COMPTE-RENDU DU COLLOQUE DE THEOLOGIE PASTORALE

MONTPELLIER 24 -25 MARS 2001 MARIAGE,SACREMENT ? Des étapes pour le mariage

Groupe Relais Chrétiens Divorcés 27, avenue de Choisy 75013 Paris –

Tél: 01 56 61 01 22 -Mel : chretiens.divorces@wanadoo.fr

S

 

OMMAIRE

INTRODUCTION

OUVERTURE

HISTOIRE ET TRADITIONS

DEBAT I

PROPOSIONS THEOLOGIQUES

PERSPECTIVES PASTORALES

DEBAT II

REPRISE DE FIN DE SESSION, Guy De LACHAUX

ANNEXES

1) Sacralisation, sanctification, sacrement, Patrick Jacquemont

2) La gradualité des sacrements, Pierre Fournier

3) Le mariage comme problème écclésiologique, Jean Rigal

 

 

INTRODUCTION

Au Colloque de Chevilly-Larue 1998, lors de la mise en place par le Groupe Relais, Chrétiens Divorcés 4 (dont les Actes sont parus en juin 2001 chez Salvator) des priorités furent exprimées par la suite du travail engagé.

Un groupe « Après Chevilly-Larue » souhaita un élargissement du nombre des participants, environ quatre ans après. Ce sera la rencontre de Lyon, 2ème

Colloque national à Valpré dans le Rhône, les 17-18 novembre 2001 : « Mariage, divorce, église: qu'est-ce qui est en jeu ? »

Mais il a paru bon de proposer, entre les 2 colloques nationaux, une étape d'approfondissement théologique, pour un public plus restreint, souhaitant pouvoir mener un débat de recherche théologique et pastorale.

La question qu'il a paru nécessaire de pouvoir aborder « en amont » de la situation « divorcés-remariés » était celle du statut sacramentel nécessaire de tout mariage catholique.

« Mariage, sacrement ?    Vers un catéchuménat du mariage »

( ou plutôt comme le débat l'a précisé: « Des étapes pour le mariage » ).

Ce Colloque prévu à Toulouse, mis en place par la faculté de Théologie, très accueillante, a du être déplacé à Montpellier où le Couvent des Dominicains nous a offert l'hospitalité.

La problématique est restée fidèle au projet initial.

« Le mariage est en crise. De nombreux mariages paraissent, aux responsables pastoraux, célébrés pour répondre soit un rite social, soit à la demande d'accueil d'un amour par l'Eglise, sans que la foi soit une référence primordiale. Qu'est-ce qui est enjeu ? Y a-t-il demande de sacrement ? Qu'est-ce que l'Eglise catholique peut proposer ? Peut-on envisager un mariage par étapes ? Le mariage a-t-il toujours été sacramentel ? Que vivent les autres Eglises ? »

C'est dans cette perspective que se sont retrouvés à Montpellier 70 participants motivés. Théologiens, clercs et laïcs, avec une bonne représentation des équipes diocésaines de "' pastorale familiale ce qui donna voix aux femmes, trop peu entendues, du moins comme intervenants du Colloque, même si certaines avaient bien été invitées. Dans l'impossibilité de publier un compte rendu intégral de ce Colloque, en voici les articulations et en annexe, les trois documents du dimanche matin pour stimuler la suite de la recherche.

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OUVERTURE

Au nom de la communauté dominicaine, le frère Gilles Danroc, responsable du Centre Lacordaire à Montpellier, se réjouit de la possibilité d'accueillir au Centre Lacordaire le débat sur un thème discuté. Plusieurs dominicains du couvent participèrent activement à tout le colloque.

1- Patrick Jaquemont, du couvent St Jacques à Paris, animateur du colloque avec Marie Thérèse Parizel et Micheline Petit, insista sur l' actualité du débat proposé car il y a deux faits que nous devons prendre en compte.

Parmi les couples qui se marient, le tiers ou la moitié (paris) divorce. Ce qui crée de nouvelles familles monoparentales ou, quand certain(e)s divorcé(e)s se remarient, de nouvelles familles recomposées.

Le second fait est la prise de position de l'Eglise catholique devant cette situation. Les personnes divorcées sont accueillies dans les communautés pour la prière, le service et la célébration eucharistique. Les personnes divorcées-remariées sont invitées à continuer une pratique chrétienne, mais se trouvent exclues de la réconciliation et de l' eucharistie.

2- Il faut donc ouvrir ensemble le dossier. Que nous dit l'histoire de l'Eglise sur le statut sacramentel du mariage ? Que retenir des précisions du Droit canonique et des traditions orthodoxes sur « l'économie de la miséricorde » et protestantes pour qui le mariage n'est pas un sacrement. Ce fut l'occasion d'un débat avec toute l'assemblée.

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HISTOIRE ET TRADITIONS

1- Robert Cabié, professeur honoraire à la Faculté de Théologie de Toulouse, tenta de mettre en perspective les étapes du mariage dans l'histoire de la liturgie. Selon l' épître Diognète (II siècle) « les chrétiens se marient comme tout le monde » , selon les usages, selon les lois de l'empire pour les citoyens romains. Il n'y a pas de bénédiction liturgique, c'est le Christ qui bénit. Peu à peu les usagers vont donner place au prêtre pour des prières de bénédiction dites dans la chambre nuptiale. Au XIe siècle cette bénédiction est donnée à la porte de l'Eglise avec l'eucharistie, la communion des époux étant signe d'une union (X siècle).

On voit donc apparaître de plus en plus une tension entre la liturgie populaire et les exigences juridiques, puis celles des théologiens du septenaire sacramentel incluant le mariage, les déclarations du Concile de Trente, qui ne proposent pas une théologie des sacrements mais veulent répondre aux affirmations de la Réforme (selon lesquelles il y a deux sacrements: baptême et eucharistie. ) "

2- Michel Mathieu, prieur du couvent de Montpellier, vient de démissionner de son office de juge à l'officialité. Il veut s'exprimer du point de vue pastoral, comme théologien et canonique, comme juriste. La question est celle du rapport droit et sacrement.

Le sacrement ne doit pas dépendre de la loi et, par exemple, l'indissolubilité n'est pas liée au sacrement comme sacrement. Il y a un risque de sacralisation du mariage-sacrement qui semble oublier que le mariage civil, contrat et consentement, est premier. Ce sont des mariés qui sont accueillis par l'Eglise.

3- Hubert Bost, professeur d'histoire de la théologie à la Faculté de Théologie protestante de Montpellier:

pour Luther le sacrement n'est pas un rite de passage mais exclusivement une réalité traversée par la Parole: l'eau, le pain et le vin - baptême et eucharistie.

Le mariage est un contrat naturel. Les conjoints sont déjà mariés quand ils se présentent au Temple. Avec John Milton, le mariage est contractualiste.

Le divorce peut donc être envisagé. Le souci de la tradition protestante est celui de l' accueil et, quand il y a lieu, d'une « pastorale de l'échec », de tous les échecs.

Il faut se réconcilier avec l'idée de l' échec. La vie chrétienne n' est pas un sport de haute compétition. Dieu est celui qui relance l'histoire.

4- Père Jean Gueit, recteur de la paroisse orthodoxe de St Hermogène à Marseille. Dans la  tradition orthodoxe, il n'y a pas de tension entre contrat et sacrement. Le sacrement n'est pas le consentement. On ne peut se donner un sacrement, on le reçoit du Christ qui fonde toutes les nuptialités. La théologie orthodoxe du mariage se fonde sur les deux récits de la Genèse et le rite du couronnement. L 'homme est le roi de la création et son aboutissement.

C'est le Christ, nouvel Adam, qui rétablira l'harmonie perturbée par le Diviseur (diabolos). C'est le Christ qui célèbre le mariage, signifié par le couronnement (fleurs en Méditerranée, pierres précieuses à Byzance). Le sacrement du mariage préfigure la configuration paradisiaque. Il peut y avoir célébration de secondes noces.

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DEBAT I

Quelques questions et réponses des intervenants dans le 1er débat animé par Michel Legrain :

- Quand il a été parlé de mariage, a-t-on souligné ce qu'est l'amour-agape ?

Mais dans la demande d'un mariage peut-on évaluer l'amour qui le porte ?

Pour M. Legrain les sociétés se méfient d'un mariage fondé sur le seul amour.

