T E M O I G N A G E

Source :Communauté Chemin Neuf

"Le plus fragile, un chemin pour le plus fort"

 

Igor est né avec un handicap.
Ses parents, comédiens de métier, nous disent comment Dieu les a menés à Lui dans ce chemin vers la faiblesse, et les a appelés à partager leur espérance.

 

Tychique : Déjà 20 ans de mariage... Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Mary : Je suis anglaise d'une famille catholique d'origine irlandaise de sept enfants. J'ai rencontré Michel à Paris à l'époque où j'étais à l'école de théâtre Jacques Lecoq.

Michel : Moi, comme Mary, je suis le sixième d'une famille de sept enfants. Quand nous nous sommes rencontrés, j'avais quitté l'Église pour mieux la regarder de l'extérieur. Je faisais beaucoup de montagne et avais abandonné mes études pour rejoindre "ATD Quart-monde". Ce mouvement international engagé avec les plus pauvres m'a permis de me rapprocher des autres.

Mary : Pour ma part, j'avais découvert le "Christ ressuscité" lors d'un séjour à Taizé. Pour Michel, grâce à différentes rencontres et une grande soif de cohérence, sa foi se réveillait. Quand nous nous sommes mariés en 1979, nous partagions la même foi en Christ, ce fut un grand moment de grâce. Pendant huit ans, nous avons tourné avec la troupe itinérante du mouvement "ATD-quart monde", le Théâtre de l'oiseau. Nous avons tenté ainsi de rejoindre par le théâtre les plus pauvres. Nos trois premiers enfants sont nés durant cette période.

Michel : Cette expérience nous apprit à connaître ces exclus de la société et à les aimer Mais nous étions encore du côté des forts Jusqu'au jour où le handicap a fait irruption dans notre vie : Igor est né en 1986. C'est sûr, Dieu n'a pas voulu que nous ayons un enfant handicapé ! Mais je crois qu'Il s'est servi d'Igor pour nous faire faire un chemin vers la faiblesse, donc vers Lui. En découvrant la maladie génétique de notre enfant, nous nous sommes retrouvés de "l'autre côté de la barrière". Une chose était d'aller à la rencontre des plus pauvres, une autre, était d'accepter que notre propre fils soit pauvre et nous entraîne à devenir pauvres avec lui.

Mary : Avec la venue de ce petit garçon fragile, nous avons choisi de nous "poser" dans une maison d'accueil spirituel dont le rythme de vie et de prière nous a fait du bien. Trois ans après, un cinquième enfant tout beau et bien vif nous est né, un vrai cadeau du ciel qui venait nous réconforter et nous encourager.

Et du côté professionnel, que deveniez-vous ?

Michel : Notre appel à témoigner notre espérance et notre foi de manière plus explicite s'est peu à peu précisé. Nous avions envie de créer des spectacles sur des thèmes évangéliques et d'essayer d'en vivre. C'est à ce moment là que nous avons créé la "Compagnie le puits". En même temps, nous avons pu acheter une ancienne ferme proche d'un institut médico-éducatif qui pouvait accueillir Igor.

Mary : Au fur et à mesure de notre travail de création, j'ai senti qu'il fallait mettre Igor au centre de notre projet théâtral. Nous avions tous deux à coeur de rejoindre ceux qui vivaient la même situation que nous, et tous les autres qui ont tant de mal à comprendre

Est-ce comme cela que votre spectacle "le pays d'Igor" est né ?

Mary : Oui. C'est un spectacle qui pose la question du sens d'une vie si peu efficace. Igor, notre fils, a une maladie génétique, il lui manque un petit bout du chromosome 14. Il est aussi atteint d'autisme. Pour vous donner un petit aperçu de son handicap, à quatorze ans, il ne parle toujours pas, et ne comprend pas les codes du monde qui l'entoure. Pour en revenir à notre spectacle, Igor y apparaît, de fait, comme quelqu'un qui ne sera jamais grand, petit en taille, petit en intelligence C'est un être qui interroge. Quel est son charisme ? Comment le monde accueille-t-il le faible ? Et que peut dire ce faible au monde ? Finalement, cette mise en scène d'un enfant adopté par deux aviateurs est une histoire d'amour : celle d'un couple qui réussit à s'unir autour d'un enfant malgré la souffrance.

C'est comme votre propre histoire ?

