Intervention de M. Xavier Lacroix, théologien, doyen de la faculté de théologie de Lyon, auteur

de "Le corps de chair", "Le mariage tout simplement", "Les mirages de l'amour" ...

 

Il y aurait deux titres possibles à cet exposé. Le titre initial pourrait être

 

« Etre père à l'image de Dieu ». Et le titre final « Etre père et mère à l'image de Dieu ». Vous devinez peut-être pourquoi ce décalage.

Je commencerai par une citation de Paul Claudel dans la troisième des «Cinq grandes Odes» lorsqu'il vient d'être père pour la première fois «Maintenant entre les hommes et moi, il y a ceci de changé que je suis père de l'un deux » Cette exclamation a le mérite de montrer le caractère tout à fait singulier et étonnant de la relation paternelle, relation maternelle aussi, mais il n'est pas sûr qu'une mère s'exprimerait de la même manière. Ce qu'il y a de changé entre les hommes et lui, c'est que le fil de la vie de l'un d'entre eux est passé par la sienne. Une impressionnante proximité avec les sources de la vie ! La conscience d'une responsabilité aigue d'une rare acuité en découle, puisque je deviens responsable d'un sujet, non seulement de ce qu'il fait ou devient, mais de ce qu'il est, de ce qu'il vit.

A l'audition de la phrase de Claudel, certains ont pu avoir quelque réticence: n'est-elle pas hyperbolique? N'exagère-t-il pas? Est-ce que vraiment sa relation aux hommes est changé? Un certain orgueil démiurgique ne risque-t-il pas de s'y glisser ? L 'existence d'un autre m 'a traversé, mais de celui-ci ,je ne suis pas à l'origine: je ne i 'ai pas fabriqué, je ne l'ai pas produit. Rassurez-vous, cette phrase est incluse dans un texte plus vaste, très beau qui est une prière de bénédiction: « Soyez béni, mon Dieu, parce que je ne demeure point unique et que de moi naît quelque chose d'étranger. De ce corps, il naît une âme et de cet homme extérieur et visible, je ne sais quoi de secret et de féminin (En effet, il s'agit d'une fille, sa fille aînée) avec une étrange ressemblance ». Etrange mélange de différence et de ressemblance ! D'un côté, le père se sent convoqué à une impressionnante responsabilité, de l'autre, il est confronté à une altérité qui le renvoie à l'altérité de Dieu. Bien sûr, on peut regretter qu'il ne mentionne pas plus une autre altérité: celle de sa femme, celle de la mère. C'est un fait. Il est ainsi. Nous reviendrons sur cette altérité et son rapport avec l'altérité divine. Toujours est-il qu'ici il se tourne vers sa source, son origine. Il prend conscience de sa propre filiation. La conscience d'être père renforce sa conscience d'être fils. Ceci est sans doute ce qui l'aide à surmonter un double écueil: celui de la dissolution du lien paternel comme celui de son absolutisation, aussi bien la perte de conscience de ce que ce lien a d'original, d'étonnant, de mystérieux que l'orgueil narcissique, l'illusion de toute-puissance. Le sens religieux de la paternité permet d'éviter ce double écueil. L'étymologie la plus courante du mot «religieux» est le verbe religare qui signifie relier. Avoir le sens religieux de l'existence, c'est se concevoir, s'éprouver en profondeur comme relié. Littéralement, dans « re», il y a aussi l'idée d'être relié en amont, à une altérité d'origine. Une des intuitions premières de cet exposé est celle d'un lien entre le sens de la paternité et le sens religieux de l'existence. Au fond, le lien paternel est un lien religieux. Négativement, cela se traduit par une relation entre la fragilisation du lien paternel et la fragilisation du sens religieux de l'existence. Quand j'entends le mot « fils» ou « fille», j'entends le mot « fil». Le lien est comme un fil, un ensemble de fils qui relient le fils ou la fille à leur père et leur mère. En quoi consistent ces fils ?

Etre fille ou fils, c'est recevoir la vie comme don. Don reçu mais aussi don donné. Etre fils ou fille, c'est éprouver que nous ne sommes ni à i 'origine, ni au terme de notre vie et que celle-ci est appelée à aller plus loin que nous. Toutefois, «religieux» est beaucoup plus large que chrétien. Dans le religieux naturel que l'on dit aussi paien, beaucoup de choses sont mêlées. Il peut y avoir l'intuition de ce que nous venons de dire. Il peut y avoir aussi quelque chose qui a à voir avec une sacralisation, une absolutisation, une divinisation de réalités humaines. Divinisation d'une image du père souvent associée à des images de puissance, voire de toute-puissance « Père, maître, Seigneur, baal...» ont souvent été synonymes dans les langues. Bien avant la Bible et en dehors de celle-ci, beaucoup de peuples ont appelé leur dieu « Père». « El», le dieu suprême des Cananéens était un roi-père. C'était un dieu viril, épousant et fécondant des déesses ou des femmes humaines. Il y aura bien du chemin à faire, un grand écart à creuser entre cette divinisation de la puissance virile ou patriarcale et la reconnaissance par révélation du Dieu caché, mystérieux et Tout-Autre comme Dieu-Père. Cela suppose un cheminement, un affinement et du sens de la paternité et du sens du divin. Telle sera une des idées de cet exposé: une révélation réciproque entre le sens humain de la paternité et le sens divin de la paternité. Ce sera l'objet de la seconde partie de cet exposé.

