasserais.
Que de réactions égoïstes
! Alors, ce petit être qui n'a rien demandé à personne et que
nous avons créé dans notre amour, sous prétexte d'une avance
sur le programme, n'aurait pas le droit d'être aimé et attendu
tout comme un autre ? Et ensuite d'être choyé dans notre famille
au même titre qu'un autre ?
La vie ne peut pas être réglée comme une horloge, et particulièrement
les naissances de nos enfants. Toi, notre petit dernier, tu
es attendu impatiemment par tes grandes soeurs et nous. Nous
serons de nouveau éblouis de bonheur lorsque enfin tu apparaîtras.
Car quoi de plus merveilleux, de plus fort, de plus extraordinaire,
que de vivre la naissance d'un enfant, de le sentir glisser
en soi pour venir à la vie et le tenir enfin blotti dans nos
bras ?
Viens vite ! Nous t’attendons avec impatience et avec joie.
S.P.
|
Néanmoins, le risque de passer d’une pratique contraceptive
à une mentalité contraceptive demeure d’autant plus qu’il est subtil
et qu’il s’installe sans bruit dans le couple. (27)
VIII. QUE DIRE, QUE FAIRE EN PASTORALE ?
Il est temps de répondre au problème que je mettais en évidence au
début de cette intervention. Six points.
1. Il importe de permettre à chacun, et de faire aussi l’effort pour
soi-même, de creuser la pertinence de la loi, du commandement qui
nous est proposé et de ne pas céder sur l’effort, de garder son radar
en veille. Comme dit le psaume : « Je dors, mais mon cœur veille ».
Ainsi pour aborder la pratique contraceptive dans les couples, il
me semble assez évident que prendre une pilule, mettre un préservatif,
n’est pas le sommet de la vie conjugale. Si les couples pouvaient
vivre leur sexualité sans cela, certainement qu’ils le feraient. Certains
couples ne connaissent que ce type de pratique dans leurs relations
depuis qu’ils cohabitent et n’ont jamais appris à vivre autrement.
Ce n’est pas si simple d’imaginer et de mettre en œuvre une vie différente.
Comme le dit le démographe Louis Roussel « désormais l’état ordinaire
des femmes et d’être stérile ».
2. Rappelons sans cesse que ce n’est pas parce que des personnes ne
vivent pas la totalité des commandements de Dieu et dans leur plénitude
qu’elles sont exclues de l’Eglise. Le « Vade-mecum à l’intention des
confesseurs sur certains sujets de morale liés à la vie conjugale
» (28), invitent les prêtres d’ailleurs à beaucoup de discrétion,
de délicatesse, à ne pas poser de question, à donner le sacrement
de pénitence mais aussi à ne pas céder sur la loi.
3. Bien sûr, il faut, tant que faire se peut, inviter les couples
qui sont accueillis dans vos services et mouvements à tendre vers
l’accomplissement des commandements de Dieu dans leur vie. Et dans
le même temps leur donner les moyens concrets de pouvoir progresser,
du moins de mettre en route un radar.
4. Cela suppose bien sûr l’apprentissage de la mise en œuvre d’une
conscience droite à tout le moins afin de rendre au moins possible
« l’adhésion intérieure » aux commandements à défaut de les mettre
en pratique.
5. Dans un tout autre ordre, il convient de veiller au vocabulaire
que nous utilisons. Ainsi évitons de dire « c’est humain » lorsque
nous voulons qualifier la faiblesse d’une personne lorsque cela relève
du péché, de la faute morale. Ce qui est humain, ce qui est pleinement
humain c’est ce qui relève de l’imitation plénière du Christ. Ce qui
est humain, c’est ce qui est vécu pleinement par le Christ. C’est
lui l’homme nouveau, celui que Pilate accueil en disant « Voici l’homme
». Il n’en est pas de plus accompli. Et c’est lui encore qui atteste
de la pertinence et de la faisabilité du commandement de l’amour.