Pour Hubert Bost, l'agape est le lieu de l'amour fraternel entre les chrétiens.

- L'Eglise n'a pas le droit d'entrer dans la chambre conjugale. « Pourquoi tant de formulations négatives quand il s'agit de sexe ? » (Jean Gueit)

- La théologie du mariage doit-elle donner une si grand place au texte de la lettre aux Ephésiens ( « l'Eglise se soumet au Christ; les femmes doivent donc se soumettre en tout à leurs maris » Ep 5,24). Il n'y a pas seulement à contester le statut de

soumission de la femme, mais surtout le poids qu' on fait porter sur la femme: l'Eglise et la représentation de l'homme qui serait le Christ. Femmes et hommes sont Christ, chrétien(ne)s; femmes et hommes sont l'Eglise. La conjugalité est-elle le signe de

 l'amour du Christ et de l'Eglise ? (P. Jacquemont)

- Il y a d'autres signes de l'unité que la conjugalité. L'oecuménisme, quête d'unité d'églises pécheresses et pardonnées.

- Souvent ce qui bloque dans la pastorale du couple c'est le non respect des réalités humaines. Le mariage civil n'est pas secondaire. Là est le contrat et le consentement.

- Mais alors, s'il y a échec humain d'un mariage, ne faut-t'il pas pouvoir proposer une « pastorale de l'échec ? » (Hubert Bost)

- Dans une intervention émouvante, un participant invite l' église à repartir sans cesse de l'Evangile: amour et miséricorde. Les Eglises sont toujours à évangéliser, sinon elles deviennent des sectes.

 

Après cette première séance du Colloque, ceux et celles des participants qui le voulaient étaient invités à participer à la célébration dominicale anticipée du Couvent dominicain.

Dîner et soirée libre autour de la place de la Comédie.

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PROPOSITIONS THEOLOGIQUES

Dès le dimanche matin à 9h00, le Colloque avait tenu à offrir un questionnement théologique sur le fond des pratiques et des traditions évoquées la veille. D'abord des précisions à apporter (qu'est-ce qu'un sacrement ?), des essais de lecture théologiques proposés dès le XIII siècle - pour des étapes, des degrés, une gradualité de l'utilisation du vocabulaire du sacrement; enfin , une présentation du mariage comme problème ecclésiologique.

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Ces trois exposés, revus par leurs auteurs sont proposés en annexe.

1 -Sacralisation. sanctification. sacrement

-Patrick Jacquemont (le Saulchoir)

Tout sacrement est baptismal et eucharistique. La réalité humaine du mariage est le consentement consommé. Les chrétiens peuvent en faire une action de grâce eucharistique, signe de communion. S'il y rupture de la réalité humaine du mariage, les chrétiens peuvent la présenter à la miséricorde du Christ dans une eucharistie qui sera signe de pardon.

2 -La gradualité des sacrements

-Pierre Fournier (Séminaire inter diocésain Avignon)

Pour le théologien du Xill ème siècle, Hugues de St Victor, il y a une gradualité du sacrement, de la sacramentalité :

sacramentalité de la Genèse, célébration inaugurale du mariage

sacramentalité mosaïque, don de la Loi qui permet à l'amour des conjoints de se structurer

sacramentalité accomplie en Jésus. Le Christ sanctifie les noces.

2bis -Armand le Bourgeois, présent tout au long du colloque, souligna que c'est dans ce sens qu'il avait proposé une pastorale des étapes du mariage dans le diocèse d' Autun (Lugny).

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3 -Le mariage comme problème ecclésiologigue

-Jean Rigal (Faculté théologique de Toulouse)

Le mariage comme rencontre d'une Eglise.

Le mariage comme acte de l'Eglise " Le mariage comme construction de l'Eglise.

Le mariage comme appartenance à l'Eglise.

Le mariage comme rencontre des Eglises.

Une première série de questions immédiates de l'assemblée a permis quelques précisions en attendant le questionnement des carrefours.

a) Jean Rigal: Quelle est la place des couples, des femmes, dans la responsabilité de la pastorale familiale ? Cette place reste très insuffisante mais existe dans certains diocèses.

La parole d'un célibataire n'est pas nécessairement disqualifiée pour situer le couple dans la vie des communautés. Ce qui manque le plus est une parole collective de la communauté, des laïcs, des couples, des théologiens et théologiennes.

b) Pierre Fournier: Au Japon, il y a accueil à l'église d'un mariage non sacramentel, "sous la bénédiction de Dieu". Le mariage civil, acte citoyen universel, peut être situé dans le cadre de la sacramentalité mosaïque de la Loi, sans vouloir pour autant "récupérer" les mariages non-sacramentels. Les rituels du mariage diocésains peuvent être différents. Après le Concile de Trente, un rituel n'a pas été imposé.

c) Patrick Jacquemont: Le sacrement n'est pas une "chose". Ce sont les baptisés qui offrent leur vie, sacramentellement, en action de grâce. La grâce ne se coupe pas en "rondelles" , avec 7 tranches sacramentelles. La grâce est une, don de l'Esprit, inspirant la vie des baptisés pour faire de celle-ci une offrande, une eucharistie qui rend grâce en tout, pour tout.

Pour continuer le cheminent du Colloque, les participants ont pu échanger durant une heure et demie avec consigne de rédiger leurs questions avant le déjeuner en vue d'un débat avec les intervenants à 15h.

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PERSPECTIVES PASTORALES

Il avait paru nécessaire avant de conclure le Colloque de revenir sur des questions pastorales.

Comment la situation des divorcés, divorcés-remariés est-elle vécue dans les préparations au mariage (CPM), les pastorales familiales diocésaines, lors du catéchuménat ?

Les témoignages prévus pour Toulouse ont pu être remplacés par ceux des participants venus à Montpellier. Le catéchuménat diocésain n'est pas intervenu comme tel, mais le frère Jacques Martin a pu s'exprimer au nom de ce qu'il a fait pour le catéchuménat et ce qu'il a fait avec le CPM.

Merci aussi aux pastorales familiales très actives sur leur diocèse (Annecy, Versailles et Marseille présentes à Montpellier).

Au delà des témoignages difficiles à résumer, nous signalons les documents apportés par les intervenants.

1- La préparation au mariage

Le frère Jacques Martin du couvent de Montpellier a travaillé avec le catéchuménat du diocèse, comme il le fait avec le CPM, ainsi que lors des forums " Divorcés, Divorcés- remariés " au pèlerinage dominicain du Rosaire à Lourdes.

Le cardinal Ratzinger faisait lui-même remarquer (juillet 2000) que nombre de baptisés, , ne vivant plus de leur foi, demandent à l'église le sacrement du mariage. Or la foi

appartient au sacrement. Il peut y avoir parmi ces demandeurs des couples " non-  chrétiens " , bien que baptisés, et des couples demandeurs pour la foi qui les intéresse.

Mais il y a trop peu de temps pour leur proposer une véritable démarche de catéchumènes. De ce fait, il pourrait y avoir équivoque à parler de catéchuménat du mariage alors qu'il s'agit d'étapes du mariage. Des divorcés se présentent-ils au CPM pour un nouveau mariage ? (Echos différents dans l'assemblée). Le débat avec le CPM doit continuer au plan national.

Deux brochures du frère Jacques Martin sont disponibles au Couvent BP 2040 34024 Montpellier Cedex.

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2- La Pastorale familiale diocésaine

Toutes les pastorales familiales diocésaines étaient invitées au Colloque de Montpellier. Les diocèses d'Evry, Annecy, Marseille et Versailles étaient représentés.

Annecy : Francine et Michel Robillot Lors du synode d' Annecy, parmi les lois synodales, celle sur l'accès des divorcés- remariés à l'eucharistie n'a pas été promulguée. Il faut insister sur le couple dans la durée: l'avant, la célébration, l'après. L' orientation doit être lointaine, avant même la préparation du mariage lui-même, elle concerne tout le monde: pourquoi vivre en couple ? Il faut aussi faire connaItre les formules de préparation plus immédiates (CPM, secteurs paroissiaux, mouvements et communautés nouvelles). Après la célébration du mariage une évaluation permet de mieux réaliser ce qui s'est passé. A long terme le suivi ne doit pas attendre la nécessité du recours au conseil conjugal. C'est « la pastorale de la salle à manger ». Le lien doit être ; fait avec les temps forts de la vie familiale, comme la préparation aux baptêmes des enfants, le catéchuménat. Document « Le couple dans la durée: rêve ou réalité » disponible au centre diocésain BP 144 74004 Annecy Cedex.