Michel : Tout à fait. Notre propre histoire mise en scène avec toutes les émotions qui nous ont assaillies quand nous avons découvert que notre enfant était handicapé. On peut y voir la peur de la différence, le deuil qu'il faut faire de l'enfant idéal. On y parle aussi de la tentation du refus du père et de l'isolement de la mère. L'enjeu pour tout parent d'enfant handicapé c'est de pouvoir accepter et adopter ce petit être tellement différent.

Mary : Il nous a fallu deux ans pour mûrir ce scénario. C'était important de prendre du recul pour ne pas imposer aux spectateurs notre propre vécu d'une manière trop réaliste.

En fait, votre spectacle cherche à interpeller nos manières de regarder ?

Mary : En effet, cette question du regard nous tient à coeur. Ce n'est pas par hasard si nous retrouvons ce même thème dans nos deux autres spectacles : "Berthe se jette à l'eau" et "Gertrude et le plumeau". Dans "Gertrude", nous racontons l'histoire de l'alliance à travers les yeux d'un faible. Dans "Berthe", nous avons voulu actualiser l'histoire de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine (Jn 4). Un Évangile qui donne à réfléchir sur le regard du monde et sur celui du Christ. De fait, Jésus porte sur cette femme un regard d'amour qui libère et ne s'arrête pas aux apparences. C'est un regard d'émerveillement devant ce que l'amour va faire pour la transformer. Jésus va chercher le tout-petit pour parler du très grand.

C'est ce que vous a fait découvrir Igor ?

Michel : Tout à fait, Igor nous aide à ouvrir les yeux. Je me rappelle, un dimanche à l'église, des prisonniers se trouvaient là entourés de militaires. Personne n'avait osé se mettre à côté d'eux. Igor, lui, avec toute son affection, est allé s'asseoir sur les genoux de l'un d'entre eux ! Jamais je n'oublierai ce détenu qui, redevenu père pour un instant grâce à la simplicité d'Igor, fut transfiguré par la tendresse et l'amour.

Mary : En fait, Igor, sans savoir parler, casse toute les barrières sociales !

Et à la maison comment cela se passe-t-il pour vos autres enfants ?

Michel : Igor revient chaque soir à la maison, c'est une chance pour nous tous. Avec lui, ses frères et surs apprennent que tout ne passe pas par la réussite ou l'efficacité mais que les yeux du faible nous dévoilent souvent l'essentiel.

Mary : Je me souviens de la réaction qu'a eu Mikaël, un de nos enfants, sur une plage où nous venions d'arriver Face à tous les regards qui se sont braqués sur son frère, il n'a pas supporté et nous a demandé de partir immédiatement. Dans la voiture, Mikaël a pu nous dire sa révolte : "j'avais envie de leur crier dessus à tous ces gens. Ils n'ont jamais vu un handicapé ou quoi ? !". Ce sont des situations qui nous ont appris à écouter et à essayer d'être attentif à chacun de nos enfants. Heureusement, nous vivons aussi d'autres bons moments, comme cette fois où nous sommes partis nous promener en louant un âne pour Igor. Quelle joie alors, profonde et simple de retrouver la possibilité de faire des marches en montagne tous ensemble, en famille. J'ai l'intime conviction que c'est l'amour que nous lui portons en famille qui le fait progresser, et que nous-mêmes progressons grâce à son amour.

Michel : Oui, il y a des moments de lumière qui nous aident à vivre ceux qui sont plus délicats. Je pense à ce jour où le curé de notre village nous a proposé de préparer Igor à sa "Première Communion" avec les autres enfants de la paroisse.

Quelle belle surprise et quelle joie d'y avoir vu Igor accueilli chaleureusement et sans question ! Il avait tout simplement sa place au coeur de la communauté.

Un dernier mot Qu'avez-vous envie de dire aux lecteurs qui pourraient être concernés, et aux parents d'un enfant handicapé ?

Mary : Nous aimerions leur dire que chaque être aussi fragile qu'il soit, est précieux. Que le plus fragile a un message pour le plus fort car dans sa fragilité, Dieu le rejoint « afin que soit manifestée Sa Gloire ». Après chaque spectacle dans les écoles, nous proposons aux enfants un temps de rencontre. Certains, très touchés, ont écrit à Igor : "Ne perds pas espoir, un jour tu seras comme les autres Tu parleras, tu marcheras". C'est comme si j'avais entendu alors la voix d'Esaïe : « Alors s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche
du muet criera de joie
».

Mary et Michel Vienot
Communion du Chemin Neuf, Barraux