Auparavant, dans une première partie, que j'intitulerai « D'Oedipe À Isaac» ou le meurtre dépassé, nous comparerons deux manières de quitter la logique de la puissance pour appréhender l'être filial. Enfin, dans une troisième partie, nous recueillerons les fruits de ce que les conversions du sens de la paternité peuvent donner pour l'exercice concret de la paternité. J'appellerai cela la paternité sauvée.

 

I - D'OEDIPE A ISAAC OU LE MEURTRE DEPASSE

 

J'ouvre cette première partie par un parallèle entre deux récits fondateurs : le mythe d'Oedipe et le récit du non-sacrifice d'Isaac. On peut dire que Freud, en érigeant en paradigme l 'histoire de ce fils qui a tué son père et épousé sa mere, a réellement mis en avant au seuil de notre siècle une des figures-types du père. Le meurtre du père est certainement un des thèmes-clés de notre culture du 20ème siècle. On pourrait dans celle-ci, selon l'expression d'un journaliste, trouver une véritable anthologie du parricide: Freud, Kafka, Gide, Sartre, Marcuse, etc...L'image du père est celle d'un tyran dont il faut s 'affiranchir. On peut remarquer - ceci est important et j'en prends acte - que c'est d'un père imaginaire qu'il faut s'affranchir, d'une toute-puissance opprimante qu'il faut se libérer effectivement. Mais le père, même dans sa fonction bénéfique - on  ¨_T_rabbin: «pourquoi est-ce parinterdit. Il demeure au fond le rival. FREUD ose écrire: « Chacun doit devenir à lui-même son propre père ». Ce serait peut-être là une phrase typique de la culture du 2O~~ siècle. Cela se trouve aussi derrière l 'existentialisme:«L'existence précède l'essence» veut dire que chacun doit inventer son existence, la créer, s'autocréer. Chacun doit devenir un selfmade man.Proche de ce courant, le poète René Char écrit avec finesse « Notre héritage n 'est précédé d'aucun testament ».Il y a une nuance par rapport à ce qui précède: nous sommes héritiers, mais il n'y a pas de testament. Notre génération redécouvre l'importance des racines, de la transmission, mais souvent sur un mode nostalgique et en faisant un constat d'impuissance. « Comment transmettre ? » Difficile question, et nous nous sentons très démunis pour y répondre et la pratiquer.

La filiation est redécouverte de bas en haut, vers l 'amont, vers le passé, du point de vue généalogique qui a beaucoup de succès mais demeure difficile de haut en bas, vers l'aval, vers l'avenir. Pour en revenir au mythe, n'oublions pas que l'histoire d'Oedipe a commencé dans la tête de ses parents. Ils ont entendu un oracle annoncer que cet enfant accomplirait les deux abominables crimes que nous savons. Se sentant menacés, ils l'ont abandonné en plein désert, le vouant à une mort probable et souhaitée.

L 'Oedipe commence dans la tête des parents et les psychanalystes le confirment. Or c'est bien le dépassement de l'idée de tuer le fils que raconte le récit de Genèse 22 que nous appelons le sacrifice d'Abraham ou le non-sacrifice d'Isaac. Les Juifs parlent de l'akeda d'Isaac. Akeda, c'est le lien. Isaac a été lié pour être offert àDieu. Mais Abrabam a découvert par un ange qu 'offert ne signifie pas sacrifié. A la place d'Isaac, il a offert un bélier. Avec Marie Balmary, il n'est pas interdit de voir dans le bélier le symbole de la puissance masculine, de la puissance paternelle naturelle. C'est cette puissance qu'Il a sacrifié. Ce n'est donc pas le fils qu'il a sacrifié, mais une certaine image du lien, une certaine forme d'illusion, de possession du fils par le père. C'est l'histoire de ce dépassement que raconte ce récit. C'est l'histoire d'un recouvrement après un renoncement. Selon le philosophe Kîerkegaard qui a magnifiquement commenté ce texte, Abraham est à admirer moins pour avoir accepté l'idée de sacrifier son fils que pour avoir su le retrouver après y avoir renoncé. Déjà dans les chapitres précédents, Abraham avait reçu la naissance d'Isaac comme miraculeuse. Dans la scène précédente, il reçoit une seconde fois son fils, il revit le même mystère : le renoncement à la puissance paternelle.

A plusieurs reprises à travers l'histoire de la Genèse en particulier - c'est un thème récurrent dans la Bible - on parle de ces cadets qui supplantent les aînés de femmes stériles qui deviennent enceintes. De différentes manières, on y voit une critique de l'idéal monarchique ou patriarcal d'un lien seulement naturel ou culturel de même que l'idolâtrie du lien du sang, critique de l'illusion d'une continuité entre le père et l'enfant. Dans un beau texte du Talmud, un disciple demande à un rabbin: «pourquoi est-ce qu'on dît toujours dans la Bible : «Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'lssac et le Dieu de Jacob» ? Pourquoi ne dirait-on pas «le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob»? Le rabbin répond: «Dieu se révèle individuellement et personnellement à chacun. Il est le père de chacun».il y a là l'affirmation

d 'une discontinuité dans laquelle se glisse, vient passer la présence de Dieu. Entre le père et le fils est passé le couteau. Dans cet esprit aussi, Jésus dira « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la division»