Versailles : Anne-Marie et Jacques Hervier

Le travail de la pastorale familiale a été soutenu par l'évêque avec des rencontres et des documents.

Document « Accueillir et comprendre les couples blessés dans leur amour » disponible à l'évêché de Versailles 16 rue Mrg Gibier 78008 Versailles Cedex.

Actuellement l'effort porte sur la formation des animateurs-animatrices des groupes d'accueil des divorcés-remariés : formation à l'écoute, « qu'est-ce que l'église », « pour pouvoir se tenir debout et repartir en avant » .

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DEBAT ll

Il serait illusoire de présenter la relecture des productions et des carrefours comme une synthèse.

L' échange des carrefours aura été avant tout utile pour le carrefour lui-même et la possibilité donnée à chacun de s'exprimer mieux que dans le grand groupe. Sur place, une certaine « mise en ordre » des questions posées, des souhaits exprimés, des convictions affirmées, a permis de regrouper les points communs et de rendre compte à tous les participants des points chauds relevés. Dans un deuxième temps, il a paru utile de présenter les apports en lien avec tous ceux du Colloque de manière à relancer les questions et à approfondir, comme lé souhaitait le Colloque, la recherche et le dialogue.

1- Trois préliminaires

-la place des femmes dans la théologie et la pastorale du mariage reste très insuffisante

-le rôle des célibataires pour traiter de la théologie du mariage reste dominant

-la formation humaine et théologique pour les prêtres et les laïcs doit être une priorité

2- Trois précisions

-Sur le sacrement: La réalité de la vie de couple n'est pas à sacraliser mais à sanctifier. La vie sacramentelle d'un couple de baptisés est une action de grâce pour l'amour vécu et un signe de pardon quand il y a échec d'un amour. L'eucharistie est le sacrement du merci et de la miséricorde (Patrick Jacquemont).

-Sur la gradualité sacramentelle: Certains demandent ce que cela apporte. pour les divorcés-remariés. L' apport se situe en amont du mariage qui pourrait être proposé par étapes célébrées en Eglise comme les étapes des catéchumènes pour le baptême (Pierre Fournier et Armand le Bougeois).

-Sur les Eglises : On peut dénoncer I 'hypocrisie de la pastorale catholique pour les divorcés-remariés. Mais il ne faudrait pas discriminer parmi les demandes de mariage

et toujours accueillir ces demandes pour catéchiser, célébrer et construire à partir de là (Jean Rigal)

3- Trois fondements

-Le mariage est la réalité humaine d'un consentement et d'un contrat.

-Il faut donner toute sa place et tout son poids au mariage civil.

-L'échec d'un mariage est toujours une épreuve. Comment aider couple et enfants à vivre cette crise et à regarder positivement le bonheur du passé et d'un avenir ?

4- Trois orientations pastorales

-Il faudrait ne pas séparer « l'avant, la célébration et l'après » du mariage (Annecy).

-Il faudrait ne pas dissocier la pastorale du mariage des autres temps forts de la

pastorale (baptême des petits enfants -eucharistie -deuil- solitudes- exclusions).

-Ne pourrait-il pas y avoir une place utile des divorcés, divorcés-remariés, dans les

préparations au mariage ?

5- Trois interrogations ouvertes

-L'indissolubilité du mariage est-elle liée au signe, sceau, sacrement ecclésial ?

La reconnaissance sociale du divorce ne remet-elle pas en question l'indissolubilité du mariage en Eglise ?

-Le pardon. C' est la communauté ecclésiale qui a célébré la bénédiction de Dieu pour ceux qui se risquent à aimer. En cas de divorce cette communauté a-t-elle à prononcer

une malédiction ou donner un signe de miséricorde et de pardon ?

-L'impardonnable. Peut-on pardonner au conjoint qui divorce, pardonner à un ennemi ? "' N'est-il pas écrit que le seul péché impardonnable est le blasphème contre l'Esprit (Mt

12,31), le refus d'invoquer l'Esprit Saint pour nous pardonner les uns les autres. Seul l'Esprit peut pardonner l'impardonnable. Saut dans l'inouï, l'impossible.

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REPRISE DE FIN DE SESSION

Guy De LACHAUX

 

L'Eglise est en grande difficulté sur cette question du mariage,

.dans le caractère trop juridique du mariage-sacrement,

.dans la façon dont elle gère la situation d'échec de tant de couples,

.dans sa pratique concrète

Il y a donc nécessité impérieuse d'évoluer.

Mais évoluer, cela passe d'abord par le fait d'essayer d'y voir clair sur la profondeur des choses, et spécialement de ce geste du "Sacrement".

Quel est-il? Sur quoi se fonde-t-il? En quoi ouvre-t-il à quelque chose d'essentiel de la Foi des chrétiens? Quelle forme doit-il prendre aujourd'hui?

Dans cette recherche, nous avons pu voir qu'il faut surtout éviter la passion, les arguments à l'emporte-pièce, les accusations, les soupçons de quelque ordre qu'ils soient. Cela ne peut mener qu'à une impasse. L'essentiel, c'est de savoir ce qui est en jeu. La visée historique et la confrontation avec nos amis protestants et orthodoxes sont certainement très éclairantes. J'en retire quelques points forts :

Dès le départ (Epître à Diognète), l'Eglise a cherché a préciser le contenu du mariage entre chrétiens, même s'il ne revêtait pas de forme religieuse.

Il s'agissait de l'indissolubilité et du lien avec le texte d'Ephésiens qui était fortement affIrmé.

Il y a eu, dans l'évolution, non pas simplement le poids du temps mais aussi des désirs plus louables comme le fait de vouloir combattre certains abus et d'assurer la liberté du consentement, surtout de la femme.

La confrontation catholique, protestant, orthodoxe m'a parue très importante. Elle nous a fait entrer dans le poids des cultures et des traditions. Cela nous a montré une réalité essentielle: Le mariage est quelque chose de vivant!

L'histoire, la culture, les événements ont mené à des choix différents.

Pour les Catholiques, l'essentiel se dit dans le contrat; pour les Orthodoxes, dans le couronnement; pour les Protestants, dans la bénédiction. On sent bien l'importance de ces trois approches.

On a vu la limite de l'approche Catholique -que Vatican II a essayé de corriger en ne .

parlant pas d'abord de contrat mais d'alliance en vue d'une communauté de vie et d'amour. J'aurais aimé voir les limites des propositions Orthodoxes et Protestantes, non pour les relativiser, mais pour nous donner des éléments pour aller plus loin. Je suis persuadé que, sur ce point, personne n'a complètement raison: la réalité est trop complexe et nous ne faisons que l'approcher. J'ai la conviction que si l'Eglise catholique a une position si ferme, ce n'est pas d'abord pour garder quelque pouvoir que ce soit (comme cela a été sous-entendu) ou par obscurantisme, mais parce qu'elle se sent dépositaire de quelque chose d'essentiel qui touche à l'intégrité de la foi. Que de maladresses pour le dire et que de souffrances !

Si l'on veut avancer, il faut que chacun soit à sa place: Evêques, Prêtres, jeunes couples, Théologiens, Divorcés et ce, dans un respect mutuel.

 

Il faudrait reprendre notre session de façon transversale.

Quelques mots clés me viennent à l'esprit :

Gradualité :

En premier, il est essentiel de voir où se situent les personnes qui s'adressent à l'Eglise pour se marier Il y a en effet une très grande diversité; cela va de la foi chrétienne authentique à , l'affirmation tranquille d'une non-foi en Dieu. La demande-étant diverse, la réponse doit l'être aussi.

Faut-il "sacraliser", "sanctifier", ou "sacramentaliser"? Peut-être les trois, mais à des moments différents. 

Faut-il se situer avec les couples au niveau de la création, de la Loi de Moïse ou de la nouveauté du Christ? Quand? et comment?

L'essentiel parait être la mise en route dans une dynamique au coeur de laquelle se situe le signe sacramentel. Mais comment? A quel moment? Quelles étapes faut-il proposer?

Nous avons beaucoup employé les mots "sacramentel", "sacramentalité", ce qui n'est pas sans laisser une certaine ambiguïté, car il s'agit de savoir où et quand il y a "sacrement".  Sur ces points, un gros travail reste à faire!