Le péché, quant à lui, relève de la déshumanisation. Les mots que
nous utilisons colorent notre imaginaire et guident notre réflexion.
Il s’agit, là aussi, d’être vigilant. Ce sont des petites choses mais
l’évangile passe surtout par là.
6. En définitive, cherchons à demeurer à l’écoute de l’appel du Christ
avec un cœur de pauvre ! C’est à cette seule et unique condition que
la grâce aura de la place pour nous porter et nous transformer. Faisons
confiance à Dieu, à sa patience et à sa miséricorde. Cette attitude
intérieure donnera le ton juste de nos pratiques pastorales. Elle
peut faire passer l’esprit de l’évangile parfois bien mieux que des
discours. Car à la fin, c’est dans nos faiblesses que Dieu déploie
sa grâce. Et cela suffit.
IX. UN DÉBAT TOUJOURS D’ACTUALITÉ DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
A. UN DÉBAT AUTOUR DE LA SPONTANÉITÉ
Discutant l’association CONFRONTATION dont un des buts est de militer
pour l’abrogation d’Humanae vitae, je lis dans un de leur document
qu’ils utilisent le terme de spontanéité de manière très opératoire.
Mais il faut regretter que le groupe des rédacteurs qui sont des universitaires
n’ont pas pris la peine de définir le concept de spontanéité.
« Celle-ci (la relation conjugale) doit pouvoir être réponse spontanée,
et partagée, à des événements ressentis en commun comme source de
rapprochement ». Plus loin : « Porter à travers cet étalage constant
le souci de dates, d’heures, de motifs, ce qui doit être de l’ordre
de la spontanéité et de l’élan affectif partagé… ». et encore p. 35
: « La prise quotidienne d’un comprimé (…) induit assurément moins
de préoccupations constantes et préserve la spontanéité et la discrétion
de la relation entre les époux entre deux maternités ». L’usage du
verbe devoir ferme l’accès à d’autres modes de relations conjugales
qui pour ne pas être « spontanées » n’en sont pas moins dignes.
A propos de la spontanéité dans la vie conjugale,
peut-être faudrait-il la penser comme une vertu entre deux extrêmes
(par carence ou par excès), à la manière aristotélicienne. Ainsi le
courage entre la lâcheté et la témérité. Voire tout le travail sur
l’articulation des vertus.
Pour la question de la spontanéité, nous pourrions avoir le système
suivant : instinctif, spontanéité-maîtrise de soi, impersonnel. Ce
qui serait une manière de tenir une anthropologie des relations conjugales
entre le léger et le grave, pour reprendre les théories de Xavier
Lacroix. Les relations sexuelles devraient, pour être humanisantes,
être à la fois gravement légères ou légèrement graves. Chacun des
aspects permettant de recevoir sa dignité par le fait que l'autre
est assumée et par là même évite de tomber dans la banalité ou dans
l’hyper-gravité.
Avec la spontanéité, nous trouvons sans doute des
mots associés comme : liberté, imprévu, surprise, affectif, poétique,
ludique, vers la relation sexuelle, vers le plaisir, la toute puissance.
Tout ceci rendu possible par la mise en sommeil de la fécondité féminine.
La question est de savoir quel prix faut-il payer pour la spontanéité
? Quelle affinité le concept de spontanéité entretient-il avec celui
de la société de consommation ?
A l’inverse de la spontanéité nous entendons peut-être des mots comme
: travail, prévisible, effort, contrainte, rationnel, responsabilité,
vers l'abstinence, crainte de la frustration, limites. Une absence
de contraception engendrerait tous ces inconvénients mais provoquerait
à un dialogue plus régulier entre conjoints et à une plus grande responsabilité
du mari et de l’épouse.