(Lue 12). En Matthieu 10, à la place de «division», il y a «makeiron»,

le « couteau» entre le père et le fils. Dans la brèche ainsi ouverte entre le père et le fils se glisse le rappel que le père n'est pas l'origine de son fils, que le fils n'est pas la propriété du père. Avant de dire «je suis fils de...» ou même «je suis fils d'Abraham» (Jean 8), chacun devrait ou pourrait dire: «d'abord je suis fils ou fille de Dieu». Ainsi la paternité humaine n 'est-elle pas absolue. Un philosophe italien Roberto Nebuloni pouvait dire à un colloque de l'Institut des Sciences de la Famille de Lyon «un père et une mère terrestres qui se poseraient comme absolus déchaîneraient des contradictions oedipiennes et sèmeraient des aliénations». Marie Balmary est plus radicale encore. Elle va jusqu'à affirmer «personne sur terre n'est le père ou la mère d'un sujet», «le père et la mère» au sens d'origine, de

« source... d'un sujet» au sens d'une âme. Elle ne dit pas autre chose que le « Catéchisme de l'Eglise catholique », au paragraphe 366: « L 'âme spirituelle immédiatement créée par Dieu n 'est pas produite par les parents ». L'enfant naît par ses parents, mais il ne naît pas de ses parents. Les parents sont procréateurs, entre le Créateur et leur enfant. Ils se tiennent devant le Créateur , mais ils ne sont pas créateurs. L'action du créateur passe par eux, à travers eux. Ils ne sont parents en vérité que s'ils reconnaissent cela. Un autre psychanalyste, Pierre Legendre accomplit un pas de plus, peut-être un peu téméraire, mais intéressant: « Il n'y a pas de père. il n'y a que des fils ». Il veut dire qu'au sens absolu, sur terre, il n'y a pas de père. Les pères humains pour être pères doivent d'abord se reconnaître comme fils. Absolument, nous sommes fils alors qu'absolument nous ne sommes pas pères et radicalement, ultimement, nous sommes frères de nos enfants devant Dieu. Ainsi donc, philosophie et sciences humaines confirment ce que nous recevons de l'Ecriture, dans les propos de Jésus et de St Paul. En Matthieu 23, il y a une parole centrale « N'appelez personne sur terre « père », car vous nous n 'avez qu 'un Père . celui qui est dans les cieux ». Et St Paul dans Ephésiens 3 écrit: « Je fléchis les genoux en présence du Père, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom (son essence, son être) ». Nos paternités humaines ne le sont que par participation et à l'image de la paternité divine. Application: pour les pères, il s'agit de reconnaître une double filiation: filiation humaine, filiation divine (celle d'une créature devenue enfant de Dieu par adoption, se laissant guider par l'Esprit de Dieu). « Tous ceux qu 'anime l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu » (Romains 8).

« A tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean I). Jean-Claude Sagne définit la filiation ainsi: «La filiation consiste à nous recevoir de notre origine en consentant à vivre activement la disposition fondamentale de l'accueil : notre origine «En notre intériorité la plus profonde, nous sentons bien que ces termes renvoient à un principe, à une source du don transcendante, surtout si nous pensons non seulement à notre conception, à notre naissance, mais à notre vie spirituelle présente, source qui ne saurait se localiser ou se circonscrire dans la personne d'un homme vivant ou mort. Nous recevons la vie d'une source cachée à laquelle ce père humain lui-même puise ou a puisé. Toutefois, les deux voies de notre filiation humaine et divine ne sont pas à opposer.

Dissocier filialité humaine et filialité divine serait une tentation que Xavier Thévenot dans son dernier livre «Avance en eau profonde» n'hésite pas à qualifier de «diabolique». Diabolos signifie «ce qui sépare». « Plus je laisse le Christ me révéler qui est le Père, plus je perçois qu 'Il me dit: vis en vérité ta condition de fils adoptif de Dieu, alors tu assumeras plus  humblement ta condition de fils d'homme. Et réciproquement, ä_pprends à mieux te situer dans tes liens de parenté et tu comprendras mieux qui est Dieu ton Père » Xavier Thévenot).

Autrement dit, entre les deux, il y a révélation mutuelle: la

conscience de l'une de ces deux filiations est rendue plus juste, aiguisée, équilibrée par la conscience et l'acceptation de l'autre. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit de recevoir la vie comme don. La découverte de la filiation divine libérera de ce que peuvent comporter d'emprisonnant ou d'aliénant les liens de la filiation humaine. Mais aussi à l'inverse, la découverte de la filiation divine permet de retrouver la filiation humaine, de se réconcilier avec son père humain, de vivre cette filiation humaine dans l'humilité et la reconnaissance. Autant donc il importe de relativiser la filiation humaine, autant il importe de ne pas contribuer à la disqualifier. J' ai lu avec intérêt dans les synthèses régionales de l'Est : «Cessons de privilégier la fonction maternelle comme si la fonction paternelle était négligeable, comme si les seuls vrais pères étaient Dieu et Monsieur le Curé (cf le père-curé)». Les pères humains ne sont qu'à l'image de Dieu, mais c' est déjà beaucoup d'être à l'image de Dieu! Jean-Paul Il peut écrire: « Toute génération porte en soi la ressemblance avec la génération divine ». Il faut donc bien tenir à la fois différence et ressemblance de la paternité humaine et de la paternité divine. C'est ce qu'on appelle l'analogie.