Eglise :

C'est le lieu du Sacrement. Au cours de ce colloque, on a beaucoup parlé de l'Eglise. Il ne pouvait d'ailleurs pas en être autrement. Jean Rigal nous a bien montré comment le sacrement de mariage était indissociablement lié à l'Eglise, aux Eglises. Tour à tour, en parlant de l'Eglise, on a visé la hiérarchie, ou bien ce groupe idéal qu'on appelle "chrétiens" et qui en fait n'existe pas. Car elle n'est en réalité qu'un groupe de femmes et d'hommes avec leurs petitesses et leurs grandeurs, réunis à l'initiative d'un Autre. Personne n'est à diaboliser. Tous sont en chemin. C'est l'incarnation du Christ qui se continue dans l'histoire. Plus qu'à la perfection, c'est à la Foi que nous sommes acculés.

Au coeur de cette Eglise, il y a un geste qui traverse l'histoire, l'Eucharistie. Elle a sûrement une place centrale dans la Sacramentalité de l'Eglise.

Peuple de l'histoire, elle se doit d'être lieu d'accueil de la vie, là où elle en est, pour qu'elle devienne signe du Royaume. Elle se doit donc d'accueillir les hommes avec leur histoire, et aussi avec leurs échecs. Il nous semble donc essentiel aujourd'hui de développer aussi une pastorale de l'échec.

Dans cette recherche, la place des divorcés et des divorcés-remariés est très importante. Ils sont passés par la souffrance. Ils ont une place essentielle à tenir pour accueillir au nom de l'Eglise ceux qui souffrent, qui vivent l'exclusion. Sans doute sont-ils les mieux placés pour penser une "pastorale de l'échec" !

Ils obligent l'ensemble des chrétiens à repenser de façon nouvelle la place de l'Eucharistie dans une vie chrétienne, son rôle. 

 

Leur existence massive, leur désir de vivre une nouvelle union, oblige à remettre en chantier le sacrement de mariage lui-même, la façon dont il est préparé, les conditions dans lesquelles il est célébré .

Comme nous le voyons le chantier est largement ouvert et appelle notre réflexion.

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SACRALISATION -SANCTIFICATION -SACREMENT

Patrick JACQUEMONT , Le Saulchoir

Dans la recherche théologique et pastorale de ce colloque de Montpellier il était important de retracer l' expérience des communautés chrétiennes à l' occasion du mariage des baptisés. Présentation de la lente élaboration du mariage comme sacrement au XII ème siècle à travers l'histoire de la liturgie, avec une « lecture » recuménique du canoniste catholique, de l'histoire de la tradition protestante et de la célébration orthodoxe. Vient alors le moment de préciser ce que l' on appelle un sacrement, pour pouvoir vérifier ensuite si le mariage est un sacrement. Mais pour cela je voudrais proposer une réflexion qui ne sera pas une définition du sacrement mais des distinctions pour permettre de situer ce que peut être un sacrement après avoir dit ce qu'il n'est pas. C'est pourquoi je vous propose un parcours théologique en trois étapes:

la sacralisation, la sanctification et le sacerdoce comme lieu de la vie sacramentelle.

I- SACRALISATION : SEPARATION. ELECTION. EXCLUSION

Le vocabulaire du sacré est celui de la séparation:

le sacré est ce qui est séparé du profane.

Dans le premier Testament, les sacrifices, comme celui de l' Alliance pour Abraham (Gn 15), mettent à part ce qui sera sacré, signe de l' Alliance. C'est la personne humaine qui fait le sacrifice et le sacrifice d' Abraham va être relayé par le service cultuel du prêtre Aaron, le culte autour de l' Arche puis celui du Temple, maison digne de l' Arche, voulue par David, réalisée par Salomon. Le temple va marquer la séparation du sacré et du profane.

La séparation va se manifester dans tout ce qui sépare: une élite bénéficiaire du sacrifice, un peuple élu mis à part. Celles et ceux qui n'appartiennent pas à ce peuple élu sont des étrangers, des exclus, soit redoutés, soit méprisés. Ne faut-il pas alors s'interroger sur le risque d'une sacralisation du sacrement chrétien présent dans le prolongement du sacrifice du Premier Testament ?

II -SANTIFICATION : OFFRANDE SAINTE. CULTE SPIRITUEL

Il va y avoir en effet avec le Nouveau Testament une évangélisation du sacré.

Trois textes essentiels :

He 10,5 citant le Ps 40 dans la version des LXX

« De sacrifice et d'offrande tu n'as pas voulu, mais tu m'as façonné un corps (une oreille dans le texte hébraïque ). Voici je suis venu pour faire ta volonté » .

Il supprime le premier culte pour établir le second. C'est dans cette volonté que nous avons été sanctifiés, par l'offrande du corps de Jésus Christ, une fois pour toute. L'offrande sacrificielle est supprimée par l'offrande sainte du Christ.

Adieu la sacralité.

 

Rm 12,1

« Je vous exhorte au nom de la miséricorde de Dieu à vous offrir vous-même en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu. Ce sera là votre culte spirituel (dans l'esprit) »

C'est le culte annoncé à la Samaritaine (Jn 4, 23). Un "culte qui n'est pas sacrifice du sacrificateur humain mais un don de l'Esprit pour plaire" à Dieu. Un nouveau culte (latreia) subvertit donc le sacrifice de la sacralisation en liturgie de la vie, service de Dieu et service de la communauté.

He 13,15.16

Par le Christ offrons sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c ' est à dire le fruit  des lèvres qui confessent son nom. Et n'oubliez pas la bienfaisance et l'entraide communautaire car ce sont de tels sacrifices qui plaisent à Dieu ».

Dans la première Tradition chrétienne la liturgie est :

-culte et service ( collecte )

-confession de foi et conduite éthique

« Quoique vous fassiez, faites-le pour la gloire de Dieu ». C'est l'invitation au culte de l'Esprit. (Co 3,17)

Dans le mariage, le culte sera ce culte en Esprit du couple, célébré en communauté et vécu dans toute la vie du couple.

Il y a sanctification du couple et non sacralisation du mariage.

III -SACREMENT: SACERDOCE DU CHRIST. SACERDOCES

Nous arrivons maintenant au sacrement.

Il n'y a plus de sacrifice. Jésus a offert son corps, sa vie, louange pour la gloire de Dieu, « une fois pour toutes ». Le Christ est le seul « sacerdote », le seul « grand prêtre ». C'est lui qui est le sacerdote, sacrement fondamental (Ursakrament).

Le peuple chrétien des baptisés participe au sacerdoce du Christ.

C'est le sacerdoce commun : « peuple de prêtres, peuple de rois. ».

" Les sacrements ne sont pas des choses, ce sont des personnes exerçant sacramentellement le sacerdoce du Christ. Pierres vivantes de la pierre angulaire.

IP 2,5 « Pour constituer une sainte communion sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus-Christ. »

IP 2,9 « Vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s'est acquis pour que vous proclamiez les hauts faits de Celui qui vous appelle à sa merveilleuse miséricorde. »

Les chrétiens constituent une communauté sacerdotale et sacramentelle. Baptême et eucharistie sont les signes sacramentels des chrétiens sacerdotes, royaume des sacerdotes pour la gloire de Dieu CAp 1,6).

C'est le don de l'Esprit qui nous habilite à la vie sacramentelle. Pas de sacrement sans évocation de l'Esprit ( épiclèse ). Cela est manifeste avec le baptême qui constitue le corps du Christ, l'eucharistie qui est l'action de grâce du corps du Christ.

Tous les sacrements, outre le baptême et l'eucharistie, sont offrande de la vie de baptisés pour témoigner de la miséricorde à laquelle ils sont appelés (IP 2,5) et en rendre grâce. Tout sacrement est baptismal et eucharistique.

Qu'est-ce que ce rapide aperçu peut nous apporter concernant la mariage ?

La réalité du mariage est le consentement consommé.

De cela nous pouvons faire une action de grâce eucharistique.

Et s'il y a rupture de la réalité humaine du mariage, nous pouvons la présenter à la miséricorde du Christ dans une eucharistie qui sera pardon.

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UNE GRADUALITE VERS LE SACREMENT DE MARIAGE ?