Par ailleurs, nous pourrons aussi nous intéresser
à ces temps de "retrouvailles" que vivent les couples qui ont choisi
une méthode de régulation naturelle des naissances. Les fêtes, pour
être belles doivent-elles nécessairement être imprévues (spontanées)
ou organisées, prévisibles sans être pourtant automatiques ? Sont-elles
par le fait même sans poésie ?
Au niveau de la méthode, on gagnerait à bâtir et
compléter un tableau comme celui qui suit. Il me semble que le bilan
ne serait ni tout noir ni tout blanc.
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Régulation naturelle
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Pratique contraceptive
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Avantages
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Inconvénients
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Avantages
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Inconvénients
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Accueil de l’autre, jusqu’où ?
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Confiance mutuelle
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Confort au niveau psychologique
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Don de soi, jusqu’où ?
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Efficacité
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Exigences de la méthode
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Réversibilité de la méthode
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Importance donnée au plaisir
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La maîtrise de soi est-elle une vertu ?
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Participation de l’homme
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Participation de la femme
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Poésie
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Respect de la femme
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Spontanéité
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...
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Il va de soi, que selon les couples, qu’il y ait
ou non pratique contraceptive, le tableau ne serait sans doute pas
rempli de manière identique. Car interfère aussi la qualité de la
relation conjugale, le sens des valeurs, les hauts et les bas de la
vie quotidienne, …
Enfin, il faut noter qu’autour de cette volonté
de mettre en avant la spontanéité, le document évoque des attitudes
qui méritent que l’on s’y arrête. Il évoque la « prise quotidienne
d’un comprimé, (…), qui s’apparente au geste du lavage de dents ou
au coup de brosse quotidien, matinal ou vespéral… ».
Cette remarque laisse entendre plusieurs a priori :
Le mot « comprimé » appartient au régime médical plus encore que celui
de pilule. User de ce mot, c’est faire glisser insensiblement la contraception
du côté d’une maladie qu’on soigne. Glissement renforcé par le fait
que les pilules s’obtiennent après consultation d’un médecin qui prescrit
une ordonnance… comme pour une maladie. Or, en l’occurrence, de quoi
la femme est-elle malade ? « La pilule pour cette jeune femme
qui se dit à l’aise dans son époque, c’est le moyen de faire l’amour
sans avoir d’enfants ; une commodité à ranger à côté d’autres produits
de consommation : réfrigérateur, machine à laver la vaisselle… Le
fait que cette substance agisse en permanence sur son corps n’éveille
pas en elle de curiosité particulière. C’est tant mieux, du reste,
car si elle souhaitait en savoir plus la notice contenue dans la boîte
de lui serait d’aucun secours : un bref feuillet plié en quatre, résumant
indications, contre-indications, mode d’emploi et mises en garde.
Il s’agit d’un médicament – c’est écrit en clair –, qui doit être
prescrit par un médecin. Mais y a-t-il un malade ? Faire l’amour n’est
pas une maladie, avoir un enfant non plus. Que soigne-t-on quand on
prend la pilule ? » (29)
Ensuite, vous comparez ce geste de la prise de « comprimé » au brossage
des dents ou à la mise en ordre des cheveux. Gestes banals et quotidiens,
de l’ordre de l’hygiène et du respect de soi. C’est justement cela
que dans l’Eglise catholique nous craignons, cette banalisation. Est-il
vraiment anodin, banal, hygiénique ou esthétique de mettre en sommeil
la fécondité féminine ?
Les conditions de possibilité de la spontanéité
sont aussi les conditions de possibilité de l'exploitation du corps
de la femme par l'homme. C’est le problème d’une méthode qui est portée
par un seul des deux conjoints.