 

Il - UNE REVELATION RECIPROQUE

 

Je partirais d'une intuition de Pascal Ide : « Il est de l'essence de la paternité d'être cachée ». Ceci est vrai des paternités humaines dont l'affirmation repose sur une parole toujours médiatisée par une foi, une confiance, une institution. Ceci est encore plus vrai de la paternité divine. Il nous faut être bien conscients des limites de nos représentations lorsque nous affirmons que Dieu est Père. Si nous prenons au sérieux les termes de Paul « Le Père de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son Nom », nous sommes conviés non à projeter en Dieu nos images humaines de la paternité, mais à recevoir de la Révélation de Dieu Père la révélation de ce que signifie « être père ». Donc un mouvement non pas ascendant de projection, mais descendant, de révélation. Dieu n 'est pas Père à la manière humaine. Une simple application évidente: il n'a pas d'épouse, même si un enfant du catéchisme le croyait en entendant souvent le curé parler du « Bon Dieu et sa grande clémence ». Dieu n'est pas sexué, faut-il le dire. Il n'est pas mâle. C'est le paradoxe du Dieu biblique : il est Père, mais non masculin; il est personne, mais non individu, sauf le Fils incarné. Je n' aime pas beaucoup nombre d'images du Dieu Père comme vieillard barbu sur un nuage que l'on trouve souvent dans la peinture, mais que l'on ne trouve pas dans l'art chrétien authentique. Une donnée importante: dans l'icône d'avant le 14ème siècle, il n'y a aucune image du Père. Il y en a eu par la suite, mais ces icônes ne reçurent jamais la bénédiction pour l'usage liturgique : ce sont de simples oeuvres pieuses à usage privé.

Un exemple pour nous demander dans quel sens a lieu pour nous la relation entre révélation et projection: qu'est-ce qui nous fait dire que Dieu est bon? Avons-nous conscience du caractère inouï, nouveau, étonnant de cette affirmation? La plupart des dieux naturels étaient ou sont méchants, violents (il y a une parenté profonde entre divin et violence). D'où donc nous vient cette croyance? De la projection en Dieu d'un père bonasse «bon papa gâteau», une sorte de père Noël ou de la révélation reçue d'une certaine fibre de bonté, d'une certaine palpitation de tendresse, de délicatesse inouïe dans le don de la vie et de l'être ? A priori, je dirais que l'affirmation selon laquelle « Dieu est bon » peut avoir trois types de provenance:

- une habitude de pensée, voire de langage

- la confiance en des textes, mais quels textes?

- une expérience spirituelle personnelle.

 

Cette expérience spirituelle personnelle peut être soit immédiate, soit médiate,  soit immédiate, directe, strictement intime, même en l'absence de l'expérience de la tendresse paternelle humaine, soit médiatisée par tout ce qu'il y a de bonté dans le monde avec l'intuition que cette bonté nous livre la clef de l'être, la clef du réel. Intuition expérimentale de manière toute particulière et privilégiée par la paternité, par la filiation, lorsque le don de l'être coïncide avec cette bonté dans l'amour d'un père ou d'une mère. Egalement dans l'amour conjugal des parents, l'enfant puisera l'intuition que le don de l'être est aussi don de l'amour. Par de telles perspectives, nous voyons que le mouvement de révélation de l'être paternel n'est ni une descente pure, ni une montée naïve. En fait ce mouvement est à l'intersection de deux révélations, deux expériences humaine et divine. Il est à l'intersection de l'humain et du divin, non de leur confusion, mais de leur révélation réciproque. «La révélation de Dieu est aussi la révélation de l'homme» (Henri De Lubac). Ainsi peut-on dire de l'affection paternelle et maternelle ce qu'Edward Schillebeeckx, théologien hollandais dit de l'amour conjugal: il est à la fois révélateur et révélé. Entre lui et l'amour divin a lieu une « double révélation réciproque». Ceci n'est possible que parce que nous sommes créés à l'image de Dieu. Dire que nous sommes créés à l'image de Dieu (Dieu n'a pas de figure), c'est dire que tout ce que nous vivons, particulièrement certains liens, peuvent être révélation du Divin. Un exemple magistral de cela, c'est la parabole de l'enfant prodigue. Pour dire la miséricorde, l'incroyable patience du Père céleste, Jésus ne trouve pas de meilleur exemple que la patience d'un père terrestre. Du même coup, Il révèle dans la paternité terrestre des ressources inouïes que nous n'eussions pas soupçonnées, une profondeur à laquelle nous n'aurions peut-être jamais pensé. Ce même Jésus est bien conscient aussi des limites de nos paternités humaines. Il y a une parole dure en Luc Il : « Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera t-il

l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Notez que, même mauvais, le père donne de bonnes choses. C'est encourageant ! La paternité suscite le meilleur en nous. Mais le Père du ciel combien plus être à l'école de la paternité divine c'est être à l'école de ce « combien plus ! ». Nous venons de citer des paroles de Jésus. Le regard tourné vers Jésus et I 'écoute de Sa Parole précise considérablement le sens des mots « père » et «fils » en leur donnant une acuité particulière, une actualité bien plus grande. Dans la Bible, être fils a un sens très vague. Cela signifie une sorte de participation, d'appartenance à: un « fils de la colère » est un colérique. Si, dans le premier Testament, Dieu est nommé « Père», c'est avec précaution, vingt fois seulement dans tout l'Ancien Testament. Il semble que les auteurs bibliques avaient la préoccupation d'éviter les connotations naturelles, païennes, familiales de ce mot. Ce sont les prophètes qui ont promu le thème