Père Pierre FOURNIER, Séminaire interdiocésain d ' Avignon

La question posée : quelle « gradualité » possible vers le (sacrement de) mariage ?

quel « catéchuménat » du mariage ? quelles étapes et progressions seraient pertinentes ?

 

Les trois niveaux de sacramentalité du mariage

Dans l'ensemble des sacrements, le mariage n'est-il pas un sacrement surprenant ?

De manière spécifique, n'est-il pas riche d'un triple niveau de sacra mentalité ?

Cette perspective s'est trouvée nettement mise en valeur par un théologien, comme Hugues de Saint- Victor au XIle siècle, de façon assez magistrale. Nous proposons de revisiter l'essentiel de son intuition.

Hugues insiste sur le paradoxe du mariage. Celui-ci est à la fois l'institution la plus ancienne, fondée par Dieu à la Création elle-même, aussi vieille donc que le monde,

ET

un sacrement portant la nouveauté du Christ et de son évangile ( 1 ).

Peut-être pourrons-nous trouver chez Hugues quelques éléments susceptibles de dynamiser notre réflexion sur des situations rencontrées aujourd'hui ?

Hugues de Saint-Victor est l'une des grandes figures de la célèbre Abbaye Saint- Victor de Paris, au XIIe siècle (né vers 1096, mort en 1141 ). Il est à la fois théologien, philosophe, bibliste et mystique. C' est la grande période de réflexion notamment sur les sacrements, la constitution du « septénaire sacramentel ». Hugues a eu l'ambition d'élaborer une solide synthèse, une somme des savoirs. Au siècle suivant, son exemple inspirera un saint , Thomas d' Aquin, pour qui il est l'un des maîtres à penser.

Pourquoi « revisiter » la perspective d'Hugues de Saint- Victor ? La pertinence et la fécondité de sa pensée ont été reconnues au Moyen Age. Hugues a été fortement novateur en définissant le mariage non pas en priorité comme contrat, mais comme « communauté de vie et d'amour ». Aujourd'hui, il « donne à penser » par rapport à diverses situations présentes. Une  revalorisation de œuvre est en cours, notamment avec les travaux d'historiens M-Odile  Metral, ...), et de théologiens, catholIques (Henri Denis, .) ainsl que protestants (Eric Fuchs, .) ( 2 ).

Nous situerons ici l' articulation des trois niveaux de sacramentalité du mariage, puis nous évoquerons des domaines que cette perspective peut éclairer.

 

I. Comment s'articulent les TROIS NIVEAUX DE SACRAMENTALITE DU MARIAGE ?

Dès le début du monde, écrit Hugues dans son 'De sacramentis christianae fidei' I, VIII, 11, Dieu a proposé à l 'homme les sacrements du salut qui le marqueraient du signe de l'attente de la future sanctification.

 

1. D'abord, le niveau créationnel de la sacramentalité du mariage.

La Révélation biblique s'ouvre par les récits de la Création initiale. Or, ces récits . de la Genèse, pris ensemble (Gn 1-3), nous donnent comme une célébration inaugurale, printanière, du mariage.

Des accents significatifs y sont bien présents: ":

.la création de l'être humain par Dieu 'à Son image'(Gn 1,27). Dieu le crée, fondamentalement, comme couple: .Homme et femme, Il le créa' (Gn 1,27) .

.des paroles sont prononcées, proclamées, avec la force d'un lien : Dieu 'bénit' le couple (Gn 1,28) : liturgie de bénédiction.

.les orientations du mariage (ses 'biens') sont explicitées :

-le sens du compagnonnage entre époux:  Je vais procurer à I 'homme une aide qui lui soit assortie'(Gn 2,18 et 20) : soutien mutuel, amour réciproque, possibilité de dialogue.

-l'unité du couple: ' Tous deux ne feront plus qu'une seule chair' (Gn 2,24)

-la fécondité: 'Croissez et multipliez ' (Gn 1,28).

.La 1° parole humaine dans la Bible est la parole d'un homme mû par l'amour: comme un chant conjugal: 'Cette fois-ci, celle-ci est l'os de mes os, la chair de ma chair ! .'(Gn 2,23). Cette parole intensifie un moment 'Cette fois-ci!'( ou: ' Voilà maintenant ').

Elle est centrée sur le choix d'une personne précise: 'Celle-ci! (pas une autre créature).

Comme une invitation à une parole de réciprocité: 'Toi aussi, tu es l'os de mes os!'

Ce serait alors, ici, une forme d'échange de consentement.

Telle est la première célébration du mariage! Dieu lui-même la préside, l'anime et l'oriente.

Hugues fait remarquer qu'il s'agit là, déjà, d'un réel niveau de sacramentalité: sacramentalité de 'la loi naturelle', 'créationnelle', c'est-à-dire une réalité naturelle interprétée au regard de la Révélation biblique. Il y a, en effet, l'initiative créatrice de Dieu et le don qu'Il offre, ," le couple humain, le projet d'unité de vie, la Parole de bénédiction de Dieu, la force d'une parole humaine désignant l'autre qui est choisi et aimé.

Située au seuil de la Genèse, à l'aube de l'humanité, cette liturgie de mariage revêt une portée ouverte à l'universel. Dès lors, tout engagement libre, décisif et réciproque d'un homme et d'une femme aura valeur réelle. Tout engagement déterminé entre un homme et une femme, quels que soient l'époque ou les horizons culturels, socio-religieux, forme un engagement riche de 'sacramentalité naturelle, créationnelle'.

Est-il possible d'insister davantage sur la positivité de tout engagement du mariage ?

Certes, cette bonté créationnelle va être abîmée par le péché. Alors, avec patience et persévérance, Dieu va proposer des secours de grâce de plus en plus intenses avec la Loi de Moïse, puis avec le Christ Sauveur .

 

2. Le deuxième niveau de sacramentalité du mariage:

avec la Loi que Dieu donne à son Peuple au Sinaï. (Niveau mosaïque).

Un nouveau seuil de la Révélation biblique est franchi quand le Dieu du salut offre son Alliance par le biais de Moïse et quand il fait à son Peuple le Don de sa Loi. Telle est l'oeuvre de restauration, ou de re-Création, que Dieu accomplit avec puissance.

La Loi donnée par Dieu au Sinaï précise plusieurs exigences qui contribuent à appuyer l'engagement du mariage. Parmi les critères présentés par les Dix Paroles de Dieu :

-la fidélité à la parole donnée: 'Tu ne commettras pas d'adultère' (Ex 20,14; Dt 5,18)

-la fidélité du coeur: 'Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain'(Ex 20,17; Dt 5,21). Les premières des Dix Paroles peuvent être comprises, également, comme concernant chacune, le mariage. Par ex, 'Tu ne te feras pas d'idoles' (Ex 20,4): tu t'investiras dans l'amour de ton conjoint au meilleur de toi-même, mais sans 1"idolâtrer', sans le sacraliser. Dieu est le Référent du couple, Source déterminante de bénédiction. Le Dieu qui donne sa Loi est Celui qui a libéré son Peuple de l'esclavage en Egypte.

Il appelle à dénoncer les formes d'esclavage, les mainmises sur l'autre, dans la vie du couple comme dans les autres domaines de vie. Dieu appelle à être libérateurs dans les réalités conjugales et familiales.

Hugues fait ressortir ce niveau ('mosaïque') de sacramentalité qui est à l' oeuvre dans un engagement conjugal orienté par ces critères d'authenticité et de fidélité. L'amour des conjoints se structure selon une Loi, selon un projet de vie où l'Autre, le Dieu de l' Alliance, est interlocuteur .

3. La plénitude de sacramentalité donnée en Jésus-Christ : la sacramentalité évangélique.

Dieu accomplit son oeuvre avec le maximum de sa puissance de salut en son Fils Jésus. Nous sommes ici au seuil ultime de la sacramentalité. Elle est manifestée en Christ Sauveur. A Cana, Jésus a sanctifié les noces humaines (Jean 2,1-11 ).

Dans l'Evangile, Jésus prend soin de rappeler d'abord la base créationnelle de la sacramentalité: 'N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit homme et femme?. Tous deux ne feront plus qu'un ' (Mt 19,4-5). En même temps, Jésus ouvre le mariage à une dimension radicalement nouvelle. fi signe l'Alliance des épousailles au sceau de son propre mystère pascal, de sa Croix, de sa mort et de sa Résurrection, du Don de son Esprit Saint.