Enfin, à un niveau global, la méthode contraceptive, pour être efficace,
ne l’est pas à cent pour cent. Comme le dit Xavier Thévenot, il y
a des actes manqués qui sont très réussis (entendre qu’il y a des
oublis de pilules qui manifestent plus ou moins consciemment des désirs
d’enfants). Ensuite, si la régulation des naissances repose uniquement
sur ce procédé, le jour où cela n’est plus possible (pause contraceptive,
…) comment va vivre le couple ? « L’attitude contraceptive pour une
plus grande spontanéité conduit souvent à une impasse. Lorsque vient
le moment où l’on ne peut plus s’abandonner à la spontanéité, on reste
dépourvu, faute d’avoir appris ensemble la maîtrise de soi. » (30)
Un des fruits de la maîtrise de soi c’est la liberté, elle est libérante.
B. XAVIER LACROIX
Xavier Lacroix propose 5 critères dans son intervention au colloque
du Collège de France (31) :
- Notre choix prend il bien en compte le respect dû au corps féminin,
à son intégrité, ses rythmes, sa santé ?
Notre choix est il bien commun, fruit d'un dialogue entre nous, souci
porté par nous deux (et non seulement par la femme) ?
La méthode que nous envisageons est elle susceptible de nous rappeler
à tous deux, régulièrement, la dimension possiblement féconde de la
sexualité ?
Nos relations sexuelles ne risquent elles pas de tomber dans l'accoutumance
?
Question la plus grave: la technique choisie n'implique t elle pas
la destruction d'une vie humaine commencée ?
Le lecteur attentif remarquera le libellé en "nous"
des critères. Et j’ajouterai volontiers la question suivante :
- Prenons-nous régulièrement (une fois par an par exemple) le temps
d’évaluer les conséquences et les fruits de ce choix, puisqu’en fait,
il n’a pas vocation à être définitif. Rares sont les décisions qui
sont prises une fois pour toutes. De telle sorte que ce choix puisse
être éventuellement renouvelé ou modifier aussi en fonction de l’expérience
et de la maturation de la réflexion.
X. QUE PEUT-ON DIRE DES MÉTHODES NATURELLES AUJOURD’HUI
?
Les méthodes naturelles sont plus nombreuses qu’on ne le croit.
1. Ogino-Kanuss et la méthode des températures (fiabilité moyenne)
2. La méthode des docteurs Billings, fondée sur l’auto-observation
par la femme de la glaire cervicale au niveau du col de l’utérus.
(Très fiable en théorie).
3. La douleur de l’ovulation chez certaines femmes. (Tout à fait insuffisante
seule et utile pour déterminer le retour aux rapports sexuels mais
non pas la période pendant laquelle il faut arrêter).
4. Le retrait, est une méthode naturelle, mais elle a été condamnée
par l’Eglise sous le titre du péché d’Onan. (Efficacité 96 à 85%).
Voir plus loin.
5. L’allaitement (efficacité 80 à 70%)
6. La méthode persona qui teste le taux hormonal des urines. Facile,
pudique, il a l’inconvénient d’être très cher 495 F le testeur et
89 F les recharges mensuelles. (Chiffres de 1998).
Les méthodes 1, 2 sont souvent combinées. On l’appelle
la méthode sympto-thermique ; (Efficacité 98 à 75%).
Je ne connais pas l’influence ni la diffusion de Persona que j’ai
trouvé en pharmacie en France depuis quelques années. En fait ce n’est
pas tant une méthode de régulation des naissances qu’un test de fécondité.
La méthode qui serait liée à ce test comporterait outre le test, tout
un ensemble d’attitudes sur lesquelles le couple se mettrait d’accord.
Une remarque intéressante a été faite par le groupe
Confrontation et que je vous livre. Elle porte sur « la gymnastique
à laquelle est contrainte la femme qui veut employer la méthode Billings,
le doigt et le regard à l’affût de ses sécrétions vaginales. Cette
manière de faire est choquante par rapport à la pudeur qu’elles éprouvent
face à leur propre corps. Ce sont des observations indécentes ».