 (de la paternité divine. Chez eux, il s 'agit plus d 'une paternité d'alliance, d 'élection que de procréation. Il semblerait même que, chez Jérémie, le thème de l'alliance paternelle ait précédé celui de l'alliance conjugale. Ainsi en Jérémie 3 : « Et moi, je m 'étais dit: comme je voudrais te mettre azi i'ai2g de mes fils (t'adopter) , te donner un pays de délices ! J'avais pensé tu m 'appelleras « mon Père et tu ne te sépareras pas de moi ».

 

L'idée de filiation est déjà en germe dans la Genèse à travers l'expression «image de Dieu». Rapprochons deux versets de la Genèse. En Genèse 1, «faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance » et en Genèse 5 « Quand Adam eut cent trente ans, il engendra un fils, Seîh, à son image et L'OnlnlC à Sa ressemblance ».Mais Si Seth peut être dit « à l'image d'Adam » « comment pouvons-nous être à l'image du Tout Autre?

 

Il       y a là un paradoxe. Denis Vasse écrit : « Etre à 1 Deniè? _sse 'image de Dil'original. Nous avons l'icône, l'image : le Fils.

 

C'est ce qu'écrit Saint irénée de Lyon : « Dans les temps antérieurs, on disait bien que l 'homme avait été fait à l 'image de Dieu.

Afais

 cela n 'apparaissait pas car le Verbe était encore invisible. C' 'est d 'aille m's polir ce motif que la ressemblance s'est si facilement perdue. Mais lorsque le Verbe de Dieu se fit chair, Il fit apparaître l 'image, l 'icône dans toute sa vérité ». Etre â l'image du Père, c'est être à l'image du Fils. Il faut penser en toute rigueur que la seule image originaire du Père, c'est le Fils. Donc ne pas imaginer derrière une autre image comme celle du vieillard barbu. «Qui m'a vu, a vu le Père». Croyons-nous cela, oui ou non? Inversement, on voit Jésus parler comme un père quand il dit « Mes petits enfants, je ne vous laisserai pas orphelins » ou encore comme une mère lorsqu'Il dit «Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j 'ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ». Nous pouvons être étonnés de voir Jésus se comparer lui-même à une mère-poule.

- C'est ici l'occasion de nous arrêter sur la question de l'être paternel ou maternel de Dieu. Suffit-il de dire que Dieu est Père ? N'est-il pas vrai qu'il est aussi mère ? Ne faut-il pas dire qu'Il est père et mère? Il est certain qu'il ne suffit pas de dire qu'Il est père parce que le Dieu biblique n 'est pas sexué. En Genèse  « Dieu créa l'hornme à son image. Mâle et femelle, Il les créa». Il faut l'homme et la femme pour donner une image complète de Dieu. Ni le masculin seul, ni le féminin seul ne donnent une image de Dieu. En outre, il y a des aspects maternels du Dieu biblique, même des aspects féminins pourrait-on dire pour contre-balancer l'image masculine. Le terme « miséricorde » est le pluriel de matrice. On pourrait traduire «miséricorde» par «frémissement de matrice ». Le Dieu biblique a une matrice, un utérus. Le Dieu biblique connaît les douleurs de l 'enfantement. Il «allaite son peuple ». Il « le sèvre ». Il « défend ses petits comme une ourse ». Il « le garde à l'ombre de ses ailes ». II l'entoure... On trouve fréquemment ces images et ces expressions dans la Bible. La Sagesse, la ruah, la Shekinah sont ses attributs, ses modes de présence : elles sont féminines. Nous pouvons et devons donc corriger notre habitude de penser Dieu comme Père au masculin par ses attributs et ses qualités maternelles. Cependant, s'il faut choisir, appeler Dieu «Père» me paraît moins inapproprié que l'appeler « Mère». Pourquoi ? Ce n'est pas par machisme. La paternité est une relation qui passe essentiellement par la parole. C'est une relation qui franchit une distance. Le Père est celui qui dit la loi. Il est un médiateur d'altérité. Il renvoie à une altérité. Le père est plus autre que la mère. Donc le terme de «Père» convient mieux pour le Tout-Autre. « Mère »dît une origine immanente, un milieu, une enveloppe. Les divinités féminines étaient souvent des divinités souterraines, très terriennes liées au culte de la fécondité, de la vie naturelle. On pourrait croire que notre mère, c'est la nature, la terre. En termes chrétiens, je dirais volontiers que notre mère, c'est l'Eglise. J'aime beaucoup la phrase de Cyprien de Carthage « Nul ne peut avoir Dieu pour Père s 'il n 'a I 'Eglise pour mère ». Ou la mère, c'est Marie «figure de I 'Eglise » (Max Thurian) non comme déesse-mère mais à partir de l'expression de Jean 19, « Voici ta mère ». Je garderai le nom de Père de préférence pour Dieu en sachant qu'il faut le corriger. Dieu Père n'est pas masculin. Homme et femme, père et mère ont tous deux à apprendre des deux versants paternel et maternel de l'Amour de Dieu. Ils ont tous deux, chacun à leur manière à vivre l'alliance de la chair et de la parole, de la justice et de la miséricorde. Le fonds de valeurs spirituelles leur est commun, mais depuis la Genèse, la tradition judéo-chrétienne a toujours valorisé la différence homme et femme, tous deux reçoivent leur enfant et de Dieu et de l'autre. On pourrait montrer que l'homme ne le reçoit pas de la même manière de la femme que la femme le reçoit de l'homme. Jean-Paul II le dit dans la « Lettre aux familles» (1994). Cette différence ne peut pas ne pas être source de sens, même si elle est difficile à formuler. Elle ne peut pas ne pas avoir des résonances sur la manière dont ils reçoivent leur enfant de Dieu et dont ils lui communiquent Dieu.