La guérison des faiblesses de l'amour et des marques du péché, et la plénitude de la sacramentalité du mariage sont recueillies en référence au mystère pascal du Christ. Les époux vivent de cette plénitude de sacramentalité quand ils risquent leur engagement en unité avec l'engagement total du Christ dans sa mort et sa résurrection, et dans l'accueil de son Esprit Saint.

C'est par le Christ que les sacrements de la loi naturelle et de la loi mosaïque ont tout leur sens. Les valeurs créationnelles universelles du mariage sont reprises ici et transfigurées dans le Christ: la liberté des époux, la fidélité, la fécondité en génération d'enfants et en rayonnement multiple. La promesse entre époux reçoit les appels du Christ. Leur alliance est greffée sur l' Alliance 'nouvelle et éternelle' réalisée entre Dieu et l'humanité, entre le Christ et l'Eglise (Eph 5,31-32).

 

II. OUELS SONT LES ENJEUX DE CETTE PERSPECTIVE ?

En nous inspirant de la perspective d'Hugues, nous pouvons dégager une visée particulièrement utile et stimulante.

a) Nous entrons dans une dynamique sacramentelle

Sur le plan de la sacramentalité du mariage, il n 'y a pas le « tout ou rien » .

Se dessine une dynamique sacramentelle, une progressivité sacramentelle de plus en plus nette et forte. Le " lien " du mariage s' avère de plus en plus déterminant.

La base créationnelle du mariage et l' apport de la Loi de Moïse sont des données 

réellement positives. Elles sont orientées vers l' épanouissement décisif dans la sacramentalité évangélique. L' engagement des époux aux deux premiers niveaux s' offre comme en tension vers ; le troisième niveau, comme vers son achèvement dans le Christ pascal, Seigneur et Sauveur.

b) Nous entrons dans une dynamique degradualité.

Cette tension correspond bien aux: critères de la « loi de gradualité ) énoncée par Jean-Paul il dans son Exhortation apostolique «Les tâches de la famille chrétienne : Familiaris Consortio » (1981). Il s'agit d'une pédagogie de progression incessante:

« Ainsi se développe un processus dynamique, qui va peu à peu de l'avant, grâce à l'intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l'homme. C'est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire » ( § 9).

Et plus loin: « Les époux sont appelés à cheminer sans se lasser .Cette pédagogie embrasse toute la vie conjugale .» (§ 34). ( 3 ).

c) Nous prenons en compte la positivité des divers types d'engagement de couple.

Si nous entrons dans cette perspective inspirée d'Hugues, sur chaque situation nous pouvons porter un regard à la fois marqué par la confiance et par l' appel à un dépassement. Nous pourrons reconnaître :

-la valeur de l'engagement de non-baptisés dans le mariage: . n'est-ce pas la valeur « créationnelle » de la sacramentalité ? ( 4 )

-les valeurs de certaines formes de promesses :

 par ex, des fiançailles adaptées, soutenues par la présence de l' entourage: familles, amis, . ..

* l'engagement dans le mariage civil :

il comporte une parole-promesse de fidélité, de soutien mutuel, de co-responsabilité,. (Le mariage civil relève-t-il de la sacramentalité naturelle, ou, ayant été calqué sur le mariage religieux, de la sacramentalité mosaïque, cela dit sans « récupération » ?

* d'un mariage civil pouvant être accompagné d'une célébration d'accueil de la Parole de Dieu et d'une prière.

Du fait de la mise en oeuvre de paroles structurantes, n'y a-t-il pas là diverses approches « mosaïques » de la sacramentalité du mariage ?

 

-Nous prenons aussi en compte les valeurs vécues dans la durée par les couples divorcés remariés.

Dans le document de la commission épiscopale de la famille: 'Divorcés remariés dans la communauté chrétienne' ( 5 ), la conclusion porte un titre significatif:

' Tous appelés à la sainteté '. 'Le divorcé remarié est appelé à vivre son état particulier comme un lieu où la grâce de Dieu est présente. Le chemin de sainteté, vécu en Eglise, appelle à prendre en compte des données diverses: ainsi la parole ecclésiale, la vérité humaine de la situation, ses valeurs et ses ambigui1és, le chemin de foi de la personne, le projet de vie chrétienne réelle. '(p. 67-68).

*********

Depuis la réalité créationnelle, de seuil en seuil, l'engagement du mariage est en tension vers la sacramentalité évangélique. Cette densité du mariage évangélique va être l'horizon ultime, plongé dans la Croix et le mystère pascal du Christ. Sous l'action du Père et de son Esprit Saint, le cheminement vers la plénitude de cette sacramentalité décisive comporte un ensemble progressif de données positives, de seuils, et d'appels toujours renouvelés.

Le P. Carra de Vaux résume bien l'intérêt de l'analyse d'Hugues: c'est 'la

perception de la totalité de 1 'histoire humaine comme un immense cortège, tous marchant finalement au pas du Christ qui va au coeur de cette procession des générations, entouré de tous ses fidèles, chacun marqué du sacrement - naturel,  mosaïque, évangélique - qui dit sa place dans l'Histoire du salut '. ( 6 ).

Notes: ( 1)

Nous nous inspirons de la pensée d'Hugues de Saint- Victor, de son' De Sacramentis christianae fidei', P.L. (Migne latin), 176, colI 173 sv, surtout col. 185,312-318,479 sv.

Nous ne discutons pas ici certains de ses aspects, notamment sa conception du septénaire sacramentel, ses accents augustiniens ( les conséquences du péché originel sur l'oeuvre de nature, la présentation des sacrements-remèdes,.).

Thomas d'Aquin lui-même réinterprètera ces aspects dans sa propre perspective.

Voir la thèse de Claude Maréchal, Institut Catholique de Lyon, 1968, sur l'établissement du septénaire sacramentel ( la sacramentaire d'Hugues, sa perception du mariage,.): p. 53-57, 104, 266-280.

Notes: (2)

E. Fuchs, 'Le désir et la tendresse', Labor et Fides, 6° éd, 1989, (7° éd., augm, 1999). Ayant fait siennes, en grande partie, les analyses de Marie-Odile MétraI ( dans Le mariage. Les hésitations de l'Occident " Paris, 1977) sur Hugues de Saint -Victor.

E. Fuchs présente la tentative d 'Hugues, la seule (au Moyen Age) où le mariage soit pensé en termes d'amour. Le fondement du mariage, selon Hugues, c'est le lien entre l'homme et la femme: le mariage est d 'abord et essentiellement une communauté conjugale' (p 120).

E. Fuchs mentionne aussi les obstacles qui ont fait que le message d'Hugues a été longtemps occulté, 'contrôlé' par l'institution ecclésiastique, le développement de la scolastique, de l'influence cathare ( p. 117, 121, 130, 132,221).

Notes: (3)

cf Alain You. 'La loi de gradualité: une nouveauté en morale ? " éd. Lethielleux, 1991, 198 p., 'divorcés remariés après un certain temps', p 162-164.

Notes: (4)

cf Père Jean Waret, m.e.p., 'Mariages non chrétiens dans des églises: l'expérience  japonaise', Etudes, janvier 1995. Mariages ouverts aux valeurs évangéliques sur la vie, l'amour, la famille, le respect des personnes,.en référence, notamment, à l'hymne à l'amour (1 Cor 13).

Notes: (5)

éd. Centurion, 1992, p. 67-68.

Ce document insiste sur la loi de gradualité: p. 35,38-41,43,.

Notes: (6)

p. 107 de l'ouvrage collectif d'Henri Denis:

'Le mariage, un sacrement pour les croyants ?', Cerf, 2° éd, 1990, 275 p. aux p.104-109, le P. Bruno Carra de Vaux, o.p., donne une présentation brève et suggestive de l'apport d'Hugues.

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LE MARIAGE COMME PROBLEME ECCLESIOLOGIQUE

Jean RIGAL, théologien, Toulouse

"Où se marie-t-on ? -A la mairie seulement, ou aussi à l'Eglise ?"

Le mot "Eglise" est lâché, mais avec quel contenu ? Mon propos s'en tiendra à des éléments de théologie pastorale, sans aborder des questions plus directement historiques, théologiques ou canonIques.