A priori, il n’est pas très facile de réagir devant une telle résistance
qui mérite indéniablement le respect que l’on doit à la pudeur que
chacune éprouve envers son propre corps. Il reste qu’en discutant
avec des femmes qui pratiquent cette méthode d’auto-observation, il
faut aussi entendre que cette pudeur peut aussi évoluer et devenir
plus mature, plus adulte. Un travail sur soi dans le but de vivre
une paternité responsable peut aider à assumer ce qui paraissait être
impudique et se convertir en joie de connaître son état de fécondité.
Je crois aussi que de même que l’on peut toujours massacrer une chanson,
de même on peut toujours utiliser un vocabulaire qui dénigre telle
ou telle attitude. L’expression « le doigt et le regard à l’affût
de ses sécrétions vaginales » ne peut conduire facilement au désir
de mieux se connaître.
Remarque à propos du péché d’Onan
en Gn 38, 8-10.
Il se déroule dans le contexte de la loi du Lévirat où Onan a accepté
de reprendre la femme de son frère décédé et sans enfants, donc pour
lui donner une descendance. En répandant sa semence à l’extérieur
du sein de sa nouvelle épouse, Onan triche avec la parole qu’il a
donné et il est condamné. C’est l’interprétation commune des exégètes.
Il reste que l’Eglise a élargi l’interprétation de ce texte en affirmant
que ce qui est condamné est non seulement le manquement à la parole
de donner une descendance mais aussi la manière de réaliser ce manquement
: le retrait avec éjaculation de la semence masculine à l’extérieur
du vagin. Le débat à propos de cette méthode qui était très vif dans
les années 60 est complètement passé de mode.
Conclusion
Notre fécondité est sans doute ce qui nous est le
plus intime et le plus personnel. C’est une chose merveilleuse autant
que sérieuse que de se partager cette vie en puissance entre un homme
et une femme. Mettre au monde un enfant est une aventure
et une responsabilité qui n’est pas banale.
L’Église n’est ni nataliste (il faut faire autant
d’enfants que possible) ni fataliste (vive le hasard). Elle invite
les hommes et les femmes qui ont choisi de mener une vie de couple
d’avoir une paternité responsable et de trouver leur manière de réguler
les naissances qu’ils veulent accueillir. Tous les moyens ne sont
pas pour autant bons. Certains détruisent la vie commencée (avortement)
; d’autres (la contraception) mettent en évidence des limites ou des
difficultés dans le couple. Ainsi la contraception est souvent le
symptôme d’un manque de confiance en soi ou en l’autre, d’une incapacité
à vivre la maîtrise de soi, d’une évolution différente dans le couple,
d’une habitude ancienne dont on arrive pas à se débarrasser, d’un
équilibre affectif qui a été rompu par un deuil ou un licenciement,
…
L’Église a mis sa préférence dans une régulation
naturelle des naissances, pourvu que chacun des membres du couple
le veuille vraiment et y ait été préparé, initié. En effet, cela s’apprend.
Celles et ceux qui la vivent vous diront quelle liberté et quelle
profondeur d’échanges cela a apporté à leur couple.
© Bruno Feillet. Janvier 2005.
Notes
1. John T. NOONAN, Contraception et mariage.
Evolution ou contradiction dans la pensée chrétienne ?, trad. Marcelle
Jossua, Cerf, Paris, 1969, 722 pages.
2. Ceci se fondait sur les théories de Galien (2ème moitié
du II° siècle après Jésus-Christ) qui, comme Hippocrate mais contrairement
à Aristote, supposait que la procréation exigeait la rencontre de
la semence masculine et de la semence féminine. Aristote pensait quant
à lui que la fécondation n’avait rien à voir avec le plaisir mais
était directement liée aux menstrues de la femme. Cf. « Galien »,
Encyclopaedia Universalis.
3. Saint Augustin, Du mariage et de la concupiscence, 1,
15, 17 ; CSEL 42, 229-230 ; Trad. Péronne, Ecalle Vincent.