 

III- LA PATERNITE CONVERTIE ET SAUVEE

 

Ce que la Révélation de la paternité de Dieu peut apporter aux pères et aux mêres. Dans le récit de l'annonce de la naissance de Jean-Baptiste en Saint Luc, l'ange cite un verset du prophète Malachie « Il ramènera le coeur des pères vers leurs enfants ». Quand on pense à une conversion dans la relation père-fils, généralement on pense à une conversion des enfants : tourner le coeur des enfants vers leur père, c'est sage. D'ailleurs, cette phrase suit celle écrite ci-dessus chez Malachie, mais Luc ne cite que la première partie «Il rarnènera le coeur des pères vers leurs enfants».

C 'est la première conversion annoncée, c'est le premier signe de l'Esprit. En effet, le coeur des pères n'est pas si naturellement tourné vers leurs enfants. Tant d'autres visées sont possibles : visées d'ambitions, de rêves, de diversions, d'absences.. Dans la relation père-enfants, il y a tant d'écueils ! Je ne développe pas, d'autant que nous avons dit aujourd'hui avec justesse qu'on insistait trop souvent sur les écueils. Les sciences humaines insistent quelquefois trop de manière culpabilisante sur les défauts et défaillances des pères. Il faut aussi une parole positive qui offre ses chances à la paternité. Une « Bonne Nouvelle pour la paternité » pourrait être également le titre de cette troisième partie. Bonne Nouvelle quand la paternité est accueillante à la paternité divine, à l'écoute de ce que l'Ecriture nous en dit et est aussi greffée sur l'être filial de Jésus. Quand elle vit tout cela, elle a beaucoup de chances d'être sauvée de ses périls naturels.

Quatre traits peuvent caractériser cette « paternité sauvée».

1. La puissance au service de la faiblesse A priori, le père est quelqu 'un de haut et de fort. J'aime cette phrase de Jules Supervielle : «Cette chose haute à la voix grave qu'on appelle Père dans les maisons». De cette force, de cette hauteur, on peut abuser. Il y a toujours eu des abus de la force sur terre en général et ici de la force maritale ou paternelle. Le père converti se mettra à i 'école du Père miséricordieux dont le Verbe est doux et humble de coeur. Il saura se couler dans l'humilité du respect devant la faiblesse. Il saura se retirer pour que l'autre grandisse. Le mot « autorité» vient du latin « augeo» qui a donné « augmenter » et qui veut dire « faire croître». L 'autorité, c 'est faire croître l'autre. Le père pourrait faire sienne cette parole de Jean-Baptiste «Il faut que lui grandisse et que moi je décroie ». Il va décroître, son fils, sa ~???le va grandir: il s'en réjouit ! Philippe Julien écrit : « mettre au monde, c 'est savoir se retirer de telle sorte que les descendants soient capables de se retirer à leur tour ». Un tel père n'apprend pas tout seul. En un sens, son fils, sa fille, aussi lui apprend. Les deux apprennent dans cette relation. Le père apprend à distinguer autorité et puissance. Son fils l'aidera à les distinguer s'il a du mal à le faire. Je pense à la phrase de Françoise DoIto : « Les parents croient fizire ?? leurs enfants, mais les enfants ne se laissent pas faire ! ». Dans le même esprit, le père apprendra à exercer sa paternité non comme une puissance, un pouvoir, une prérogative, mais comme une diaconie. Au fond, la paternité est un service. En latin, le même mot se dit « ministre». On peut dire que ce mot dit « la parentalité est un ministère ».

Jean-Paul Il dans «Familiaris Consortio» parle du «Ministère authentique d'éducation et d'évangélisation propre aux parents ». Une paternité vécue dans l'humilité, mais humilité ne veut pas dire humiliation. L 'humilité du père consistera à conduire plus loin que lui, plus haut que lui. Il « re-présente » I 'altérité. Le rôle du père est un rôle de passeur. Un poète latin parlait du « gardien des passages » pour dire ce qu'était le père.

 

Pour cela, encore faut-il qu'il désire conduire quelque part, qu'il sait où conduire, qu'il croie en quelqu'un, en des biens humains fondamentaux à transmettre.-55-Coiiiiiieiit être père saus avoir  une foi à voiÌ< _ne foi àtransmettre?Christian Bobin écrit : « Un père, c 'est quelqu 'un qui représente autre chose que lui-même, qui croit àce qu 'il représente » Comment pourrait-on être père en étant sceptique ? Si on était totalement sceptique, on serait père par accident. Etre père, c'est désirer transmettre.