Le mariage comme "problème ecclésiologique" ! Dans cette expression et notamment avec le mot "problème", il y a l'idée d'interrogation, de difficulté, de résistance, de confrontation avec une doctrine et une pratique, peut-être aussi la volonté de sortir d'une Impasse.

Cinq aspects retiendront notre attention :

1. Le mariage comme rencontre d'une Eglise

2. Le mariage comme acte de l'Eglise

3. Le mariage comme construction de l'Eglise

4. Le mariage comme appartenance à l'Eglise

5. Le mariage comme rencontre des Eglises.

1- Le mariage comme rencontre d'une Eglise

Quand un couple se présente aux animateurs de la pastorale du mariage, quel rapport ce couple vit-il avec l'institution ecclésiale ? Nous sommes dans une société très largement sécularisée, sans repères religieux clairement identifiés et qui, de surcroît,

.manifeste -sauf exception -une allergie institutionnelle à l'égard de l'Eglise.

D'une part, en France, la majorité des couples qui se présentent pour le mariage n'ont pratiquement aucune culture religieuse. D'autre part, en même temps, ils sont porteurs de représentations de l'Eglise, marquées par leur histoire, leur subjectivité, des influences médiatiques de tous ordres. Certes, chacun de nous est habité par des images à travers lesquelles il appréhende et "vit" l'Eglise, il ne peut en être autrement. Mais on pressent les difficultés qui peuvent en résulter si un " hiatus" profond se révèle entre les représentations qui nous habitent et ce que vit réellement l'Eglise ou ce qu'elle dit d'elle-même.

Parmi ces difficultés, deux paraissent fréquentes en matière conjugale.

La première consiste, sinon dans la peur, du moins dans l'appréhension qui habite de nombreux couples lorsqu'ils s'engagent dans la préparation au mariage: "on n'est pas pratiquant, on ne connaît pas le langage, on ignore les rites qui sont proposés, on sera à côté de la plaque, on va être jugé." Toutes ces réflexions ont été entendues dans diverses rencontres.

Une seconde difficulté provient du discours de l'Eglise sur la sexualité ou du moins de la manière dont on le perçoit, même si l'on n'en parle pas dans la préparation du mariage. C'est notamment la question des méthodes contraceptives mais plus largement la façon d'aborder ces réalités qui fait problème.

Le langage magistériel a-t-il évolué depuis "Humanae vitae" (1968) pour beaucoup, il paraît venir "d'outre tombe", c'est-à-dire en l'occurrence d'un monde intemporel, stéréotypé, extérieur à la vie concrète des couples. Inutile de préciser qu'il n'est plus guère écouté ni "reçu" par la majorité des chrétiennes et des chrétiens, même pratiquants et fervents: toutes les enquêtes en témoignent.

Si je rappelle ce fait, ce n'est pas pour dénigrer complaisamment une Institution déjà bien fragilisée, ni même pour soulever des problèmes éthiques, mais pour rendre compte : des dysfonctionnements qui s'installent au sein du peuple ecclésial. La question s'avère alors proprement ecclésiologique.

Dans ce contexte, le couple qui demande le mariage sollicite de " l'Eglise un service, mais il n'est pas nécessairement disposé à lui appartenir, à cette Eglise.

Parfois, il redoute d'être récupéré et refuse d'aller plus loin que sa demande.

Quant à ces chrétiens qui vivent à longueur d'année leur mariage, ils se trouvent confrontés au rôle spécifique du magistère épiscopal et à son ministère de discernement et de guide pastoral du peuple de Dieu.

Quelle Eglise va se donner à voir dans ces multiples rencontres ?

Certes, la communauté ecclésiale se discréditerait elle-même si, dans un mouvement narcissique, elle demeurait obsédée par la lumière qu'elle reflète. Néanmoins, il importe de s'interroger sur le visage que l'Eglise locale présente à ceux qui se tournent vers elle ou participent à sa vie.

Quelle est l'ecclésialité des communautés chrétiennes dans la préparation, la célébration et la , réalité vécue du sacrement de mariage ? Se montrent-elles accueillantes ? Offrent-elles un visage diversifié où se manifeste la pluralité des vocations du peuple ecclésial ? Sont-elles soucieuses de rejoindre les couples dans la singularité de leurs situations et de leurs démarches ?

2- Le mariage comme acte d'Eglise

Il s'agit moins directement, ici, du visage de l'Eglise ou des représentations ecclésiales qui habitent les couples que des difficultés anthropologiques pour accomplir un acte ecclésial. En effet, la société actuelle s'emploie à déployer le caractère "privatif' de l'existence : en contrecoup de la contestation des idéologies, émerge aujourd'hui la réalité du sujet humain, pôle de conscience et de liberté. L'homme contemporain est sorti d'un état façonné par les coutumes, les traditions, les autorités, l'héritage social et religieux. Il veut devenir "majeur", se donner ses lois, se conduire lui-même. Place est faite à l'autonomie du :" sujet, c'est à-dire à la capacité qu'a chaque individu de déterminer, en conscience, les orientations qu'il entend donner à sa propre vie. La religion devient une affaire privée, sans relation avec l'engagement public. La morale relève de convictions personnelles : elle est plus réactive que réfléchie  elle écoute ses émotions et récuse les critères imposés. La norme s'apparente à ce qui reste possible et bon pour aujourd'hui. Il s'agit là d'un fait non seulement d'ordre éthique mais culturel à proprement parler.

Dans ce contexte social, il devient facile de confondre "l'intime" et le "privé".

A ce sujet, Xavier Lacroix précise: " L'intime n'est pas exactement le privé. La première 

notion est affirmative, la seconde négative." (  XavierLacroix. Le Corps de chair, Paris, Cerf 1992, p. 170-171 )

Il est hors de question de remettre en cause la légitimité et la nécessité de "l'intime" pour un couple, mais à condition que cela ne se traduise pas par l'enfermement, la clôture, le repli et que la dimension "publique" du couple garde sa place.

Car le mariage est un acte public, dans sa dimension sociale, et aussi ecclésiale en de

nombreux cas.

Dans la même ligne de pensée, on ne peut oublier que le mariage est fondamentalement un "état de vie" et non en priorité "une fonction", un "service", un

"ministère" à l'instar du sacrement de l'Ordre, ce qui peut occulter facilement, dans un premier temps au moins, sa dimension profondément ecclésiale.

Enfin, dans l'existence du couple non marié, concubin ou non, il y a une réalité

humaine préalable; le sacrement se greffe sur une réalité humaine qui le précède et qui

existerait sans lui.

Ou encore, dans le mariage, une seule et même réalité humaine affecte le couple (au sein de l'institution familiale) et intéresse le sacrement chrétien.

Tout ceci ne vient pas faciliter la prise en compte de la dimension ecclésiale du mariage. Or, cette dimension fait partie intégrante du mariage sacramentel.

Rappelons déjà que tout mariage, même seulement civil, crée, en quelque sorte, une nouvelle cellule sociale.

A une jeune fille qui lui demandait: "Qu'est-ce que ça ajoute, finalement, de se marier ?", France Quéré répondait: "Se marier, c'est faire passer "l'amour", du secret

au public". Le mariage, acte social, est comme "un noeud entre le privé et le public. " (X.Lacroix).

Le mariage "à l'Eglise" est un mariage en Eglise, car tout. ce qui est "sacramentel" est nécessairement " ecclésial ", et c'est en devenant "ecclésial" que le mariage

devient "sacramentel".

Pour bien le comprendre, il importe de situer le sacrement de mariage dans la sacramentalité globale de l'Eglise, "signe et moyen" par lesquels le Christ exprime son

amour pour les hommes. Le texte fameux d'Ephésiens 5, 21-23 sur l'amour du

Christ pour l'Eglise prend alors tout son sens. L'Alliance d'amour du Christ avec

l'Eglise, non seulement est rappelée dans l'amour des époux mais elle s'y incarne, s'y manifeste, s'y déploie. "Ce mystère est grand" (Ep 5, 32), non pas parce qu'il est obscur ou lointain, mais bien au contraire parce qu'il est incommensurable et n'a jamais fini de se dire et d'explorer de nouveaux horizons. Cette dimension, si fondamentale, introduit dans une dynamique d'Alliance : elle fait place au réalisme et aux difficultés, et fait

confiance pour aller plus loin.