4. Réginon, « Les Disciplines ecclésiastiques et la religion
chrétienne », 2, 89 ; PL 132, 301. Vers 750.
5. Décrétales, 4, 5, 7. Sous le pape Grégoire IX, compilées
par S. Raymond entre 1230-1234, supérieur des dominicains, a des fins
de luttes contre les cathares.
6. Pie XII. Documentation Catholique du 2 décembre 1951.
Discours du 29 octobre 1951.
7. Pie XII, Déclaration du 29 octobre 1951, « l’apostolat
des sages-femmes », Documentation Catholique 1109 du 2 décembre 1951,
col. 1485.
8. Jacques VALLIN, La population française, La découverte,
Repères N° 75, Paris, 1996, p. 28-30.
9. Conseil Pontifical pour la famille, Evolutions démographiques,
dimensions éthiques et pastorales. Instrumentum Laboris, Vatican,
1994, p. 22.
10 Publiée en 1798 in Essai sur le principe de population.
11. COMMISSION JUSTICE ET PAIX, « La maîtrise de la fécondité
mondiale », Documentation Catholique, 3 juillet 1994, N° 2097.
12. Documentation catholique, Novembre 1954, col. 895.
13. V. HYLEN, « La note 14 dans la constitution pastorale
"Gaudium et spes" N° 51 », Ephémérides de Louvain, 42/1966, p. 555-566.
14. Bernard HÄRING, Le chrétien et le mariage, Cerf, Paris,
1966, p. 82-83.
15. Documentation Catholique, 1964, col. 892.
16. Voir l’histoire du contexte immédiat de l’encyclique
Humanae vitae et de la commission in Robert McCLORY, Rome et la contraception.
Histoire secrète de l’encyclique Humanae Vitae, trad. Jacques Mignon,
Editions de l’Atelier, Paris, 1998.
17. Xavier THEVENOT, Compter sur Dieu, Cerf, 1992, p. 89.
18. Alain YOU, « La loi de gradualité et non pas la gradualité
de la loi », in Esprit et Vie, N°8, 1991, p. 120.
19. Note pastorale de l’épiscopat français sur « Humanae
vitae », Documentation Catholique §20, N° 1529, 1° décembre 1968.
20. Jean-Paul II, discours de clôture du synode sur la famille,
25 octobre 1980.
21. Jean-Marie LUSTIGER, « gradualité et conversion », Documentation
Catholique, N°1826, 21 mars 1982.
22.
Ibid p. 316.
23.
Ibid p. 316.
24. François de SALES, Traité de l’amour de Dieu, IX, 7.
25. Alain YOU, article cité, p. 124.
26. Jean-Paul II, Audience du 22 août 1984 §6 et 7.
27. On lira avec intérêt à ce sujet un petit opuscule écrit
par un couple américain : Thomas and Donna Finn, "Intimate bedfellows
: love sex, and the catholic church" aux éditions St Paul Books ans
Media, 1993. Spécialement les pages 39-56.
28. Conseil Pontifical pour la famille, Vade-mecum à l’intention
des confesseurs sur certains sujets de morale liés à la vie conjugale,
Paris, Téqui, 1997. Ce petit opuscule de 26 pages mérite les efforts
d’une lecture attentive.
29. Lire à ce sujet Hubert AUPETIT et Catherine TOBIN, L’amour
déboussolé, François Bourin, Paris, 1993, p. 16. Profiter de l’occasion
pour lire l’ensemble de l’ouvrage de ce couple libre mais déboussolé
pour ne pas dire désabusé.
30. D’après un article de Anne Lizotte, Famille Chrétienne
N° 872, du 29 septembre 1994, p19-22.
31. Xavier LACROIX, « Contraception et religions » in Contraception
: contrainte ou liberté ? Etienne-Emile Beaulieu, Françoise Héritier,
Henri Leridon (dir.), Odile Jacob, Paris, 1999, p. 179.
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