 

2. Une paternité élargie, relayée, partagée- L'ouverture vers le haut appelle une ouverture aussi horizontale du côté d'autres pères. Il est significatif que, dans le catholicisme, nous appelions «pères» justement ceux qui ne sont pas pères. Pendant longtemps, j'ironisais un peu facilement envers cela. Je suis revenu de cette ironie. Je trouve que cela a du sens. Cela renvoie à une autre dimension de la paternité que la paternité biologique. Cela renvoie d'abord à la paternité de Dieu, mais aussi celle de ces autres pères, ces pères-relais, ces pères spirituels » qui comptent tant dans nos existences. Qui d'entre nous n'a pas eu plusieurs « pères» ? c'est une chance d'avoir eu plusieurs pères, des pères non seulement symboliques, mais bien réels, chaleureux, rayonnants. Un père est plus qu'un maître. Un père est celui qui donne à l'autre de naître davantage, de naître à une part nouvelle de lui-même. Aucun père n'est parfait, suffisant pour tenir à lui seul tous les rôles du père. La paternité élargie sera ainsi une paternité relayée.Ce qui manque beaucoup aux pères d'aujourd'hui pour tenir leur place, c'est qu'ils ne sont pas assez relayés par d'autres hommes, d'autres modèles. C 'est la chance des pères qui appartiennent à une communauté comme i 'Eglise. C'est encore mieux quand cette communauté Eglise devient concrète. C'est dans ce cas une chance pour les pères de ne pas être isolés, ne pas être seuls pour transmettre, d'être relayés, d'être avec d'autres. Il est très difficile, quasi impossible de transmettre tout seul. On ne peut transmettre qu'en communion avec d'autres.

- L'élaigissenient aura lieu aussi du côté des fils et des filles dans le sens descendant. Nous sommes appelés à dépasser une conception classique de la paternité. Celle-ci ne se limite pas aux liens de chair ou de sang, même s'ils sont irremplaçables. Il y a d'autres formes de fécondité, de maternité ou de paternité spirituelles. Guy Gilbert dans La Croix racontait comment un jeune loubard maltraité par ses parents l'a littéralement adopté comme père. Il écrit « cette paternité, je dois l'assumer. C'est mon

métier. Et plus que mon métier, c'est le sens donné à ma vie de célibataire».

 

3. Une paternité incarnée

 

Souvent on souligne l'importance du père symbolique. Le père est celui qui dit la loi. Il est le « tiers séparateur »... A la limite, le nom du père compte plus que sa personne. C'est presque dit explicitement ici ou là. Voici ce qu'écrit un disciple de Jacques Lacan « Parce que la dimension di~ pèi'e ~>niholique transcende le père contingent, il n 'est pas nécessaire qu 'il y ait homme pour qu 'il y ail père »~Un tel père symbolique est tellement désincarné qu'il est abstrait. Ses fonctions ne sont que négatives empêcher, interdire... Tel 17 'est pas le père de la religion (le l'incarnation et de la Tendresse paternelle.

 

Osée Il écrit « Moi pourtant, j'apprenais à marcher à Ephraim. Je le prenais dans mes bras. Je le nie~iais avec des douces attaches, avec des liens d 'amour. J'étais pour eux comme celui qui élève un nourrisson contre sa joue. Je me penchais sur lui et lui donnais à manger ». C'est l'importance du corps à corps entre le père et son enfant qu'aujourd'hui on va très vite soupçonner de pédophilie ou d'inceste. Pourtant, il est important que l'enfant ait un corps à corps avec son père. Un père divin ou humain qui porte contre sa joue, qui donne à manger, un père sensible, tendre, charnel. Ces qualités ne sont pas réservées à la mère. Le père n'est pas seulement celui qui dit la loi. Selon le philosophe espagnol Fernando Savater « Le père est celui qui parle de la loi avec amour», qui arrive à associer le côté tranchant, négatif de la loi - il le faut - et le côté particulier, incarné, proche, créateur de l'amour.

 

4.Une paternité victorieuse de ses déceptions

 

On a pu dire que le propre du Dieu biblique n 'est pas d'être créateur (tous les dieux sont créateurs) mais d'être recréateur. Le Dieu biblique non seulement crée, mais, voyant l'échec, Il recrée. Il recrée je ne sais combien de fois. Après Adam et Eve, il y a eu Cain et Abel, puis le Déluge, une première alliance, puis Babel, l'appel d'Abraham, puis l'Exode, Moïse, les prophètes, la Nouvelle Alliance, etc..Il n'y a pas d'histoire paternelle, de relations père-fils ou fille qui ne connaisse de la même maniêre des déceptions, des échecs. Cela appelle chaque fois de nouveaux actes d'espérance, de nouveaux départs. Un père et un fils, bien souvent, ont beaucoup à se pardonner. Tant d occasions manquées, de secrètes blessures, le plus souvent dans les deux sens. Le seul secret face à de telles défaillances, de telles souffrances intimes est de se mettre à l'école du Père d'Osée, de Jérémie, d'Isaïe « Je t 'ai gravé sur les paumes de mes mains. Les montagnes peuvent s'en aller, les collines s'ébranler. Mon amour pour toi ne s 'éteindra pas. Voici que je vais faire du nouveau ».La paternité ne peut être sauvée que par le pardon qui est un re-don, un sur-don, qui est un acte recréateur, qui, comme tel, trouve sa source en DieuC'est pour cela que nous avons besoin de la grâce de Dieu pour pardonner.