Le mariage sacramentel s'inscrit normalement dans la liturgie publique de l'Eglise. La présence des époux, du ministre, des témoins, des parents, des amis, de la communauté locale, exprime visiblement la dimension ecclésiale de l'Alliance et du mariage.

Mais cela peut rester assez formel si rien n'est dit sur la signification profonde de cette réalité.

La préparation (avec ses différents acteurs, la Déclaration d'intention, le choix des textes bibliques. ..) fournit l'occasion d'échanger sur cette trajectoire d'Alliance.

On pourrait aussi évoquer un cheminement progressif, ponctué par différentes étapes. Cette marche graduée, qui ne conduirait pas obligatoirement au sacrement, permettrait

de sortir de la problématique du "tout ou rien" qui vient pervertir tant de représentations

ecclésiales. Où en est-on dans cette recherche ?

3- Le mariage comme "construction de l'Eglise "

Si l'Eglise est une communauté d'Alliance, comment les époux chrétiens pourraient-ils rester étrangers à ce qui caractérise cette Alliance, à sa vie, à ce qu'elle reconnaît comme important, à ce dont elle a la charge de témoigner et pour mission de construire ?

La tentation serait de penser seulement à ce que l'Eglise apporte au couple de mariés et de négliger ou de sous-estimer ce que celui-ci apporte à la société et à l'Eglise. Demander à un couple d'entrer dans une Eglise préétablie serait prendre le problème à l'envers. Le rapport à l'Eglise doit toujours se vivre dans la réciprocité. La célébration du mariage délivre un message d'amour à l'Assemblée liturgique qui entoure les époux ; mais il est nécessaire d'en dévoiler le sens et la pertinence pour le monde de ce temps. Car affirmer, sans sourciller, que l' Agapé de gratuité, de fécondité, de fidélité est commun à l'amour du Christ pour l'Eglise et à l'amour des époux peut sembler aujourd'hui totalement utopique! Il importe, en tout cas, "de donner de la chair" à ce langage.

Quant à la tâche éducative des époux et de la famille chrétienne, Jean-Paul Il .

l'a définie comme "un vrai ministère". Dans cette famille, précisait Paul VI, "tous les membres évangélisent et sont évangélisés ".

J'aimerais citer aussi cette ouverture de Jean-Paul Il relative aux ministères delaïcs : "Les pasteurs [.] doivent reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement sacramentel dans le Baptême, dans la Confirmation, et de plus, pour beaucoup d'entre, eux, dans le Mariage." (Exhortation apostolique Christifideles laici (30/12/1988), n° 23.)

Il me semble que deux pôles d'attention se présentent ici à la réflexion théologique: d'une part - et c'est prioritaire - il est nécessaire d'approfondir inlassablement la profondeur du message d'Amour que Dieu fait retentir à travers l'amour des époux, dans ce monde qui doute de lui-même ; d'autre part, il importe d'approfondir en quoi l'amour des époux chrétiens affecte, colore, stimule l'engagement ministériel non seulement des laïcs, de plus en plus nombreux à exercer des responsabilités ecclésiales, mais aussi celui des ministres ordonnés, qu'ils soient célibataires ou non. En ce domaine, la réflexion est simplement amorcée. Ces deux "chantiers" sont ouverts en permanence. Ils sollicitent notre réflexion et notre engagement .

4- Le mariage comme appartenance à l'Eglise

Je ne vais pas évoquer la question douloureuse des couples concubins

concernés par la demande de baptême et le catéchuménat. Je me limiterai à l'accueil ecclésial des divorcés remariés. Malgré les recommandations répétées "pour qu'ils ne soient pas séparés de l'Eglise" (Familiaris consortio n° 85), beaucoup éprouvent à cet égard un sentiment  d'incompréhension ou d'exclusion. 

Il est vrai que les textes officiels invitent à "discerner les diverses situations", à. encourager les divorcés remariés à "participer à la vie de l'Eglise". Il est même demandé "que l'Eglises:e montre à leur égard une mère miséricordieuse". (Familiaris consortio n° 85), mais cette miséricorde semble s'arrêter à la table eucharistique.

La question est ample et complexe, car l'eucharistie est un acte ecclésial, et non purement individuel ou livré à l'appréciation d'un chacun. Je n'en retiendrai qu'un aspect mais qui, à mes yeux, n'est pas mineur : l'exercice de l'autorité dans l'Eglise.

On sait que déjà en 1980, au synode des évêques sur la famille, la motion suivante avait reçu l'accord de la très grande majorité des participants: " En ce qui concerne la pastorale auprès des divorcés remariés, les Pères du Synode ont recommandé qu'une nouvelle recherche en profondeur soit amorcée afin qu'apparaisse une véritable pastorale de la miséricorde sans remettre en question l'indissolubilité du mariage."

( Message aux Familles catholiques canadiennes, dans Synode des évêques 1980, La

Famille, Paris, Cerf 1980, p. 260.)

L'exhortation apostolique "Familiaris consortio" (1981) censée reprendre et amplifier ces propositions, n'apportera aucun élément nouveau sur ce point particulier. Elles seront plutôt durcies par les propos de la récente déclaration du Conseil Pontifical pour l'interprétation des textes législatifs (6/12/2000). La non réception du texte le manifeste.

On pourrait aussi évoquer les demandes d'ouverture de la quasi - totalité des synodes diocésains français et d'ailleurs. Quelle importance donne-t-on à ce qu'on appelle le "sensus.fidei", c'est-à-dire au sens chrétien du peuple ecclésial et à sa capacité de discerner en matière de foi, d'éthique et de vie ecclésiale ? Au niveau des principes, les affirmations ne manquent pas pour souligner la signification et la nécessité du "sensus.fidei" (cf. L.G. n° 12 et n° 35). L'exhortation "Familiaris consortio" en parle avec ferveur à propos du mariage et demande aux "Pasteurs de promouvoir le sens de la foi chez tous les fidèles." (n° 5). Comment expliquer, dans ce cas, que Rome interdise aux synodes diocésains d'aborder "certaines questions réservées à l'autorité suprême ou à une autre autorité." ? (D C du 05/10/1997 ).

Une Eglise où la parole est confisquée sera-t-elle encore perçue comme une Eglise de Pentecôte pour le monde de ce temps ? Sera-t-elle encore inventive ?

5- Le mariage comme rencontre des Eglises

La recherche inter-confessionnelle est désormais constitutive de la pastorale du mariage. Bien des obscurités persistent par rapport aux mariages mixtes avec les orthodoxes : les difficultés tiennent notamment au fait que, pour eux, c'est l'évêque ou le prêtre qui célèbre le sacrement.

Le Catéchisme de l'Eglises catholique manifeste une relative souplesse sur ce point, et il importe d'en prendre acte. (n° 1623).

En France, la question des mariages mixtes se pose surtout pour le couple catholique-protestant. Les Eglises de la Réforme n'accordent pas le statut de "sacrement" au mariage, même si elles considèrent, avec les autres chrétiens, qu'il peut revêtir une dimension religieuse. Le mariage des croyants est béni de Dieu: "Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul" (Gn 2, 18). Dans la pratique, les difficultés vont se nouer autour de l'éducation chrétienne des enfants et de la pratique eucharistique. Beaucoup de foyers mixtes considèrent que les deux confessions ont leurs propres richesses et que l'éducation des enfants doit avoir pour objectif prioritaire "d'en faire des chrétiens". On ne peut en disconvenir. Mais cette sorte de troisième voie est-elle réaliste à long terme, et ne faut-il pas admettre que l'enracinement institutionnel dans une confession chrétienne soit un jour préférable, enrichi -espérons-le -de l'apport d'autres Eglises ?

Il y aurait beaucoup à dire sur l'hospitalité eucharistique. De nombreux foyers mixtes agissent désormais selon leur conscience. Selon leur jugement personnel et les circonstances locales, ils soumettent ou non leur décision au discernement de l'évêque diocésain. Voir la Note de la Commission épiscopale pour l'unité des chrétiens. (Directoire oecuménique, Paris, Cerf 1993, p. 179 à 184).

On pressent que la pratique de l'hospitalité eucharistique n'interroge pas

seulement la foi en l'eucharistie mais plus largement la conception du mystère de l'Eglise. Tant il est vrai que la dimension ecclésiologique s'inscrit sous de multiples facettes, au coeur du mariage chrétien. Peut-être serons-nous tentés d'approfondir l'une ou l'autre de ces questions ?

 

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