 

CONCLUSION : LES DEUX ALLIANCES

 

I. L'alliance de la justice et de la miséricorde

 

Justice et miséricorde sont les grands attributs divins dans la Bible. Dans un midrash, un rabbin a surpris la prière de Dieu. Les autres lui demandent qui il pouvait prier. Il se priait lui-même, disant:« Que mon attribut de miséricorde l'emporte sur mon attribut de justice pour qu'Israel soit sauvé!»

Il faut tenir les deux : justice, jugement, mais aussi justesse, rectitude, vérité, loi, exigence, miséricorde. frémissement d'entrailles, tendresse viscérale, bonté radicale. Tenons-nous ensemble ces deux attributs ?

Ne laissons-nous pas l'un ou l'autre de côté quand cela nous arrange? Même si la miséricorde l'emporte, ce que nous croyons, quel sens aurait-elle sans la justice? Dans notre regard sur la paternité humaine, il faut bien tenir les deux. C'est difficile ! C'est une chance pour penser la paternité aujourd'hui que d'avoir le regard tourné vers ces deux aspects de la paternité divine. Pour que le père puisse être père aujourd'hui, il faut qu'il soit à la fois celui qui dit la loi, celui qui appelle à aller plus loin (le père est celui qui incarne une parole d'appel), qui exige et en même temps celui qui accueille, qui a un coeur, des entrailles capables de tendresse et de proximité. Jean-Paul Il disait « La paternité doit se mettre à l 'école de la mnaternité » mais elle doit rester la paternité.

 

2. L'alliance du masculin et du féminin ou l'alliance conjugale

 

Un Dieu paternel, mais aussi maternel va nous rappeler non seulement qu'il y a du maternel dans le paternel, mais aussi qu' il faut un homme et une femme pour faire un père. On n 'est pas père tout seul.                      Dans la Genèse, Cain signifie «acquis» parce qu'Eve sa mère à la naissance a dit: «J'ai acquis un homme de par Yahvé» (Gen 4).

Pas un mot sur Adam qui est oublié.

La paternité ne trouvera sa vraie place que dans le contexte d'une heureuse alliance entre les sexes. Que chaque sexe laisse sa place à l'autre. L'enjeu est aussi spirituel le sens de l'effacement, du retrait de soi. Que la différence entre les sexes soit perçue comme signifiante et ayant valeur. C'est là que le christianisme peut apporter beaucoup à la culture contemporaine qui ne sait pas trop en quoi elle consiste. Chaque sexe a sa

consiè?0_ manière différente de donner et de recevoir l'enfant de i 'autre.

 

Comment la mère reçoit-elle l'enfant du père? Comment le père reçoit-il l'enfant de la mère? De même chaque sexe a sa manière d'unir la chair et la parole. L'enjeu de l'amour et du don de la vie est bien ce que Lucie Irigaray  du dÌ?0_e

 

la vie est bien appelle « les noces du Verbe et de la chair ».

Peut-être pourrait-on dire que la tâche de la mère est de donner parole à la chair alors que celle du père est de donner chair à la parole. D'un côté, conduire la chair à la parole, de la l'autre incarner ce qui au départ était une parole. Encore faut-il que l'alliance homme-femme ait lieu.

La réflexion d'une juriste Catherine Labrusse-Riou montre que toute tentative pour fonder en droit ou en anthropologie la paternité, sur autre chose que ce qu'elle appelle «l'alliance sexuelle» conduit soit au biologisme, soit au volontarisme, soit à la mise en avant uniquement de l'aspect biologique de la paternité avec les limites que cela implique, soit la mise en avant uniquement du côté volontaire de la paternité, avec les limites que cela implique. La notion d'alliance sexuelle ou l'articulation de la filiation sur une alliance est ce qui conduit à articuler le charnel et le spirituel. Dans tous les autres cas de figure, ils risquent d'être dissocié. Le don de la vie n' est pas uniquement un acte de volonté, pas uniquement le résultat de processus biochimiques. Il est le fruit d'une rencontre à la fois charnelle et spirituelle, le fruit non seulement

Savoir cela, croire en cela sera chez l'enfant libérant. Il est très libérant pour l'enfant de savoir qu'il est issu d'un lien solide, d'un lien d'amour, source de force pour lui. Il ne peut à lui seul être la raison d'être du lien entre ses parents. Ce serait une charge trop lourde pour lui, à beaucoup d'égards. En revanche, il sera libéré, il vivra son lien filial comme beaucoup plus léger s'il peut compter sur le roc de l'alliance conjugale entre ses parents. C'est sur l'intuition et la sécurité reçues de ce lien qu'il trouvera lui même force de les quitter plus tard pour fonder lui-même un autre lien.

.Ainsi la meilleure réussite des parents est-elle de donner à leurs enfants la force de se séparer d'eux non pour devenir errants, mais pour devenir pour devenir fondateur à leur tour